Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 23 février 2016 par lequel le ministre des affaires étrangères et du développement international a mis fin à son appel spécial et l'arrêté du 24 février 2016 du ministre portant rupture d'établissement après appel spécial. Par un jugement n° 1603262 du 24 avril 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 18NT02404 du 1er octobre 2019, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel de M. A..., annulé ce jugement et les arrêtés contestés du ministre des affaires étrangères et du développement international, puis enjoint au ministre de réexaminer la situation de l'intéressé dans un délai de deux mois.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 novembre 2019, 28 février et 9 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. A....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 67-290 du 28 mars 1967 ;
- le décret n° 79-433 du 1er juin 1979 ;
- le décret n° 2010-569 du 8 mai 2010 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A..., adjoint administratif de chancellerie de 1ère classe, a été affecté par arrêté du 19 mai 2015 à l'ambassade de France aux Etats-Unis en qualité de gestionnaire comptable et administratif. Par un arrêté du ministre des affaires étrangères et du développement international du 18 novembre 2015, il a été placé en situation d'appel spécial à compter du 27 novembre 2015, recevant ainsi instruction de quitter les Etats-Unis et de rejoindre la France. Par un deuxième arrêté, en date du 23 février 2016, le ministre a mis fin au placement de l'intéressé en position d'appel spécial à compter du 28 février 2016. Enfin, par un troisième arrêté, en date du 24 février 2016, le ministre a " rompu l'établissement " de M. A... au sein de l'ambassade de France aux Etats-Unis à compter du 27 février 2016 en vue de l'affecter pour plus de six mois à l'administration centrale. Par un jugement du 24 avril 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation des arrêtés des 23 et 24 février 2016. Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 1er octobre 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, sur appel de M. A..., a annulé ce jugement et ces deux arrêtés et lui a enjoint de réexaminer la situation de l'intéressé.
2. D'une part, aux termes l'article 22-1 du décret du 28 mars 1967 fixant les modalités de calcul des émoluments des personnels de l'Etat en service à l'étranger : " L'appel spécial est la situation de l'agent qui, en raison de la situation politique ou des circonstances locales appréciées par le ministre ou par le directeur de l'établissement public dont relève l'intéressé, reçoit instruction soit de quitter le pays où il est affecté et de regagner la France métropolitaine, soit, s'il est en congé, de rentrer en France métropolitaine ou d'y demeurer. / (...) L'agent placé en appel spécial est à la disposition de l'administration dont il dépend. Le ministre ou le directeur de l'établissement public dont dépend l'agent décide de mettre fin à l'appel spécial ". D'autre part, aux termes du 8° de l'article 2 du décret du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées, peuvent être inscrites dans ce fichier, sous la rubrique " S " : " Les personnes faisant l'objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat, dès lors que des informations ou des indices réels ont été recueillis à leur égard ".
3. Si l'inscription d'une personne dans le fichier des personnes recherchées pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat ne saurait, par elle-même, suffire à établir que cette personne présente une telle menace, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il est informé d'une telle inscription, que la fiche soit ou non produite à l'instance par l'administration qui s'en prévaut, de se forger une conviction au vu de l'argumentation des parties sur ce point, sans qu'il soit tenu d'user de ses pouvoirs d'instruction, notamment en appelant le ministre de l'intérieur dans l'instance, s'il s'estime suffisamment informé par le débat contradictoire entre les parties.
4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que pour justifier l'édiction des arrêtés en litige, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères s'est borné à invoquer le contexte particulier qui avait suivi les attentats du 13 novembre 2015, caractérisé notamment par le vote d'une loi relative à l'état d'urgence, et de faire état de l'inscription de M. A... dans le fichier des personnes recherchées pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat, sans toutefois donner aucun élément sur les motifs de cette inscription.
5. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la cour administrative d'appel de Nantes n'a pas commis d'erreur de droit en s'abstenant d'user de ses pouvoirs d'instruction pour apprécier la réalité de la menace que pouvait représenter M. A... pour la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat, dès lors qu'elle a estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, qu'il résultait du débat contradictoire entre les parties, notamment des éléments produits par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, que l'existence de cette menace n'était pas établie et que, par suite, les arrêtés en litige étaient entachés d'une erreur manifeste d'appréciation.
6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'Europe et des affaires étrangères n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'Europe et des affaires étrangères est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à M. B... A....