La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/11/2020 | FRANCE | N°430113

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 18 novembre 2020, 430113


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 avril et 21 juin 2019 et le 28 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des syndicats de travailleurs du rail solidaires, unitaires, démocratiques (SUD-rail) demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision GRH 00001 du 1er janvier 2019, portant statut des relations collectives entre les établissements publics industriels et commerciaux SNCF, SNCF Réseau et S

NCF Mobilités constituant le groupe public ferroviaire et leurs personnels, ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 avril et 21 juin 2019 et le 28 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des syndicats de travailleurs du rail solidaires, unitaires, démocratiques (SUD-rail) demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision GRH 00001 du 1er janvier 2019, portant statut des relations collectives entre les établissements publics industriels et commerciaux SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités constituant le groupe public ferroviaire et leurs personnels, notamment en tant qu'elle définit à l'article 5 de son chapitre 10 les règles relatives à l'incidence des absences sur les congés réglementaires des agents ;

2°) d'enjoindre à la SNCF, à SNCF Réseau et à SNCF Mobilités, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'abroger l'ensemble des règlements pris pour l'application des dispositions annulées ;

3°) à titre subsidiaire, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle portant sur la question de savoir si les dispositions de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 relatives au droit à un congé annuel et celles de l'article 31 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doivent être interprétées comme s'opposant à ce qu'une disposition ou une pratique nationale puisse imposer une réduction du nombre de jours de congé annuel, que ce nombre corresponde au minimum garanti par la directive ou soit supérieur à ce minimum, en raison d'absences, en particulier lorsque ces absences n'impliquent pas de repos pour le travailleur mais supposent au contraire l'exercice d'une activité, notamment de formation ;

4°) de mettre à la charge de la SNCF, de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;

- l'arrêt C-350/06 du 20 janvier 2009 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- l'arrêt C-12/17 du 4 octobre 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- l'arrêt C-609/17 et C-610/17 du 19 novembre 2019 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code des transports ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme A... B..., Auditrice,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la Fédération des syndicats de Travailleurs du rail - SUD Rail et au Cabinet Colin-Stoclet, avocat des sociétés SNCF Réseau, SNCF Gare et connexion et fret SNCF ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article L. 2101-2 du code des transports dans sa rédaction en vigueur à la date de l'acte attaqué, la SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités emploient des salariés régis par un statut particulier élaboré dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. La Fédération des syndicats de travailleurs du rail solidaires, unitaires, démocratiques demande l'annulation pour excès de pouvoir du statut particulier des personnels de la SNCF, de SNCF Réseau et de SNCF mobilités, devenue SNCF Voyageurs, dans sa version du 1er janvier 2019, applicable à compter du 1er mars 2019. Le point 1.1. de l'article 1er du chapitre 10 de ce statut prévoit que : " tout agent commissionné à temps complet a droit chaque année, du 1er janvier au 31 décembre (période de référence), à un congé réglementaire avec solde de 28 jours ouvrés, dont 2 jours de fractionnement ". Eu égard aux moyens soulevés par la fédération requérante, ses conclusions doivent être regardées comme dirigées contre les dispositions de l'article 5 du chapitre 10 du statut, relatives à l'influence des absences sur les congés réglementaires, nouvellement introduites dans ce statut.

2. Aux termes du deuxième paragraphe de l'article 31 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Tout travailleur a droit (...) à une période annuelle de congés payés ". Aux termes du premier paragraphe de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales ".

3. En premier lieu, d'une part, la Cour de justice de l'Union européenne a rappelé, aux points 33 et suivants de l'arrêt C-609/17 et C-610/17de grande chambre du 19 novembre 2019, qu'il était de jurisprudence constante que la directive 2003/88/CE ne s'opposait pas à des dispositions internes accordant un droit au congé annuel payé d'une durée supérieure aux quatre semaines prévues à l'article 7, paragraphe 1, de cette directive, dans les conditions d'obtention et d'octroi fixées par le droit national et qu'en pareil cas, les droits au congé annuel payé ainsi accordés au-delà du minimum requis par l'article 7, paragraphe 1, de la directive sont régis, non pas par celle-ci, mais par le droit national, en dehors du régime établi par la directive. Elle a dit pour droit qu'il appartient, dès lors, aux Etats-membres, d'une part, de décider s'ils octroient ou non aux travailleurs des jours de congé annuel payé supplémentaires allant au-delà de la période minimale de quatre semaines garantie par l'article 7 paragraphe 1 de la directive 2003/88 et, d'autre part, de déterminer, le cas échéant, les conditions d'octroi et d'extinction de ces jours de congé supplémentaires, sans être tenus, à cet égard, au respect des règles protectrices dégagées par la Cour en ce qui concerne cette période minimale. Elle a précisé qu'à ce titre, il est loisible aux Etats-membres de prévoir que le droit au congé annuel payé accordé par le droit national varie suivant l'origine de l'absence du travailleur pour raison de santé, pourvu qu'il soit toujours au moins égal à la période minimale de quatre semaines prévue à l'article 7 de la directive et que, de même, il demeure loisible aux Etats-membres de prévoir ou d'exclure le droit de reporter tout ou partie des jours de congé annuel payé excédant cette période minimale lorsque le travailleur s'est trouvé en situation d'incapacité de travail pour cause de maladie durant tout ou partie d'une telle période de congé, pour autant que le droit au congé annuel payé bénéficiant effectivement aux travailleurs demeure pour sa part toujours au moins égal à la période minimale de quatre semaines.

4. D'autre part, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, aux points 41 et suivants du même arrêt, que lorsque les dispositions du droit de l'Union dans un domaine ne règlementent pas un aspect et n'imposent aucune obligation spécifique aux Etats membres à l'égard d'une situation donnée, la réglementation nationale qu'édicte un Etat membre sur ce point se situe en dehors du champ d'application de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la situation concernée ne saurait être appréciée au regard des dispositions de cette dernière. Elle en a déduit que, lorsque les Etats membres accordent ou permettent aux partenaires sociaux d'accorder des droits à congé annuel payé excédant la durée minimale de quatre semaines prévue à l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, ou encore prévoient les conditions de report de ceux-ci en cas de maladie du travailleur, les Etats membres ne procèdent pas à une mise en oeuvre de cette directive, au sens de l'article 51, paragraphe 1, de la charte, définissant son champ d'application.

5. Ainsi qu'il a été dit au point 1, le statut en litige prévoit un congé annuel payé de 28 jours ouvrés, excédant ainsi la durée minimale de quatre semaines prévue à l'article 7 paragraphe 1 de la directive 2003/88/CE. Si l'article 5 du chapitre 10 de ce statut prévoit qu'à partir d'un total d'absences atteignant 30 jours, le nombre de jours de congés auquel l'agent aurait pu prétendre s'il n'avait pas été absent est diminué de deux d'un jours à partir du trentième jour d'absence et de 1 jour par période supplémentaire de 15 jours d'absence, il précise que, en cas d'absences pour raison de santé, la durée du congé annuel proportionnel ne peut être inférieure à 20 jours ouvrés par période de référence. Le droit au congé annuel payé bénéficiant effectivement aux agents régis par ce statut absents pour cause de maladie, à l'exclusion d'autres motifs, demeure ainsi toujours au moins égal à la période minimale de quatre semaines prévue à l'article 7 de la directive 2003/88/CE. Par suite, les jours de congé annuel payé qui excèdent la durée minimale de quatre semaines garantie par les dispositions de l'article 7 paragraphe 1 de la directive 2003/88/CE n'étant pas réglementés par celle-ci, la fédération requérante ne peut utilement soutenir que l'article 5 du chapitre 10 du statut méconnaîtrait ces dispositions en ce qu'il prévoit une réduction des congés payés en cas d'absence pour raison de santé, en ce qu'il opère une distinction entre les absences pour accident du travail ou maladie professionnelle et les autres absences pour raison de santé et en ce qu'il limite les conditions de report du congé annuel non pris pour cause de maladie. Pour les mêmes motifs, les dispositions attaquées du statut se situent en dehors du champ d'application de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dont la méconnaissance ne peut, par suite, être utilement invoquée.

6. En deuxième lieu, il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt C-350/06 et C-520/06 du 20 janvier 2009, que la finalité du droit à congé annuel payé résultant directement de la directive 2003/88/CE qui le distingue d'autres types de congés, est de permettre au travailleur, d'une part, de se reposer de l'exécution des tâches lui incombant selon son contrat de travail et, d'autre part, de disposer d'une période de détente et de loisirs, et que cette finalité est basée sur la prémisse que le travailleur a effectivement travaillé au cours de la période de référence. Par suite, si les Etats membres doivent s'abstenir de subordonner à quelque condition que ce soit la constitution même du droit à congé annuel payé, les travailleurs absents du travail ne sont assimilés à ceux qui ont effectivement travaillé que dans certaines situations spécifiques, telles que celle d'une absence pour maladie dûment justifiée ou d'un congé de maternité, dans lesquelles le travailleur est incapable de remplir ses fonctions. En dehors de ces situations spécifiques, ainsi que la Cour l'a déduit de la finalité des droits au congé annuel payé dans son arrêt de grande chambre C-12/17 du 4 octobre 2018, les droits au congé annuel payé doivent en principe être calculés en fonction des périodes de travail effectif accomplies en vertu du contrat de travail.

7. Il résulte de ce qui précède qu'en prévoyant qu'en cas d'absence sans solde, de suspension, d'absences dues au fait que l'agent n'avait pas encore ou n'avait plus la qualité d'agent du cadre permanent ou d'accomplissement du service national, les droits à congés sont diminués de deux jours à partir du trentième jour d'absence et d'un jour par période supplémentaire de quinze jours d'absence, sans que soit garanti à l'agent pour ces motifs d'absence le minimum de vingt jours de congé annuel prévu par l'article 7 de la directive 2003/88/CE, les dispositions critiquées, qui déterminent les droits à congés acquis en fonction des périodes de travail effectif accomplies, ne méconnaissent pas les dispositions de l'article 7 de la directive 2003/88/CE.

8. En troisième lieu, d'une part, les dispositions litigieuses ne prévoient de réduction du nombre de jours de congé annuel qu'à compter du trentième jour d'absence et, d'autre part, la durée du congé annuel proportionnel ne pouvant être inférieure à vingt jours ouvrés par période de référence en raison d'absences pour raison de santé, cette réduction ne trouve plus à s'appliquer au-delà d'un total de quatre mois d'absence pour ce motif. La réduction du nombre de jours de congé annuel s'appliquant à l'ensemble des agents, quelle que soit la durée totale de leurs absences pour raisons de santé, pendant quatre-vingt-dix jours d'absence à compter du trentième, elle ne saurait être regardée, du fait qu'elle cesse de s'appliquer au-delà, ni comme portant atteinte au principe d'égalité ni comme présentant un caractère discriminatoire à l'égard des agents absents au total moins de quatre mois dans l'année.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la Fédération des syndicats de travailleurs du rail solidaires, unitaires, démocratiques n'est pas fondée à demander l'annulation de l'article 5 du chapitre 10 de la version 18 du statut des personnels de la SNCF, de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Fédération des syndicats de travailleurs du rail solidaires, unitaires, démocratiques une somme de 500 euros à verser à la SNCF, à SNCF Réseau et à SNCF Voyageurs au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la fédération requérante présentées au même titre.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la Fédération des syndicats de travailleurs du rail solidaires, unitaires, démocratiques est rejetée.

Article 2 : La Fédération des syndicats de travailleurs du rail solidaires, unitaires, démocratique versera aux sociétés SNCF, SNCF Réseau et SNCF Voyageurs une somme de 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Fédération des syndicats de travailleurs du rail solidaires, unitaires, démocratique et à la société nationale à capitaux publics SNCF pour l'ensemble des défendeurs.

Copie en sera adressée à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 430113
Date de la décision : 18/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 18 nov. 2020, n° 430113
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Manon Chonavel
Rapporteur public ?: Mme Marie Sirinelli
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; CABINET COLIN-STOCLET

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:430113.20201118
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award