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30/12/2020 | FRANCE | N°420635

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 30 décembre 2020, 420635


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un autre mémoire, enregistrés les 15 mai 2018, 14 décembre 2018 et 3 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association Trinationale de Protection Nucléaire (ATPN), M. I... C..., la société Südgetreide GmbH et Co. KG, M. D... L..., M. G... B... et Mme K... F... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n° CODEP-DCN-2016-029357 du président de l'Autorité de sûreté nucléaire du 25 juillet 2016 autorisant Electricité de France - Société Anonyme (EDF-S

A) à modifier de manière notable les éléments ayant conduit à l'autorisation de cr...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un autre mémoire, enregistrés les 15 mai 2018, 14 décembre 2018 et 3 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association Trinationale de Protection Nucléaire (ATPN), M. I... C..., la société Südgetreide GmbH et Co. KG, M. D... L..., M. G... B... et Mme K... F... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n° CODEP-DCN-2016-029357 du président de l'Autorité de sûreté nucléaire du 25 juillet 2016 autorisant Electricité de France - Société Anonyme (EDF-SA) à modifier de manière notable les éléments ayant conduit à l'autorisation de création du site électronucléaire (INB n° 75), situé dans la commune de Fessenheim (département du Haut-Rhin) ;

2°) de mettre à la charge de l'Autorité de sûreté nucléaire la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité instituant la Communauté européenne de l'énergie atomique ;

- la convention sur l'évaluation de l'impact sur l'environnement dans un contexte transfrontière, signée à Espoo le 25 février 1991 ;

- la convention pour la protection du Rhin, signée à Berne le 12 avril 1999 ;

- le règlement (CE) du Conseil n° 1100/2007 du 18 septembre 2007 ;

- la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 ;

- la directive 2006/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006 ;

- le code de l'environnement ;

- le décret n° 2007-1557 du 2 novembre 2007 ;

- le décret n° 2016-846 du 28 juin 2016 ;

- l'arrêté du 2 février 1998 relatif aux prélèvements et à la consommation d'eau ainsi qu'aux émissions de toute nature des installations classées pour la protection de l'environnement soumises à autorisation ;

- l'arrêté du 25 janvier 2010 relatif aux méthodes et critères d'évaluation de l'état écologique, de l'état chimique et du potentiel écologique des eaux de surface pris en application des articles R. 212-10, R. 212-11 et R. 212-18 du code de l'environnement ;

- l'arrêté du 7 février 2012 fixant les règles générales relatives aux installations nucléaires de base ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Bachini, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boutet-Hourdeaux, avocat de l'Association Trinationale de Protection Nucléaire et autres et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Electricité de France ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article L. 593-7 du code de l'environnement, la création d'une installation nucléaire de base (INB) est soumise à autorisation. Selon les dispositions du II de l'article L. 593-14 du même code, toute " modification substantielle d'une installation nucléaire de base, de ses modalités d'exploitation autorisées ou des éléments ayant conduit à son autorisation " est soumise à une nouvelle autorisation, le caractère substantiel de la modification étant apprécié suivant des critères fixés par décret en Conseil d'Etat au regard de son impact sur la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du même code. La nouvelle autorisation est accordée dans les conditions prévues aux articles L. 593-7 à L. 593-12 du même code, selon des modalités définies par décret en Conseil d'Etat. En vertu des dispositions de l'article L. 593-15 du code, les modifications d'une INB ou de ses modalités d'exploitation autorisées qui, sans être substantielles, sont notables, sont soumises, en fonction de leur importance, soit à déclaration auprès de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), soit à autorisation par cette autorité. Ces modifications peuvent être soumises à la consultation du public selon les modalités prévues au titre II du livre Ier du code de l'environnement. Aux termes de l'article L. 593-10 du code : " Pour l'application de l'autorisation, l'Autorité de sûreté nucléaire définit, dans le respect des règles générales prévues à l'article L. 593-4, les prescriptions relatives à la conception, à la construction et à l'exploitation de l'installation qu'elle estime nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1. Ces prescriptions peuvent notamment porter sur des moyens de suivi, de surveillance, d'analyse et de mesure. Elle les communique au ministre chargé de la sûreté nucléaire. / Elle précise notamment, s'il y a lieu, les prescriptions relatives aux prélèvements d'eau de l'installation et aux substances radioactives issues de l'installation. Les prescriptions fixant les limites de rejets de l'installation dans l'environnement sont soumises à l'homologation du ministre chargé de la sûreté nucléaire ". Les articles 16, 26, 27 et 31 du décret du 2 novembre 2007 relatif aux installations nucléaires de base et au contrôle, en matière de sûreté nucléaire, du transport de substances radioactives, aujourd'hui repris en substance par les articles R. 593-26, R. 593-47 et R. 593-55 à R. 593-60 du code de l'environnement, précisent les cas et conditions dans lesquels sont accordées ou déposées ces autorisations et déclarations. Enfin, les articles 18 et 25 de ce même décret, aujourd'hui repris en substance aux articles R. 593-38 et R. 593-40 du même code, fixent la procédure au terme de laquelle l'Autorité de sûreté nucléaire peut, pour l'application de l'autorisation accordée pour l'exploitation d'une INB, édicter, modifier ou compléter des prescriptions relatives à la conception, à la construction et à l'exploitation de l'installation qu'elle estime nécessaires à la protection de la sécurité, de la santé et de la salubrité publiques et à la protection de la nature et de l'environnement.

2. Il résulte de l'instruction que la société EDF a déposé auprès de l'ASN, en septembre 2012, une déclaration de modification des conditions d'exploitation de la centrale de Fessenheim, pour un changement du produit utilisé pour le conditionnement du circuit secondaire des deux unités de production, une mise à jour des limites de prélèvement d'eau et de rejet d'effluents et la réalisation d'opérations de dragage et de curage dans le grand canal d'Alsace. Estimant que certaines de ces modifications rendaient nécessaire une modification des prescriptions applicables à la centrale de Fessenheim, l'ASN, après avoir suspendu le délai au terme duquel la société EDF pouvait, en l'état du droit alors applicable, mettre en oeuvre ces modifications, a, d'une part, par une décision n° 2016-DC-0551 du 29 mars 2016, fixé les nouvelles prescriptions relatives aux modalités de prélèvement et de consommation d'eau, de rejet d'effluents et de surveillance de l'environnement de l'installation nucléaire de base n° 75 exploitée par la société EDF sur le territoire de la commune de Fessenheim, et, d'autre part, par sa décision n° 2016-DC-0550 du même jour, soumise à homologation ministérielle, fixé les nouvelles valeurs limites de rejet dans l'environnement des effluents de la même installation. L'ASN a ensuite autorisé les modifications projetées par la société EDF, eu égard à leur caractère notable, par une décision n° CODEP-DCN-2016-029357 de son président du 25 juillet 2016. Par une décision du 14 juin 2018, le Conseil d'Etat, statuant comme juge du plein contentieux des mesures de police relatives aux installations nucléaires de base, a, d'une part, rejeté la requête, présentée par l'Association Trinationale de Protection Nucléaire et autres, dirigée contre la décision n° 2016-DC-0551 précitée et, d'autre part, partiellement annulé, pour insuffisance de motivation, la décision n° 2016-DC-0550 précitée, tout en autorisant la société EDF à continuer à rejeter dans l'environnement les effluents produits par l'INB n° 75 dans la commune de Fessenheim dans le respect des valeurs limites qui étaient fixées par les dispositions annulées, jusqu'à ce que l'ASN prenne, au plus tard le 1er octobre 2018, une nouvelle décision prescrivant des valeurs limites pour ces effluents. Par une décision n° 2018-DC-0638 du 17 juillet 2018, l'ASN a modifié la décision n° 2016-DC-0550. Par la présente requête, l'Association Trinationale de Protection Nucléaire et autres demandent au Conseil d'Etat d'annuler la décision n° CODEP-DCN-2016-029357 précitée par laquelle le président de l'ASN a autorisé la société EDF à modifier de manière notable les éléments ayant conduit à l'autorisation de création du site électronucléaire (INB n° 75), situé sur le territoire de la commune de Fessenheim.

Sur la régularité de la décision attaquée :

3. En premier lieu, l'article L. 592-13 du code de l'environnement autorise le règlement intérieur de l'ASN à prévoir les conditions dans lesquelles le collège des membres peut donner délégation de pouvoir à son président ou, en son absence, à un autre membre du collège, ainsi que celles dans lesquelles le président peut déléguer sa signature à des agents des services de l'Autorité. Toutefois, ni les avis mentionnés à l'article L. 592-25 rendus par l'Autorité sur les projets de décrets et d'arrêtés ministériels de nature réglementaire relatifs à la sécurité nucléaire, ni les décisions à caractère réglementaire ne peuvent faire l'objet d'une délégation. L'article 15 de la décision n° 2010-DC-0195 de l'ASN du 19 octobre 2010 établissant le règlement intérieur de l'agence, après avoir fixé une liste de compétences pour lesquelles aucune délégation de pouvoir à son président n'est possible, renvoie à des décisions ultérieures pour définir les pouvoirs susceptibles d'être délégués par le collège au président, en précisant pour chacun d'eux s'il peut ou non faire l'objet d'une délégation de signature du président au directeur général seul ou à ce dernier et, dans l'ordre décroissant de la hiérarchie, à d'autres agents. Le 5) du I de l'article 3 de la décision n° 2016-DC-0540 de l'ASN du 21 janvier 2016 portant délégation de pouvoir au président pour prendre certaines décisions, dans sa version applicable au litige, donne délégation au président de l'ASN pour prendre, au nom du collège, avec possibilité de déléguer sa signature au directeur général et, dans l'ordre décroissant de la hiérarchie, à d'autres agents, " les accords exprès, décisions de prorogation du délai d'instruction et décisions du caractère notable de la modification prévus à l'article 26 du décret du 2 novembre 2007 susvisé ". Enfin, l'article 6 de la décision CODEP-CLG-2016-027468 du président de l'ASN du 6 juillet 2016 portant délégation de signature aux agents habilite, en cas d'absence ou d'empêchement de M. A... H..., directeur général adjoint assurant l'intérim des fonctions de directeur général, Mme J... E..., directrice de la direction des centrales nucléaires, à signer, au nom du président, dans les domaines relevant de ses attributions, tous actes et décisions mentionnés, notamment, au point 5) de l'article 3 de la décision n° 2016-DC-0540 du 21 janvier 2016 susvisée, à l'exception des autorisations comportant des prescriptions portant dispositions temporaires pendant la mise en oeuvre des modifications mentionnées à l'article L. 593-15 du code de l'environnement qui sont soumises à autorisation. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que, contrairement à ce qui est soutenu, Mme J... E... pouvait régulièrement signer la décision litigieuse, édictée sur le fondement de l'article 26 du décret du 2 novembre 2007, qui ne comportait pas de prescriptions portant dispositions temporaires pendant la mise en oeuvre des modifications mentionnées à l'article L. 593-15 du code de l'environnement, soumises à autorisation. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée aurait été signée par une autorité incompétente doit être écarté.

4. En deuxième lieu, dans sa version applicable à la date de la décision litigieuse, issue du décret du 28 juin 2016, l'article 4 du décret du 2 novembre 2007 dispose, à son IV, que " le délai d'instruction des demandes d'autorisation mentionnées à l'article 26 du présent décret est fixé à six mois. L'Autorité de sûreté nucléaire peut proroger ce délai si elle estime nécessaire de procéder à de nouvelles mesures d'instruction ou d'édicter des prescriptions complémentaires. Le silence gardé par l'Autorité de sûreté nucléaire à l'expiration de ce délai vaut décision de rejet de la demande ". Dans sa version précédemment en vigueur, l'article 26 du décret du 2 novembre 2007 prévoyait, à son III, que " l'exploitant ne peut mettre en oeuvre son projet avant l'expiration d'un délai de six mois, sauf accord exprès de l'Autorité de sûreté nucléaire. Celle-ci peut proroger ce délai si elle estime nécessaire de procéder à de nouvelles mesures d'instruction ou d'édicter des prescriptions complémentaires ". Le II de ce même article précisait également que " le délai mentionné au III ne commence à courir que lorsque l'Autorité de sûreté nucléaire a reçu ce bilan ". Ces dispositions permettaient alors à l'ASN, saisie d'une déclaration de modification, de suspendre le délai au terme duquel l'exploitant pouvait mettre en oeuvre son projet jusqu'à une date qu'il lui appartenait de fixer ou jusqu'à l'édiction de prescriptions complémentaires.

5. L'entrée en vigueur du décret du 28 juin 2016 relatif à la modification, à l'arrêt définitif et au démantèlement des INB ainsi qu'à la sous-traitance a renforcé le contrôle applicable aux modifications d'INB ne nécessitant pas une nouvelle autorisation, les modifications précédemment soumises à une déclaration à l'ASN devant désormais être autorisées par cette dernière, sauf lorsqu'elles ne remettent pas en cause de manière significative le rapport de sûreté ou l'étude d'impact de l'installation. Les modalités de transition du régime de déclaration au régime d'autorisation ont été précisées par le I de l'article 13 du décret du 28 juin 2016, qui dispose que les modifications déclarées à l'ASN en application de l'article 26 du décret du 2 novembre 2007, dans sa version précédemment en vigueur, sont, " lorsque cette autorité n'a pas prononcé l'accord exprès prévu au III de cet article et lorsque le délai mentionné au même alinéa, le cas échéant prorogé, n'est pas expiré, réputées avoir fait l'objet d'une demande d'autorisation en application de l'article 26 du même décret, dans sa rédaction issue du présent décret. / Le délai d'instruction de ces demandes d'autorisation mentionné à l'article 4 du décret du 2 novembre 2007 susvisé, dans sa rédaction issue du présent décret, court à compter de la date de publication du présent décret ".

6. Il résulte de l'instruction que la déclaration de modification adressée par la société EDF à l'ASN a été enregistrée par les services de cette dernière le 9 octobre 2012. Par un courrier daté du 9 avril 2013, l'ASN a fait part à la société EDF de son intention d'édicter des prescriptions complémentaires, ce qui, conformément aux dispositions citées au point 4, a eu pour effet de suspendre le délai d'instruction. Ces prescriptions complémentaires ont été édictées par les deux décisions n° 2016-DC-0550 et n° 2016-DC-0551 du 29 mars 2016 précitées. Conformément aux dispositions citées au point 5, en l'absence, d'une part, d'accord exprès de l'ASN et, d'autre part, d'expiration du délai d'instruction, l'entrée en vigueur du décret du 28 juin 2016 a eu pour effet de faire courir le délai d'instruction de la demande formulée par EDF à compter de sa date de publication. Dès lors, contrairement à ce qui est soutenu, la décision litigieuse, datée du 25 juillet 2016, a été prise dans le délai imparti par les dispositions précitées. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait irrégulière, faute d'avoir été prise dans le délai d'instruction prévu par la réglementation applicable, doit, en tout état de cause, être écarté.

7. En troisième lieu, à la date à laquelle la société EDF a déposé auprès de l'ASN la déclaration de modification litigieuse, l'article L. 593-14 du code de l'environnement et l'article 31 du décret du 2 novembre 2007 précité soumettaient toute modification notable d'une installation nucléaire de base, au sens de ces textes, à une nouvelle autorisation délivrée, après avis de l'ASN et enquête publique, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la sûreté nucléaire. Constituait notamment une modification notable au sens de ces dispositions la modification des éléments essentiels pour la protection des intérêts relatifs à la sécurité, la santé et la salubrité publiques ou la protection de la nature et de l'environnement mentionnés au I de l'article 28 de la loi du 13 juin 2006. En application de l'article 26 du même décret, les modifications n'entrant pas dans les prévisions de cet article 31 devaient, quant à elles, faire l'objet d'une déclaration à l'ASN. Ainsi qu'il a été dit au point 5, l'entrée en vigueur du décret du 28 juin 2016 a eu pour effet de soumettre les modifications précédemment soumises à déclaration auprès de l'ASN à une autorisation délivrée par cette dernière, à l'exception de celles qui ne remettent pas en cause de manière significative les informations contenues dans le rapport de sûreté ou l'étude d'impact de l'installation. En revanche, il résulte de l'article 2 du décret du 28 juin 2016 que les modifications désormais qualifiées de " substantielles ", qui affectent des éléments essentiels relatifs à la sécurité, la santé et la salubrité publiques ou à la protection de la nature et de l'environnement, doivent être autorisées par décret. Il résulte de la combinaison de ces dispositions et des dispositions transitoires rappelées au point 5 qu'à la date d'entrée en vigueur du décret du 28 juin 2016, l'ASN s'est trouvée saisie d'une demande d'autorisation.

8. D'une part, il résulte de l'instruction que les modifications autorisées par la décision litigieuse portent sur trois objets précisément identifiés, à savoir la substitution de l'éthanolamine à la morpholine dans le conditionnement du circuit secondaire des deux unités de production, l'évolution des limites de prélèvement d'eau et de rejet et l'autorisation de réaliser, une à deux fois par an, le dragage du canal d'amenée et le curage de quatre cavités dans le grand canal d'Alsace. Il ne résulte pas de l'instruction que ces modifications, dont la mise en oeuvre est en tout état de cause subordonnée au respect des prescriptions mentionnées dans les décisions de l'ASN n° 2016-DC-0550 et n° 2016-DC-0551 du 29 mars 2016 précitées, porteraient atteinte aux éléments essentiels pour la protection de la nature et de l'environnement. Dès lors, c'est à bon droit que l'ASN a pu, sur le fondement de l'article 26 du décret du 2 novembre 2007 précité, autoriser les modifications envisagées par la société EDF, qui n'entrent pas dans le champ des dispositions, rappelées au point 7, rendant nécessaire le recours à un nouveau décret d'autorisation. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision attaquée serait irrégulière, faute d'avoir respecté les dispositions relatives à l'autorisation des modifications substantielles d'une INB, d'avoir été précédée d'une enquête publique, et, pour l'ASN, d'avoir invité l'exploitant à déposer auprès du ministre chargé de la sûreté nucléaire une demande de modification de l'autorisation de création de l'INB, ainsi que le moyen tiré de ce qu'elle serait entachée d'un détournement de procédure, doivent être écartés. D'autre part, si les requérants invoquent, par la voie de l'exception, l'illégalité du décret d'autorisation du 3 février 1972 au motif que celui-ci se serait abstenu, à tort, de réglementer les rejets d'effluents de la centrale nucléaire de Fessenheim, ce décret ne présente pas le caractère d'un acte réglementaire dont l'illégalité pourrait être invoquée, par voie d'exception, après l'expiration des délais de recours contentieux, à l'appui d'un recours dirigé contre des actes relatifs au fonctionnement de la centrale nucléaire de Fessenheim. Par suite, ce moyen doit également être écarté.

9.Il résulte de tout ce qui précède que les moyens dirigés contre la procédure d'édiction de la décision attaquée doivent être écartés.

Sur le bien-fondé de la décision attaquée :

10. En premier lieu, il résulte des dispositions rappelées au point 1 que les décisions d'autorisation prises par l'ASN en cas de modification notable d'une INB, prises sur le fondement des articles L. 593-15 du code de l'environnement et 26 du décret du 2 novembre 2007, aujourd'hui repris à l'article R. 593-55 du code de l'environnement, sont distinctes, tant au regard de leur objet que des règles procédurales qui leur sont applicables, des décisions par lesquelles l'ASN édicte des prescriptions relatives, d'une part, à la conception, à la construction et à l'exploitation de l'installation et, d'autre part, aux prélèvements d'eau de l'installation et aux substances radioactives issues de l'installation en application de l'article L. 593-10 du code de l'environnement ainsi que des articles 18 et 25 du décret du 2 novembre 2007 précité, aujourd'hui repris en substance aux articles R. 593-38 et R. 593-40 du même code. En l'espèce, si l'autorisation délivrée par la décision litigieuse est subordonnée, comme le précise son article 2, au respect des prescriptions mentionnées dans les décisions n° 2016-DC-0550 et n° 2016-DC-0551 du 29 mars 2016 susvisées, elle ne peut, toutefois, être regardée ni comme un acte pris en application de ces décisions ni comme un acte trouvant sa base légale dans ces décisions. Par suite, les requérants ne peuvent utilement soutenir que la décision litigieuse serait illégale du fait de l'inconventionnalité et de l'illégalité des décisions n° 2016-DC-0550 et n° 2016-DC-0551 précitées, au motif que celles-ci méconnaîtraient la directive 2006/44/CE du 6 septembre 2006 concernant la qualité des eaux douces ayant besoin d'être protégées ou améliorées pour être aptes à la vie des poissons, l'article D. 211-10 du code de l'environnement et l'article 32 de l'arrêté du 2 février 1998 relatif aux prélèvements et à la consommation d'eau ainsi qu'aux émissions de toute nature des installations classées pour la protection de l'environnement soumises à autorisation, l'arrêté du 25 janvier 2010 relatif aux méthodes et critères d'évaluation de l'état écologique, de l'état chimique et du potentiel écologique des eaux de surface, l'arrêté du 7 février 2012 fixant les règles générales relatives aux installations nucléaires de base, s'agissant de l'interdiction des rejets dans le sol et les eaux souterraines, l'article 31 de l'arrêté du 2 février 1998 précité, s'agissant des limites thermiques autorisées, les objectifs de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, le Plan de gestion 2015 du district hydrographique du Rhin, le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) du bassin Rhin-Meuse, la convention pour la protection du Rhin, signée à Berne le 12 avril 1999, et le règlement du Conseil du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes.

11. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, d'une part, que le remplacement de la morpholine par l'éthanolamine pour le conditionnement du circuit secondaire des deux unités de production a pour but d'assurer une meilleure protection contre la corrosion tout en limitant les rejets et en assurant une meilleure biodégradabilité du produit utilisé, d'autre part, que l'actualisation des limites de prélèvement d'eau et de rejets, encadrée par les prescriptions complémentaires édictées par les décisions de l'ASN du 29 mars 2016 précitées, tend, globalement, à une amélioration des incidences sur l'environnement des rejets par rapport aux limites précédemment fixées par divers arrêtés et décisions ministériels pris entre 1972 et 1987 et, enfin, que l'autorisation de réaliser, une à deux fois par an, dans le grand canal d'Alsace, le dragage du canal d'amenée et le curage de quatre cavités a pour but d'assurer l'écoulement requis pour le refroidissement des installations et l'alimentation des circuits de lutte contre l'incendie. Il résulte de l'étude d'impact, dont les requérants ne contestent pas les éléments, que ces modifications ont une incidence nulle, négligeable ou non significative sur la nature et l'environnement. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision litigieuse serait entachée d'erreur d'appréciation doit être écarté. Si les requérants font, en outre, valoir que la décision litigieuse serait entachée d'erreur d'appréciation au motif qu'elle ne comporterait pas de mesures propres à faire face au risque sismique et d'inondation auquel la centrale nucléaire de Fessenheim serait particulièrement exposée, cet argument ne peut qu'être écarté comme inopérant à l'encontre de la décision litigieuse, dès lors qu'un tel risque est pris en compte par des règles de sécurité spécifiques et des décisions distinctes de l'Autorité de sûreté nucléaire.

12. En troisième lieu, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait entachée de détournement de procédure et de détournement de pouvoir, qui ne sont étayés par aucun argument ou élément de nature à permettre d'en apprécier le bien-fondé, ne peuvent qu'être écartés.

13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir soulevées par la société EDF, que l'Association Trinationale de Protection Nucléaire et autres ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision qu'ils attaquent.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société EDF au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'Association Trinationale de Protection Nucléaire et autres est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société EDF présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Association Trinationale de Protection Nucléaire, représentant unique désigné pour l'ensemble des requérants, à l'Autorité de sûreté nucléaire et à la société Electricité de France.


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 420635
Date de la décision : 30/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 30 déc. 2020, n° 420635
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bruno Bachini
Rapporteur public ?: M. Olivier Fuchs
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP BOUTET-HOURDEAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 08/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:420635.20201230
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