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13/11/2020 | FRANCE | N°428392

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 13 novembre 2020, 428392


Vu la procédure suivante :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Maine-et-Loire à lui verser la somme de 45 311 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis au titre des années 2008 à 2014 du fait de la méconnaissance de la durée hebdomadaire de temps de travail prévue par la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003. Par un jugement n° 1308719 du 1er mars 2017, le tribunal administratif de Nantes a partiellement fait droit à sa demande,

en condamnant le SDIS à lui verser une indemnité de 6 000 euros.

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Vu la procédure suivante :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Maine-et-Loire à lui verser la somme de 45 311 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis au titre des années 2008 à 2014 du fait de la méconnaissance de la durée hebdomadaire de temps de travail prévue par la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003. Par un jugement n° 1308719 du 1er mars 2017, le tribunal administratif de Nantes a partiellement fait droit à sa demande, en condamnant le SDIS à lui verser une indemnité de 6 000 euros.

Par un arrêt n°s 17NT01299, 17NT01339 du 26 décembre 2018, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel de M. B... et du SDIS de Maine-et-Loire, réformé ce jugement en portant à 16 000 euros le montant de l'indemnité allouée à M. B....

Par un pourvoi sommaire et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 25 février et 27 mai 2019 et le 15 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le SDIS de Maine-et-Loire demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu

- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 ;

- le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 ;

- le décret n° 2001-623 du 12 juillet 2001 ;

- le décret n° 2001-1382 du 31 décembre 2001 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat du service départemental d'incendie et de Secours de Maine et Loire et à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de M. A... B... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 octobre 2020, présentée par M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'entre 2008 et 2014, M. B..., qui était sapeur-pompier professionnel bénéficiant d'un logement en caserne au sein du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Maine-et-Loire, devait effectuer chaque année, conformément au règlement intérieur du SDIS adopté à la suite d'une délibération du 14 décembre 2001 modifiée le 9 décembre 2005, 110 gardes de 24 heures et 17 gardes de 12 heures, soit un total de 2 844 heures de garde par an. Estimant que sa durée de travail excédait le seuil maximal fixé par la directive communautaire 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, il a demandé à son employeur de l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis à raison des heures effectuées au-delà de cette durée maximale. A la suite du rejet implicite de sa demande, il a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à l'indemnisation des heures indument effectuées au titre des années 2008 à 2014. Par un jugement du 1er mars 2017, le tribunal administratif a condamné le SDIS à lui verser la somme de 6 000 euros en réparation de son préjudice moral et de l'ensemble des troubles qu'il a subis dans ses conditions d'existence en raison du surcroit de travail ayant résulté pour lui du dépassement du seuil annuel de 2 256 heures. Le SDIS se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 26 décembre 2018 de la cour administrative d'appel de Nantes qui a confirmé la réparation du préjudice moral et des troubles subis dans les conditions d'existence et y a ajouté la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'absence de rémunération des heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée maximale prévue par le décret n° 2001-1382 du 31 décembre 2001 relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels.

2. La cour, qui a jugé que M. B... avait droit à l'indemnisation du préjudice subi en raison de l'absence de rémunération des heures de travail effectuées au-delà des limites fixées par le décret du 31 décembre 2001, a insuffisamment motivé son arrêt en ne recherchant pas si l'intégralité des heures de garde effectuées entraient dans la définition des heures de travail effectif au sens de l'article 1er de ce décret. Il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, le SDIS de Maine-et-Loire est fondé à demander l'annulation de l'arrêt en tant qu'il accorde à M. B... la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi en raison de l'absence de rémunération des heures effectuées au-delà de la limite fixée par l'article 4 du décret du 31 décembre 2001.

3. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler dans cette mesure l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

4. Aux termes de l'article 6 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, laquelle a repris sur ce point les dispositions de la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 qui devait être transposée dans le droit interne des Etats au plus tard le 23 novembre 1996 : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que, en fonction des impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs : / (...) b) la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n'excède pas quarante-huit heures, y compris les heures supplémentaires ". Aux termes de l'article 16 de cette directive : " Les États membres peuvent prévoir : (...) b) pour l'application de l'article 6 (durée maximale hebdomadaire de travail), une période de référence ne dépassant pas quatre mois. / Les périodes de congé annuel payé, accordé conformément à l'article 7, et les périodes de congé de maladie ne sont pas prises en compte ou sont neutres pour le calcul de la moyenne (...) ". Aux termes du paragraphe 3 de l'article 17 de cette directive : " Conformément au paragraphe 2 du présent article, il peut être dérogé aux articles 3, 4, 5, 8 et 16:/ (...) / c) pour les activités caractérisées par la nécessité d'assurer la continuité du service ou de la production, notamment lorsqu'il s'agit : / (...) / iii) des services (...) de sapeurs-pompiers ou de protection civile ". Aux termes enfin de l'article 19 de la même directive : " La faculté de déroger à l'article 16, point b), prévue à l'article 17, paragraphe 3 (...) ne peut avoir pour effet l'établissement d'une période de référence dépassant six mois ".

5. M. B..., qui demande, au titre des années 2008 à 2012, la réparation du préjudice résultant de la perte de repos résultant du dépassement des limites communautaires rappelées au point 4, doit être regardé comme demandant en réalité une indemnisation au titre des heures travaillées au-delà de ces limites.

6. Si le dépassement de la durée maximale de travail effectif donne droit à la rémunération des heures supplémentaires effectuées au-delà de cette limite, le dépassement des limites maximales horaires fixées par la directive précitée ne peut ouvrir droit par lui-même qu'à l'indemnisation des préjudices résultant de l'atteinte à la santé et à la sécurité ainsi que des troubles subis dans les conditions d'existence, qui ont été estimés par la cour à 6 000 euros dans la partie de son arrêt devenue définitive. Ce dépassement ne saurait ouvrir droit, par lui-même, à l'indemnisation d'un préjudice patrimonial compensant l'absence de rémunération des heures effectuées au-delà de ces limites. Les conclusions de M. B... relatives à ce chef de préjudice doivent donc être rejetées.

7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du SDIS de Maine-et-Loire au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du SDIS de Maine-et-Loire qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 26 décembre 2018 est annulé en tant qu'il a alloué à M. B... la somme de 10 000 euros au titre de la réparation du préjudice résultant de l'absence de rémunération des heures effectuées au-delà des limites fixées par le décret du 31 décembre 2001 relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers.

Article 2 : Les conclusions de M. B... tendant à l'indemnisation du temps de repos perdu du fait du dépassement des limites communautaires fixées pour la durée maximale hebdomadaire de travail sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi du service départemental d'incendie et de secours de Maine-et-Loire est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de M. B... présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au service départemental d'incendie et de secours de Maine-et-Loire et à M. A... B....


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 428392
Date de la décision : 13/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 13 nov. 2020, n° 428392
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Martin Guesdon
Rapporteur public ?: M. Laurent Cytermann
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER ; SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:428392.20201113
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