Vu la procédure suivante :
La société du grand casino de Dinant a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille d'annuler, sur le fondement de l'article R. 551-1 du code de justice administrative, la procédure de délégation de service public engagée par la commune de Saint-Amand-les-Eaux pour la gestion et l'exploitation du casino de la commune. Par une ordonnance n° 1910550 du 10 janvier 2020, le juge des référés a annulé la procédure attaquée.
1° Sous le n° 437946, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 janvier et 5 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Saint-Amand-les-Eaux demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à ses conclusions et de rejeter la demande de la société du grand casino de Dinant ;
3°) de mettre à la charge de la société du grand casino de Dinant la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 437975, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 janvier et 11 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société du casino de Saint-Amand-les-Eaux demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société du grand casino de Dinant ;
3°) de mettre à la charge de la société du grand casino de Dinant la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;
- le décret n° 2016-86 du 1er février 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme A... B..., maître des requêtes,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Saint-Amand-les-Eaux, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de la société du casino de Saint-Amand-les-Eaux et à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de la société du grand casino de Dinant ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 octobre 2020, présentée par la société du casino de Saint-Amand-les-Eaux ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 octobre 2020, présentée par la commune de Saint-Amand-les-Eaux ;
Considérant ce qui suit :
1. Les pourvois de la commune de Saint-Amand-les-Eaux et de la société du casino de Saint-Amand-les-Eaux sont dirigés contre la même ordonnance. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Lille que la commune de Saint-Amand-les-Eaux, classée station thermale et ayant un casino, a lancé, en mars 2019, un avis d'appel à concurrence en vue du renouvellement du contrat de délégation de service public portant sur la gestion et l'exploitation de son casino. Deux offres lui ont été remises : celle de l'ancien attributaire du contrat de concession, la société du casino de Saint-Amand-les-Eaux, et celle de la société du grand casino de Dinant. Au terme de l'examen des offres et de la phase de négociation, l'offre de cette dernière a été rejetée par un courrier du 5 décembre 2019, au motif que le candidat retenu proposait un programme d'investissement plus ambitieux consistant en un réaménagement de l'ouvrage. Par une ordonnance du 10 janvier 2020, contre laquelle la commune de Saint-Amand-les-Eaux et la société du casino de Saint-Amand-les-Eaux se pourvoient en cassation, le juge des référés a annulé, à la demande de la candidate évincée, la procédure de passation de la délégation de service public engagée par la commune pour la gestion et l'exploitation de son casino.
3. Aux termes de l'article 27 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession : " La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ". Aux termes du I de l'article 34 du même texte : " Les contrats de concession sont limités dans leur durée. Cette durée est déterminée par l'autorité concédante en fonction de la nature et du montant des prestations ou des investissements demandés au concessionnaire, dans les conditions prévues par voie réglementaire ". Aux termes de l'article 6 du décret du 1er février 2016 pris pour son application : " I. - Pour l'application de l'article 34 de l'ordonnance du 29 janvier 2016, les investissements s'entendent comme les investissements initiaux ainsi que ceux devant être réalisés pendant la durée du contrat de concession, nécessaires pour l'exploitation des travaux ou des services concédés. Sont notamment considérés comme tels les travaux de renouvellement, les dépenses liées aux infrastructures, aux droits d'auteur, aux brevets, aux équipements, à la logistique, au recrutement et à la formation du personnel. / II. - Pour les contrats de concession d'une durée supérieure à cinq ans, la durée du contrat n'excède pas le temps raisonnablement escompté par le concessionnaire pour qu'il amortisse les investissements réalisés pour l'exploitation des ouvrages ou services avec un retour sur les capitaux investis, compte tenu des investissements nécessaires à l'exécution du contrat (...) ".
4. Les concessions sont soumises aux principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, qui sont des principes généraux du droit de la commande publique. Pour assurer le respect de ces principes, la personne publique doit apporter aux candidats à l'attribution d'une concession, avant le dépôt de leurs offres, une information suffisante sur la nature et l'étendue des besoins à satisfaire. Il lui appartient à ce titre d'indiquer aux candidats les caractéristiques essentielles de la concession et la nature et le type des investissements attendus ainsi que les critères de sélection des offres. S'il est loisible à l'autorité concédante d'indiquer précisément aux candidats l'étendue et le détail des investissements qu'elle souhaite les voir réaliser, elle n'est pas tenue de le faire à peine d'irrégularité de la procédure. Il lui est en effet possible, après avoir défini les caractéristiques essentielles de la concession, de laisser les candidats définir eux-mêmes leur programme d'investissement, sous réserve qu'elle leur ait donné des éléments d'information suffisants sur la nécessité de prévoir des investissements, sur leur nature et leur consistance et sur le rôle qu'ils auront parmi les critères de sélection des offres.
5. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que le juge des référés a estimé qu'en raison du caractère imprécis des indications données aux candidats sur le montant et la nature des investissements souhaités, la commune de Saint-Amand-les-Eaux ne pouvait être regardée comme ayant suffisamment déterminé l'étendue de ses besoins et qu'elle avait par suite manqué aux obligations de publicité et de mise en concurrence mentionnées au point 4. En statuant ainsi, alors que la commune avait informé les candidats sur le périmètre du service public concédé, sur l'état et les caractéristiques des installations soumises à concession, sur la nécessité de prévoir des investissements, sur l'importance qu'elle entendait accorder à ces investissements dans l'appréciation du mérite de chaque offre et sur la durée de la concession, laquelle est toujours fonction, au terme ou non d'une négociation entre les parties, de l'ampleur des investissements à consentir, le juge des référés a commis une erreur de droit. Par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son ordonnance doit être annulée.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. Pour assurer le respect des principes mentionnés au point 4, la personne publique doit s'assurer qu'elle n'octroie pas d'avantages à l'un des concurrents à l'attribution d'une concession dans sa capacité à présenter une offre répondant aux documents de consultation.
8. Il résulte de l'instruction que la commune de Saint-Amand-les-Eaux a conclu le 19 avril 2002 un bail emphytéotique administratif d'une durée de trente ans avec la société du casino de Saint-Amand-les-Eaux, ayant pour objet la réalisation, le financement et l'exploitation d'un complexe de loisirs multi-activités, comportant un casino. Elle a concomitamment attribué à la même société, le 16 avril 2002, une convention de concession d'exploitation du casino, d'une durée de dix-huit ans. L'article 1er de chacun de ces contrats indiquait qu'il constituait avec l'autre un tout indivisible. Le contrat de concession d'exploitation étant arrivé à échéance en 2020, la commune a prévu que la société du casino de Saint-Amand-les-Eaux, concessionnaire sortant et titulaire du bail emphytéotique administratif, mettrait à la disposition du futur concessionnaire, moyennant le versement d'un loyer, le casino et qu'un contrat de mise à disposition du casino, figurant parmi les documents de la consultation et prohibant toute sous-occupation et toute constitution de droits réels par l'occupant, devrait être conclu à cette fin. En imposant ainsi ce montage aux candidats au renouvellement de la concession, alors qu'il lui appartenait de résilier le bail emphytéotique au terme du premier contrat de concession, avec lequel il formait un tout indivisible, et de prévoir, dans la nouvelle convention, les modalités d'occupation du domaine public, la commune de Saint-Amand-les-Eaux a méconnu le principe d'égalité de traitement des candidats. Un tel manquement est de nature à avoir lésé la société requérante. Il suit de là que la société du grand casino de Dinant est fondée à demander l'annulation de la procédure de passation de la délégation de service public engagée par la commune de Saint-Amand-les-Eaux pour la gestion et l'exploitation de son casino.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société du grand casino de Dinant qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Saint-Amand-les-Eaux et de la société du casino de Saint-Amand-les-Eaux chacune la somme de 3 000 euros à verser à la société du grand casino de Dinant, au titre de la première instance et de l'instance de cassation.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 10 janvier 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Lille est annulée.
Article 2 : La procédure de passation de délégation de service public engagée par la commune de Saint-Amand-les-Eaux pour la gestion et l'exploitation de son casino est annulée.
Article 3 : La commune de Saint-Amand-les-Eaux et la société du casino de Saint-Amand-les-Eaux verseront chacune à la société du grand casino de Dinant la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la commune de Saint-Amand-les-Eaux et de la société du casino de Saint-Amand-les-Eaux présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Saint-Amand-les-Eaux, à la société du casino de Saint-Amand-les-Eaux et à la société du grand casino de Dinant.