Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 septembre 2019 et 6 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Île-de-France Mobilités demande au Conseil d'Etat :
1°) à titre principal, d'annuler le c) du 2° et le c) du 4° de l'article 1er de l'ordonnance n° 2019-183 du 11 mars 2019 ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux et, à titre subsidiaire, d'annuler l'ordonnance n° 2019-183 du 11 mars 2019 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la directive 2001/14/CE du 26 février 2001 ;
- la directive 2012/34/UE du 21 novembre 2012 ;
- le code des transports ;
- la loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 ;
- le décret n°2001-1116 du 27 novembre 2001 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Fabio Gennari, auditeur,
- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 novembre 2020, présentée par Ile-de-France Mobilités ;
Considérant ce qui suit :
1. L'article L. 2111-24 du code des transports, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que les ressources du gestionnaire de l'infrastructure ferroviaire du réseau ferré national, SNCF Réseau sont constituées notamment par les redevances d'infrastructure liées à l'utilisation du réseau ferré national. L'article L. 2111-25 définit les différents éléments qui doivent être pris en compte dans le calcul de ces redevances et renvoie à un décret en Conseil d'Etat les règles de leur détermination. Enfin, l'article L. 2133-5 dispose que l'autorité de régulation rend un avis conforme sur la fixation des redevances d'infrastructure et précise au regard de quels critères.
2. Sur le fondement de l'article 33 de loi du 27 juin 2018 visée ci-dessus a été prise l'ordonnance du 11 mars 2019 relative au cadre de fixation des redevances liées à l'utilisation de l'infrastructure ferroviaire ainsi qu'à l'élaboration et à l'actualisation du contrat entre l'Etat et SNCF Réseau et qui modifie certaines de ces dispositions.
3. Île-de-France Mobilités, l'autorité organisatrice des services de transports publics de personnes dans la région Île-de-France, demande l'annulation des dispositions du c) du 2° et du quatrième alinéa du c) du 4° de l'article 1er de l'ordonnance du 11 mars 2019.
Sur la légalité externe de l'ordonnance :
4. L'article L. 2111-25 du code des transports dispose que tout projet de modification des modalités de fixation des redevances fait l'objet d'une consultation et d'un avis de la ou des régions concernées. Selon l'article 7 du décret du 27 novembre 2001 relatif au transfert de compétences en matière de transports collectifs d'intérêt régional, pris pour son application, " Tout projet portant modification de la structure ou du barème des redevances d'infrastructure pouvant avoir une incidence dans le ressort territorial d'une région est soumis pour avis à cette région au moins trois mois avant la date prévue pour l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions ./ Le conseil régional est réputé avoir donné son avis s'il ne s'est pas prononcé dans le délai de deux mois à compter de sa saisine. "
5. Dans sa rédaction antérieure à l'intervention de l'ordonnance litigieuse, le troisième alinéa de l'article L. 2111-25 du code des transports disposait que " Pour les services de transport ferroviaire faisant l'objet d'un contrat de service public, la soutenabilité des redevances est évaluée selon des modalités permettant de prendre en compte les spécificités de tels services, en particulier l'existence d'une contribution financière des autorités organisatrices à leur exploitation, en vue d'assurer, le cas échéant, que les majorations sont définies sur la base de principes efficaces, transparents et non discriminatoires. " Le 2° de l'article 1er de l'ordonnance a complété cet alinéa par la phrase suivante : " Ces modalités consistent à s'assurer que le montant total des redevances à la charge de ces services n'excède pas la part de coût complet de gestion du réseau qui leur est imputable et que l'équilibre économique des entreprises ferroviaires est respecté en tenant compte des compensations de service public dont elles bénéficient. "
6. Ces dispositions, qui se bornent à préciser la définition du critère, préexistant à leur entrée en vigueur, de la soutenabilité des redevances pour la détermination de celles-ci dans le cas des services dits " conventionnés ", ne portent pas modification de la structure ou du barème des redevances d'infrastructure et pouvaient ainsi être prises sans consultation préalable des régions. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 2111-5 du code des transports et du décret du 27 novembre 2001 doit être écarté.
Sur la légalité interne de l'ordonnance :
En ce qui concerne les dispositions complétant l'article L. 2111-25 du code des transports :
7. En premier lieu, aux termes de l'article 31 de la directive 2012/34/UE du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen, " [s]ans préjudice des paragraphes 4 ou 5 du présent article ou de l'article 32, les redevances perçues pour l'ensemble des prestations minimales et pour l'accès à l'infrastructure reliant les installations de services sont égales au coût directement imputable à l'exploitation du service ferroviaire ". Son article 32.1 dispose qu'" un Etat membre peut, afin de procéder au recouvrement total des coûts encourus par le gestionnaire de l'infrastructure et si le marché s'y prête, percevoir des majorations sur la base de principes efficaces, transparents et non discriminatoires, tout en garantissant une compétitivité optimale des segments du marché ferroviaire. Le système de tarification respecte les gains de productivité réalisés par les entreprises ferroviaires ".
8. Il résulte de ces dispositions, applicables aux services de transport de passagers dans le cadre d'un contrat de service public, dits " services conventionnés ", que des majorations de redevances ayant pour but de couvrir, en plus du coût directement imputable à l'exploitation du service ferroviaire, tout ou partie des coûts fixes du réseau, peuvent être instituées sous réserve en particulier de la capacité du marché à les supporter. Le montant des majorations ne doit pas remettre en cause l'équilibre économique des contrats de service public du segment de marché considéré, en faisant peser sur les entreprises ferroviaires des majorations qu'elles ne peuvent pas supporter ou, en cas de compensation ou de paiement des redevances par les autorités organisatrices, en fixant des majorations à un niveau de nature à conduire celles-ci à prendre des mesures susceptibles d'affecter sensiblement l'utilisation de l'infrastructure sur ce segment. Les dispositions litigieuses, complétant l'article L. 2111-25 du code des transports, n'ont ni pour objet ni pour effet de méconnaître la règle selon laquelle la soutenabilité des redevances est appréciée à l'échelle du segment de marché pertinent ni, en prévoyant le respect de l'équilibre économique des entreprises ferroviaires, compte tenu des compensations de service public dont elles bénéficient, de méconnaître le principe de non-discrimination rappelé par l'article 32 de la directive du 21 novembre 2012, pas plus que le principe d'égalité.
9. En second lieu, l'ordonnance litigieuse s'est bornée sur ce point à expliciter un état du droit résultant de la rédaction antérieure de l'article L. 2111-25 du code des transports, interprété conformément aux objectifs de l'article 32 la directive 2012/34/UE. Par suite, les moyens tirés de ce que le transfert de charges de l'Etat vers les régions résultant des dispositions litigieuses constituerait un changement de doctrine de l'Etat sur la prise en charge d'une partie des coûts de l'infrastructure qui ne pouvait être raisonnablement anticipé par Île-de-France Mobilités, en méconnaissance des principes de sécurité juridique et de confiance légitime, ne peuvent qu'être écartés.
En ce qui concerne les dispositions modifiant l'article L. 2133-5 du code des transports :
10. L'article 4.2 de la directive 2012/34/UE du 21 novembre 2012 prévoit, s'agissant du gestionnaire de l'infrastructure, que " Tout en respectant le cadre de tarification et de répartition et les règles spécifiques établies par les Etats membres, le gestionnaire de l'infrastructure est responsable de son organisation, de sa gestion et de son contrôle interne. " et son article 29 que " les Etats membres mettent en place un cadre pour la tarification, tout en respectant l'indépendance de gestion prévue à l'article 4. Sous réserve de cette condition, les Etats membres établissent également des règles de tarification spécifiques ou délèguent ce pouvoir au gestionnaire de l'infrastructure. Les Etats membres veillent à ce que les documents de référence du réseau contiennent le cadre de tarification et les règles de tarification ou renvoient à un site internet sur lequel le cadre de tarification et les règles de tarification sont publiés. Le gestionnaire de l'infrastructure détermine et perçoit la redevance pour l'utilisation de l'infrastructure conformément au cadre de tarification et aux règles de tarification établis. " Pour l'autorité de contrôle, l'article 55.1 de la même directive dispose que " Chaque Etat membre institue un organisme de contrôle national unique du secteur ferroviaire. Sans préjudice du paragraphe 2, cet organisme est une autorité autonome juridiquement distincte et indépendante sur les plans organisationnel, fonctionnel, hiérarchique et décisionnel, de toute autre entité publique ou privée ". L'article 56.6 précise que " L'organisme de contrôle veille à ce que les redevances fixées par le gestionnaire de l'infrastructure soient conformes aux dispositions du chapitre IV, section 2, et non discriminatoires. ".
11. Le V de l'article L. 2133-5 du code des transports, tel que modifié par l'ordonnance, dispose que : " V.- En l'absence d'avis favorable de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières avant une date, précisée par voie réglementaire, antérieure à l'entrée en vigueur de l'horaire de service concerné, le gestionnaire d'infrastructure détermine et publie la tarification applicable sur la base de la dernière tarification ayant fait l'objet d'un avis favorable de l'autorité. L'évolution du montant des redevances par rapport à cette dernière tarification approuvée ne peut pas excéder l'évolution prévue de l'indice des prix à la consommation au cours de l'année suivant l'horaire de service de cette tarification. La tarification déterminée et publiée dans ces conditions s'applique pour toute la durée de l'horaire de service. "
12. Les dispositions litigieuses ne méconnaissent ni l'autonomie de gestion du gestionnaire de l'infrastructure, qui doit être conciliée avec l'existence d'un cadre de tarification, ni l'indépendance de l'organisme de contrôle par rapport aux autres autorités étatiques, en l'absence de substitution de ces autorités à l'organisme de contrôle pour fixer le montant des redevances dans le cas que ces dispositions ont pour objet de régler.
13. Il résulte de tout ce qui précède qu'Île-de-France Mobilités n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée. En conséquence, ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête d'Île-de-France Mobilités est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Île-de-France Mobilités et à la ministre de la transition écologique.