Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure
D'une part, la société Corsica Ferries France a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la collectivité territoriale de Corse à lui verser la somme de 88 200 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2014, en réparation du préjudice résultant de l'exploitation du " service complémentaire " instauré par la délégation de service public pour la desserte maritime de la Corse pour la période 2007-2013.
Par un jugement n° 1500375 du 23 février 2017, le tribunal administratif de Bastia a condamné la collectivité territoriale de Corse à verser à la société Corsica Ferries France la somme de 84 362 593,12 euros, actualisée selon la méthode décrite par le rapport d'audit produit par cette société et assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2014.
D'autre part, la société Corsica Ferries France a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la collectivité territoriale de Corse à lui verser la somme de 47 115 426 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 1er août 2015, en réparation du préjudice que lui a causé son éviction illégale de la procédure de passation de la délégation de service public pour la desserte maritime de la Corse pour la période 2014-2023.
Par un jugement n° 1501123 du 23 février 2017, le tribunal administratif de Bastia a condamné la collectivité territoriale de Corse à verser à la société Corsica Ferries France la somme de 369 504,56 euros.
Par un arrêt n°s 17MA01582, 17MA01583 du 12 février 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a prononcé le sursis à exécution du jugement n° 1500375 du 23 février 2017 du tribunal administratif de Bastia.
Par un arrêt n° 19MA01498 du 2 mars 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté la demande de la société Corsica Ferries France tendant à ce qu'elle révoque le sursis à exécution du jugement qu'elle a prononcé.
La société Corsica Ferries a demandé au juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille, sur le fondement des dispositions des articles R. 5411 et R. 541-5 du code de justice administrative, de condamner la collectivité de Corse à lui verser, à titre de provision, la somme de 30 000 000 euros à valoir sur les indemnités dues en réparation, d'une part, des conditions d'exploitation du service complémentaire mis en place dans le cadre de la délégation de service public pour la desserte maritime de la Corse au titre de la période 2007-2013 et, d'autre part, de son éviction de la procédure de passation de la délégation de service public pour la desserte maritime de la Corse au titre de la période 20142023.
Par une ordonnance n° 20MA01212 du 4 juin 2020, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille a condamné la collectivité de Corse à verser à la société Corsica Ferries une provision d'un montant de 20 000 000 euros à valoir sur les indemnités dues en réparation des conditions d'exploitation du service complémentaire mis en place dans le cadre de la délégation de service public pour la desserte maritime de la Corse au titre de la période 2007-2013 et rejeté le surplus des conclusions de la société requérante.
Procédures devant le Conseil d'Etat
1° Sous le n° 439598, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 et 31 mars et 16 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Corsica Ferries France, devenue la société Corsica Ferries, demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 19MA01498 du 2 mars 2020 de la cour administrative d'appel de Marseille ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions en prononçant la révocation totale ou partielle du sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 février 2017.
2° Sous le n° 441324, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 juin, 3 juillet et 22 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la collectivité de Corse demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 20MA01212 du 4 juin 2020 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Corsica Ferries ;
3°) de mettre à la charge de la société Corsica Ferries la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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3° Sous le n° 441620, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 juillet et 22 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la collectivité de Corse demande au Conseil d'Etat :
1°) d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de l'ordonnance n° 20MA01212 du 4 juin 2020 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille ;
2°) de mettre à la charge de la société Corsica Ferries la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexis Goin, auditeur,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Corsica Ferries, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la collectivité de Corse, et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Corsica Ferries ;
Considérant ce qui suit :
1. Les pourvois et la requête visés ci-dessus présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et au juge des référés que, par une délibération du 7 juin 2007, l'Assemblée de Corse, organe délibérant du conseil régional de Corse, aux droits duquel est venue la collectivité de Corse, a attribué au groupement constitué entre la Société nationale Corse Méditerranée et la Compagnie méditerranéenne de navigation la délégation de service public de la desserte maritime entre le port de Marseille et plusieurs ports de Corse pour la période courant du 1er juillet 2007 au 31 décembre 2013. Par une délibération du 6 septembre 2013, cette collectivité a attribué une nouvelle délégation de service public de la desserte maritime de la Corse au même groupement pour la période courant du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2023. S'agissant de la délégation de service public pour la période 2007-2013, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé la décision d'attribution de la délégation de service public par un arrêt du 6 avril 2016. S'agissant de la délégation de service public pour la période 2014-2020, le tribunal administratif de Bastia a prononcé la résiliation de la délégation de service public à compter du 1er octobre 2016 par un jugement du 7 avril 2015. La cour administrative d'appel de Marseille a confirmé ce jugement par un arrêt du 4 juillet 2016. Le pourvoi en cassation contre cet arrêt a été rejeté par une décision du 25 octobre 2017 du Conseil d'Etat statuant au contentieux. La société Corsica Ferries a demandé à la collectivité l'indemnisation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait, d'une part, des conséquences dommageables de l'instauration d'un service dit " complémentaire " dans le cadre de la délégation de service public pour la période 2007-2013 et, d'autre part, de son éviction de la procédure de passation de la délégation de service public pour la période 2014-2023. A la suite du rejet implicite de ces demandes, le tribunal administratif de Bastia, saisi par la société Corsica Ferries a, par un jugement n° 1500375 du 23 février 2017, condamné la collectivité territoriale de Corse à verser à cette société une indemnité de 84 362 593,12 euros au titre du préjudice relatif à la période 2007-2013 et, par un second jugement n° 1501123 du même jour, condamné la même collectivité à lui verser la somme de 369 504,56 euros au titre du préjudice relatif à la période 2014-2020, correspondant à l'indemnisation des seuls frais exposés par la société pour la présentation de son offre. Par un arrêt du 12 février 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a retenu le principe de la responsabilité pour faute de la collectivité de Corse s'agissant de la période 2007-2013, a prescrit avant-dire droit une expertise en vue d'évaluer le préjudice économique de la société Corsica Ferries, et a ordonné qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 1500375 du tribunal administratif de Bastia du 23 février 2017.
3. Par l'arrêt du 2 mars 2020 attaqué sous le n° 439598, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté la demande de la société Corsica Ferries tendant à la révocation de ce sursis à exécution. Par l'ordonnance du 4 juin 2020 attaquée sous le n° 441324, le juge des référés de cette cour a fait droit à hauteur de 20 000 000 euros à la demande de cette société tendant à ce qu'il ordonne le paiement d'une provision à valoir sur les indemnités dues en réparation des préjudices causés par l'exploitation de la délégation de service public pour la période 2007-2013. Il a en revanche rejeté la demande de provision au titre de l'éviction de cette société de la procédure de passation de la délégation de service public pour la période 2014-2023. Il s'ensuit que le pourvoi de la collectivité de Corse dirigé contre cette ordonnance doit être regardé comme tendant à l'annulation de celle-ci en tant seulement qu'elle a accordé une provision à la société Corsica Ferries.
Sur le cadre juridique :
4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 811-17 du code de justice administrative : " (...) le sursis peut être ordonné à la demande du requérant si l'exécution de la décision de première instance attaquée risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens énoncés dans la requête paraissent sérieux en l'état de l'instruction ". Selon l'article R. 811-18 du même code : " A tout moment, la juridiction d'appel peut mettre fin au sursis qu'elle a ordonné ".
5. Lorsque le juge d'appel est saisi d'une demande de révocation du sursis à exécution qu'il a prononcé, il lui incombe de statuer au vu de l'argumentation développée devant lui par l'appelant et par le défendeur et en tenant compte, le cas échéant, des moyens qu'il est tenu de soulever d'office. Il peut prendre en compte les pièces du dossier du litige au fond. Si, en l'état de l'instruction, il considère que les moyens de la requête ne sont pas sérieux ou que l'exécution du jugement n'est plus de nature à entraîner des conséquences difficilement réparables, il doit révoquer le sursis en précisant la condition qui n'est plus remplie. Il peut également prononcer une révocation partielle du sursis.
6. En second lieu, aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ".
7. Ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre à un requérant de faire obstacle au caractère suspensif du sursis à exécution ordonné par le juge d'appel à l'égard d'un jugement prononçant une condamnation pécuniaire. Il s'ensuit qu'est irrecevable la demande tendant à l'octroi d'une provision formée devant le juge des référés, lorsque celle-ci porte sur l'obligation en litige dans l'instance ayant donné lieu au prononcé du sursis à exécution. Le requérant peut, en revanche, former une demande de révocation partielle ou totale du sursis à exécution devant le juge d'appel sur le fondement de l'article R. 811-18 du code de justice administrative, ainsi qu'il est dit au point 5 de la présente décision.
Sur le pourvoi de la société Corsica Ferries dirigé contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 2 mars 2020 :
8. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que la cour administrative d'appel de Marseille, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas commis d'erreur de droit en se référant aux pièces du dossier de fond dont était saisi le juge d'appel pour statuer sur la demande de la société Corsica Ferries tendant à la révocation du sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 février 2017.
9. En deuxième lieu, en jugeant sérieux le moyen tiré de ce que le préjudice de la société Corsica Ferries avait été surestimé par le tribunal administratif de Bastia, eu égard aux arguments développés par la collectivité de Corse et malgré l'évaluation encore plus élevée qu'en propose l'expert judiciaire, la cour, qui n'était pas tenue, ainsi qu'il a été dit au point 5, de prononcer la levée partielle du sursis à exécution, et qui n'était, au surplus, pas saisie de conclusions en ce sens, n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les faits.
10. En troisième lieu, la cour n'a pas dénaturé les faits ni les pièces du dossier en estimant, compte tenu du montant de la condamnation prononcée par le tribunal administratif de Bastia, que l'exécution de son jugement se traduirait par des conséquences difficilement réparables pour la collectivité de Corse.
11. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la société Corsica Ferries dirigé contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 2 mars 2020 doit être rejeté.
Sur le pourvoi et la requête à fin de sursis à exécution de la collectivité de Corse dirigés contre l'ordonnance du 4 juin 2020 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille :
12. Il ressort des pièces soumises au juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille que la société Corsica Ferries demandait qu'il lui soit accordé une provision sur l'indemnisation de son préjudice relatif à la délégation de service public pour la desserte maritime de la Corse au titre de la période 20072013. Cette obligation est en litige dans l'instance ayant donné lieu au jugement n° 1500375 du 23 février 2017 du tribunal administratif de Bastia condamnant la collectivité de Corse au paiement d'une somme de 84 362 593,12 euros. Le sursis à exécution de ce jugement a été prononcé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 12 février 2018, puis confirmé par un arrêt du 2 mars 2020, par lequel la cour a rejeté la demande de la société Corsica Ferries tendant à la révocation de ce sursis.
13. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 qu'en jugeant que la demande de provision présentée par la société Corsica Ferries était recevable alors qu'elle portait sur une obligation en litige dans l'instance ayant donné lieu au sursis à exécution de la condamnation pécuniaire correspondante, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit. Par suite et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, la collectivité de Corse est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée, en tant qu'elle a accordé une provision à ce titre à la société Corsica Ferries.
14. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, dans la mesure de l'annulation prononcée.
15. Il résulte de ce qui a été dit au point 14 que la demande de la société Corsica Ferries tendant à l'octroi d'une provision sur l'indemnisation de son préjudice relatif à la délégation de service public pour la desserte maritime de la Corse au titre de la période 20072013 est irrecevable. Par suite, sa demande présentée devant le juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille ne peut qu'être rejetée.
16. L'ordonnance du juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille du 4 juin 2020 étant annulée dans la mesure demandée par la collectivité de Corse, les conclusions qu'elle présente aux fins de sursis à exécution de cette ordonnance sont devenues sans objet.
Sur les frais des instances :
17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Corsica Ferries la somme globale de 6 000 euros à verser à la collectivité de Corse au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions du même article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la collectivité de Corse qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Corsica Ferries est rejeté.
Article 2 : L'article 1er de l'ordonnance du 4 juin 2020 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.
Article 3 : La demande présentée par la société Corsica Ferries devant le juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille, en tant qu'elle concerne l'octroi d'une provision sur l'indemnisation de son préjudice relatif à la délégation de service public pour la desserte maritime de la Corse au titre de la période 2007-2013, est rejetée.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 441620 de la collectivité de Corse tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de l'ordonnance du 4 juin 2020 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 5 : La société Corsica Ferries versera à la collectivité de Corse la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées au même titre par la société Corsica Ferries sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Corsica Ferries et à la collectivité de Corse.