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15/10/2020 | FRANCE | N°438488

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 15 octobre 2020, 438488


Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 février et 4 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 6 janvier 2020 prononçant sa révocation à titre de sanction ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 ;

-

le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile V...

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 février et 4 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 6 janvier 2020 prononçant sa révocation à titre de sanction ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Viton, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de M. A... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 1er octobre 2020, présentée par le ministre des solidarités et de la santé ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., administrateur civil de classe normale, demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret 6 janvier 2020 par lequel le Président de la République a prononcé à son encontre la révocation, à titre de sanction, pour méconnaissance du devoir de réserve, de l'obligation de discrétion professionnelle et de l'obligation de dignité attachés à ses fonctions.

2. Aux termes du décret attaqué, il est reproché à M. A... d'avoir publié, d'une part, trois articles, au cours de l'année 2015, sur un site internet, dans lesquels il a fait état de sa qualité d'administrateur civil et émis de vives critiques à l'encontre de l'administration et du Gouvernement et, d'autre part, sous pseudonyme sur un blog hébergé par le site Médiapart et sous son nom propre sur son blog personnel, un même article daté respectivement du 3 décembre 2017 et du 8 janvier 2019, dans lequel il formule de vives critiques à l'encontre du Président de la République. Il est par ailleurs reproché à M. A... d'avoir, à la suite de sa prise de fonctions, en décembre 2017, de chargé de mission auprès du chef de service de la direction des ressources humaines des ministères chargés des affaires sociales, en qualité de référent pour le plan de continuité d'activité ministériel, publiquement dénigré l'action des ministères sociaux sur ce dossier et transmis, le 9 mars 2018, à un service extérieur à son ministère, des éléments confidentiels sur la situation administrative d'un agent. Il est en outre reproché à M. A... d'avoir, le 6 décembre 2018, adressé des courriels à un grand nombre d'agents de son ministère contenant de nombreuses critiques dirigées contre des responsables de la direction des ressources humaines des ministères sociaux, diffusé simultanément des vidéos sur son compte Facebook dans lesquelles il se présentait comme un gilet jaune et faisait état de sa qualité d'administrateur civil et de ses fonctions au sein des ministères sociaux, et d'avoir, le même jour, à l'heure du déjeuner, au restaurant administratif de son ministère, commis un acte d'atteinte à sa personne qu'il aurait ultérieurement qualifié de " signe de protestation ", dans un courriel adressé à la direction des ressources humaines des ministères sociaux le 20 février 2019. Enfin, il est reproché à M. A... d'avoir, dans ce même courriel du 20 février 2019, retranscrit un échange avec son médecin traitant contenant des injures à l'encontre du chef de service de la direction des ressources humaines des ministères sociaux et, plus généralement, de la fonction publique et des fonctionnaires.

3. En premier lieu, aux termes de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction issue de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires : " Aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d'un délai de trois ans à compter du jour où l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits passibles de sanction. (...) / Passé ce délai et hormis le cas où une autre procédure disciplinaire a été engagée à l'encontre de l'agent avant l'expiration de ce délai, les faits en cause ne peuvent plus être invoqués dans le cadre d'une procédure disciplinaire ". Lorsqu'une loi nouvelle institue ainsi, sans comporter de disposition spécifique relative à son entrée en vigueur, un délai de prescription d'une action disciplinaire dont l'exercice n'était précédemment enfermé dans aucun délai, le nouveau délai de prescription est applicable aux faits antérieurs à la date de son entrée en vigueur mais ne peut, sauf à revêtir un caractère rétroactif, courir qu'à compter de cette date. Il suit de là que le délai institué par les dispositions précitées a couru, en ce qui concerne les faits antérieurs au 22 avril 2016, date d'entrée en vigueur de la loi du 20 avril 2016, à compter de cette date.

4. Les premiers manquements retenus à l'encontre de M. A... ont été commis au cours de l'année 2015 par le biais de publications sur un site internet. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du droit de réponse publié sur ce même site par la directrice de l'Ecole nationale d'administration le 2 avril 2015, des mentions manuscrites portées par les services du ministère dont relevait M. A... sur deux de ses courriers des 1er et 29 mars 2016 et des termes d'un courrier de ces mêmes services du 3 novembre 2017, que l'administration avait, avant le 22 avril 2016, une connaissance effective des articles publiés par M. A.... Il résulte de ce qui a été dit au point 3 ci-dessus que les faits commis en 2015 ne peuvent plus être invoqués dans le cadre de la procédure disciplinaire ayant conduit à la révocation de l'intéressé, dès lors qu'elle a été engagée le 27 mai 2019, soit plus de trois ans après le 22 avril 2016.

5. En deuxième lieu, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a publié, sous pseudonyme le 3 décembre 2017, et sous son nom propre, le 8 janvier 2019, sur deux sites internet, un même article critiquant en des termes outranciers et irrespectueux l'action du Président de la République. A cet égard, l'utilisation d'un pseudonyme sur le blog hébergé par Médiapart ainsi que la très faible audience du blog personnel de M. A... ne sont pas de nature à priver de son caractère public l'article qui y a été publié. En outre, il a diffusé, les 6 décembre 2018 et 20 février 2019, des courriels et vidéos contenant de vives critiques à l'encontre de l'action de son ministère d'affectation et plus généralement de la fonction publique, ainsi que des injures à l'encontre de responsables de la direction des ressources humaines de son ministère. Il a enfin transmis, le 9 mars 2018, des éléments confidentiels relatifs à la situation administrative d'un agent à un service extérieur à son ministère, sans qu'il puisse utilement justifier cet acte par la volonté de révéler d'éventuelles illégalités ou des actes délictueux. L'ensemble de ces faits constituent des violations des obligations de réserve, de discrétion professionnelle et de dignité auxquels sont tenus les fonctionnaires, particulièrement ceux relevant d'un corps tel que le corps des administrateurs civils auquel appartient M. A.... Par suite, ces manquements, dont l'exactitude matérielle n'est pas contestée, sont constitutifs de fautes de nature à justifier une sanction disciplinaire.

7. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment de la décision d'admission en soins psychiatriques du 8 décembre 2018 et du rapport d'expertise établi le 18 septembre 2019 par un médecin psychiatre à l'attention de la commission de réforme ministérielle saisie afin de déterminer l'imputabilité au service de l'accident survenu le 6 décembre 2018, que l'état de détresse psychologique de M. A... avait justifié, après son passage à l'acte suicidaire, une hospitalisation sous contrainte en hôpital psychiatrique et la prescription continue d'arrêts de travail du 12 décembre 2018 au 3 septembre 2019. Selon le rapport d'expertise, M. A... serait atteint de troubles psychopathologiques sévères et de gravité confirmée, entraînant une altération importante du fonctionnement social et professionnel et ne permettant pas une reprise immédiate des fonctions. Dans ces conditions, compte tenu de l'état de santé de M. A..., de nature à altérer son discernement, l'autorité disciplinaire, qui disposait d'un éventail de sanctions de nature et de portée différentes, a, en faisant le choix de la révocation qui met définitivement fin à la qualité de fonctionnaire, prononcé à l'encontre de M. A... une sanction hors de proportion avec les fautes commises. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, M. A... est fondé à demander l'annulation du décret qu'il attaque.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Le décret du 6 janvier 2020 du Président de la République prononçant la sanction disciplinaire de la révocation à l'encontre de M. B... A... est annulé.

Article 2 : L'Etat versera à M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., au Premier ministre et au ministre des solidarités et de la santé.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 438488
Date de la décision : 15/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 15 oct. 2020, n° 438488
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Viton
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SCP MARLANGE, DE LA BURGADE

Origine de la décision
Date de l'import : 24/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:438488.20201015
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