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15/10/2020 | FRANCE | N°432873

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 15 octobre 2020, 432873


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 23 juillet 2019, le 2 octobre 2019 et le 3 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Banque d'escompte demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'ordonner la tenue d'une médiation en application des dispositions de l'article L. 114-1 du code de justice administrative, dans le litige qui l'oppose à la commission des sanctions de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, qui, par sa décision du 11 juillet 2019, a prononcé un blâme ai

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Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 23 juillet 2019, le 2 octobre 2019 et le 3 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Banque d'escompte demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'ordonner la tenue d'une médiation en application des dispositions de l'article L. 114-1 du code de justice administrative, dans le litige qui l'oppose à la commission des sanctions de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, qui, par sa décision du 11 juillet 2019, a prononcé un blâme ainsi qu'une sanction pécuniaire de 200 000 euros à son encontre et a décidé de publier pendant cinq ans sa décision au registre officiel de l'Autorité sous une forme nominative ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler ou, à défaut, de réformer la décision du 11 juillet 2019 de la commission des sanctions de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ;

3°) d'enjoindre à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution de publier la décision à intervenir du Conseil d'Etat sur son site internet, dans l'hypothèse où le Conseil d'Etat prononcerait son annulation ou sa réformation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015, notamment son article 60 ;

- le code monétaire et financier ;

- l'arrêté du 3 novembre 2014 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Viton, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la Banque d'escompte et à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction qu'à la suite d'un contrôle diligenté par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) du 4 mai au 7 septembre 2017, portant sur la conformité du dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme mis en oeuvre par la société Banque d'escompte, une procédure disciplinaire a été ouverte à l'encontre de cet établissement de crédit. Par une décision du 11 juillet 2019, la commission des sanctions de cette autorité a prononcé à l'encontre de la société Banque d'escompte un blâme ainsi qu'une sanction pécuniaire de 200 000 euros et ordonné la publication de cette décision au registre de l'ACPR, pendant cinq ans sous une forme nominative, puis sous une forme anonyme. La société Banque d'escompte demande que soit ordonnée la tenue d'une médiation ou, à défaut, l'annulation de cette décision et, à titre subsidiaire, la réduction du montant de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée et l'annulation de la sanction complémentaire de publication.

Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit ordonné une médiation :

2. Aux termes de l'article L. 114-1 du code de justice administrative : " Lorsque le Conseil d'Etat est saisi d'un litige en premier et dernier ressort, il peut, après avoir obtenu l'accord des parties, ordonner une médiation pour tenter de parvenir à un accord entre celles-ci (...) ". Il n'y pas lieu pour le Conseil d'Etat, dans les circonstances de l'espèce, de proposer une médiation aux parties.

Sur la régularité de la décision attaquée :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-38 du code monétaire et financier : " Le membre du collège de supervision ou du collège de résolution désigné par la formation qui a décidé de l'ouverture de la procédure de sanction est convoqué à l'audience. (...). Il peut présenter des observations au soutien des griefs notifiés et proposer une sanction ". La faculté ainsi ouverte à un membre du collège ayant pris part à la phase d'instruction préalable à l'instance disciplinaire de présenter des observations et de proposer une sanction doit être regardée comme la possibilité d'émettre un avis, qui ne lie la commission des sanctions ni quant au principe même du prononcé d'une sanction, ni quant au quantum de celle-ci. Eu égard au caractère et aux modalités de la procédure suivie devant la commission des sanctions ainsi qu'à la possibilité offerte aux personnes poursuivies de s'exprimer en dernier lieu, ni le caractère contradictoire de la procédure ni le principe des droits de la défense rappelés tant par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen que par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'implique, contrairement à ce qui est soutenu, que la proposition de sanction formulée lors de l'audience par le membre du collège soit communiquée préalablement aux personnes poursuivies. Ainsi, le moyen tiré de ce que la procédure aurait été irrégulière faute de communication au requérant, préalablement à la séance, de la proposition de sanction formulée par le représentant du collège, doit être écarté.

4. En second lieu, si la décision par laquelle la commission des sanctions rend publique la sanction prononcée a le caractère d'une sanction complémentaire, elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation spécifique, distincte de la motivation d'ensemble de la sanction principale. Cette motivation d'ensemble ne saurait être regardée, en l'espèce, comme insuffisante, ce que la société Banque d'escompte ne conteste d'ailleurs pas. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée, en tant qu'elle prononce une sanction complémentaire de publication, doit être écarté.

Sur le bien-fondé de la décision attaquée :

En ce qui concerne le grief relatif aux insuffisances en matière d'évaluation des risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme :

5. L'article L. 561-4-1 du code monétaire et financier prévoit que les banques " définissent et mettent en place des dispositifs d'identification et d'évaluation des risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme auxquels elles sont exposées ainsi qu'une politique adaptée à ces risques " et qu'elles " élaborent en particulier une classification des risques en question en fonction de la nature des produits ou services offerts, des conditions de transaction proposées, des canaux de distribution utilisés, des caractéristiques des clients, ainsi que du pays ou du territoire d'origine ou de destination des fonds ".

6. En premier lieu, en estimant que ces dispositions imposent aux établissements financiers exerçant des opérations de transfert de fonds d'identifier les risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme spécifiques à chacun des pays ou territoires d'origine ou de destination des fonds, la commission des sanctions n'a pas méconnu la portée des dispositions de cet article.

7. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la société Banque d'escompte n'avait pas procédé à une évaluation distincte des risques représentés par les transferts de fonds en fonction des pays concernés par son activité de transfert de fonds à destination de pays émergents. La société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'ensemble des pays concernés par cette activité présentaient le même degré de risque, dès lors, notamment, qu'il est constant que trois des pays concernés étaient identifiés comme des pays présentant des risques plus élevés que les autres par le groupe intergouvernemental d'action contre le blanchiment d'argent en Afrique de l'Ouest (GIABA) et par le Groupe d'action financière (GAFI). Par ailleurs, si la société Banque d'escompte invoque une instruction interne imposant une politique de vigilance renforcée à l'ensemble des opérations de transferts de fonds à destination de pays émergents, cette circonstance ne saurait justifier un manquement aux obligations résultant de l'article L. 561-4-1 du code monétaire et financier, qui impose aux établissements financiers de procéder à la classification des risques auxquels ils s'exposent. Par suite, la commission des sanctions a pu légalement retenir l'existence d'un manquement à raison de l'absence de classification des risques en fonction des pays de destination des transferts de fond.

8. En troisième lieu, les établissements de crédits sont tenus d'élaborer une classification des risques, quelle que soit la nature des activités concernées. Par suite, la commission des sanctions, dont la décision est suffisamment motivée sur ce point, a pu légalement retenir l'existence d'un manquement à raison de l'absence d'identification des risques résultant des opérations réalisées en relation avec des banques, sans que la société requérante ne puisse utilement faire valoir que cette activité ne correspondrait pas, le cas échéant, à des opérations pour compte de tiers.

En ce qui concerne le grief relatif à l'insuffisance du contrôle périodique :

9. L'article L. 561-32 du code monétaire et financier impose aux établissements de crédit de mettre en place des mesures de contrôle interne pour veiller au respect de leurs obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. L'article R. 561-38-4 de ce code prévoit que ce dispositif comprend au moins un contrôle interne permanent, d'une part, et un contrôle interne périodique, d'autre part, lequel doit être réalisé de manière indépendante par des personnes dédiées. L'article R. 561-38-2 du code monétaire et financier prévoit que les établissements concernés peuvent confier à un prestataire externe la réalisation, en leur nom et pour leur compte, de ces activités de contrôle, selon un contrat dont les clauses obligatoires sont précisées par un arrêté du ministre chargé de l'économie. L'article R. 561-38-2 du code monétaire et financier prévoit que le dispositif de contrôle interne est adapté à la taille, à la nature, à la complexité et au volume des activités de l'établissement de crédit. Il résulte en outre des dispositions de l'article 11 de l'arrêté du 3 novembre 2014 relatif au contrôle interne des entreprises du secteur de la banque, des services de paiement et des services d'investissement soumises au contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution que le système de contrôle des opérations et des procédures internes a notamment pour objet, dans des conditions optimales de sécurité, de fiabilité et d'exhaustivité, d'une part, de vérifier que les opérations réalisées par l'entreprise, ainsi que l'organisation et les procédures internes, sont conformes aux dispositions propres aux activités bancaires et financières, qu'elles soient de nature législative ou réglementaire, nationales ou européennes, directement applicables, ou qu'il s'agisse de normes professionnelles et déontologiques, ou d'instructions des dirigeants effectifs prises notamment en application des stratégies et politiques régissant la prise, la gestion, le suivi et la réduction des risques ainsi que des orientations et de la politique de surveillance de l'organe de surveillance et, d'autre part, de vérifier que les procédures de décisions, de prises de risques, quelle que soit leur nature, et les normes de gestion fixées par les dirigeants effectifs, dans le cadre des politiques et orientations de l'organe de surveillance, notamment sous forme de limites, sont strictement respectées. Il résulte enfin de l'article 25 du même arrêté que les moyens affectés au contrôle périodique doivent être suffisants pour mener un cycle complet d'investigations de l'ensemble des activités sur un nombre d'exercices aussi limité que possible et qu'un programme des missions de contrôle est établi au moins une fois par an en intégrant les objectifs annuels des dirigeants effectifs et des orientations de l'organe de surveillance en matière de contrôle.

10. La commission des sanctions a retenu l'existence d'un manquement de la société Banque d'escompte à ses obligations de contrôle périodique, faute d'y avoir soumis ses activités de banque traditionnelle et de courtage en ligne. Si la société requérante se prévaut d'un " tableau de suivi d'enquête " élaboré en mai 2016 par un prestataire indépendant, cette mission, dont l'objet était limité au suivi des préconisations énoncées dans une lettre de l'ACPR du 19 avril 2012 à la suite d'un précédent contrôle, ne saurait être assimilée à un contrôle périodique réalisé dans les conditions prévues par les dispositions mentionnées au point 9. Dans ces conditions, et alors que la société requérante ne conteste par ailleurs pas l'absence de contrôle périodique de son activité de courtage en ligne, la commission des sanctions, dont la décision est suffisamment motivée sur ce point, a pu légalement estimer que ce manquement était établi.

En ce qui concerne le grief relatif à l'insuffisante identification des bénéficiaires effectifs de certaines relations d'affaires :

11. L'article L. 561-2-2 du code monétaire et financier définit le bénéficiaire effectif comme " la ou les personnes physiques : / 1° Soit qui contrôlent en dernier lieu, directement ou indirectement, le client ; / 2° Soit pour laquelle une opération est exécutée ou une activité exercée ". L. 561-5 du même code dispose : " I. - Avant d'entrer en relation d'affaires avec leur client ou de l'assister dans la préparation ou la réalisation d'une transaction, les personnes mentionnées à l'article L. 561-2 : / 1° Identifient leur client et, le cas échéant, le bénéficiaire effectif au sens de l'article L. 561-2-2 ; / 2° Vérifient ces éléments d'identification sur présentation de tout document écrit à caractère probant ". Lorsque le client de l'établissement concerné est une société, l'article R. 561-1 du même code définit le bénéficiaire effectif, comme " la ou les personnes physiques qui soit détiennent, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote de la société, soit exercent, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur la société au sens des 3° et 4° du I de l'article L. 233-3 du code de commerce ". Si ces critères ne permettent pas d'identifier une personne physique, le même article prévoit que le bénéficiaire effectif est le représentant légal de la société. Enfin aux termes de l'article R. 561-7 du même code : " Les personnes mentionnées à l'article L. 561-2 identifient le bénéficiaire effectif de la relation d'affaires, le cas échéant, par des moyens adaptés et vérifient les éléments d'identification recueillis sur celui-ci par le recueil de tout document ou justificatif approprié, compte tenu des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Elles doivent être en mesure de justifier leurs diligences auprès des autorités de contrôle. Elles conservent ces documents ou justificatifs (...). "

12. Il résulte de l'instruction que la société Banque d'escompte n'a pas été en mesure de justifier, au cours du contrôle diligenté par l'ACPR, avoir identifié les bénéficiaires effectifs, au sens des dispositions citées au point 11, de certaines sociétés avant d'entrer en relation d'affaires avec ces entités, faute notamment de disposer d'informations documentées sur la répartition du capital de ces sociétés. Si la société requérante fait valoir qu'elle a rencontré les dirigeants de ces banques et que le contexte des relations d'affaires dans ce pays ne lui permettait pas d'obtenir davantage d'informations écrites, ces circonstances ne peuvent être utilement invoquées pour justifier un manquement à ses obligations. Par ailleurs, s'il est constant que ces relations ont été nouées à l'instigation des pouvoirs publics, la commission des sanctions a pu légalement estimer que cette circonstance n'était pas de nature à écarter l'existence d'un manquement aux obligations d'identification des bénéficiaires effectifs, dans la mesure où il est également constant que l'entrée en relation d'affaires avec ces entités résulte d'un comportement volontaire de la société Banque d'escompte. Enfin, s'agissant de la fiducie, la banque ne peut être raisonnablement reconnue comme ayant respecté son obligation d'identifier son ou ses bénéficiaires effectifs en application des dispositions applicables à la fiducie des articles R. 561-3 et R. 561-7 du code monétaire et financier, dès lors qu'elle ne disposait pas, au moment du contrôle, d'une copie du contrat de fiducie.

En ce qui concerne le grief tiré de l'insuffisante connaissance des clients en relation d'affaires :

13. Il résulte des dispositions des articles L. 561-5-1, L. 561-6 et R. 561-12 du code monétaire et financier que, pendant toute la durée de la relation d'affaires, les établissements de crédit doivent exercer une vigilance constante et pratiquer un examen attentif des opérations effectuées en veillant à ce qu'elles soient cohérentes avec la connaissance - qu'elles doivent pareillement actualiser régulièrement - de leur relation d'affaires. Lors du contrôle, a été examiné un échantillon, représentatif, de 74 dossiers, composé, pour la clientèle de banque privée, de 55 personnes physiques et 19 personnes morales. En retenant comme constitué le grief tiré de l'insuffisante connaissance par la banque de ses clients en relation d'affaires, au motif que 50 des 74 dossiers ainsi étudiés lors du contrôle ne comportaient pas d'éléments récents, précis et justifiés sur le patrimoine et le revenu des personnes concernées, la commission, qui n'avait à exclure de son échantillon ni les relations d'affaires inactives ni les opérations de faible montant et relevait en outre l'absence d'informations pertinente pour 6 clients de courtage en ligne et 9 clients ayant réalisé au moins 10 transferts de fonds, a fait une exacte application des dispositions précitées aux faits qui lui étaient soumis.

En ce qui concerne le grief tiré du manquement aux obligations d'examen renforcé, de déclaration de soupçon initiale et de déclaration de soupçon complémentaire :

14. Le moyen tiré de ce que c'est à tort que la Commission a retenu le grief tiré du manquement aux obligations d'examen renforcé, de déclaration de soupçon initiale et de déclaration de soupçon complémentaire, qui se contente de renvoyer aux écritures de la banque pendant la procédure disciplinaire, n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé, au vu notamment des motivations détaillées retenues sur ces points par la commission.

Sur les sanctions prononcées :

En ce qui concerne le blâme et la sanction pécuniaire de 200 000 euros :

15. Aux termes de l'article L. 612-39 du code monétaire et financier, dans sa version applicable, si un établissement de crédit " (...) a enfreint une disposition européenne, législative ou réglementaire au respect de laquelle l'Autorité a pour mission de veiller (...), la commission des sanctions peut prononcer l'une ou plusieurs des sanctions disciplinaires suivantes, en fonction de la gravité du manquement : / (...) / 2° Le blâme ; / (...). La commission des sanctions peut prononcer, soit à la place, soit en sus de ces sanctions, une sanction pécuniaire au plus égale à cent millions d'euros ou à 10 % du chiffre d'affaires annuel net ".

16. Il appartient au Conseil d'Etat, saisi d'une requête dirigée contre une sanction pécuniaire prononcée par la commission des sanctions de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, de vérifier que son montant était, à la date à laquelle elle a été infligée, proportionné à la gravité des manquements commis ainsi qu'au comportement et à la situation, notamment financière, de la personne sanctionnée.

17. En premier lieu, il ressort de la décision attaquée que la commission des sanctions a retenu un total de onze griefs. Ces manquements aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, revêtent, par leur nombre et leur nature, une gravité certaine. La commission des sanctions a justement tenu compte dans sa décision, au titre des circonstances atténuantes, du fait que certains des manquements retenus devaient être relativisés par rapport à la notification des griefs, s'agissant, d'une part, de l'organisation du dispositif de détection des personnalités politiquement exposées et, d'autre part, du contrôle des opérations réalisées en relation avec certaines banques, dès lors que ces derniers manquements devaient être appréciés au regard du contexte dans lequel la société requérante avait été amenée à y prendre part et que des actions correctrices avaient ensuite été entreprises par la société requérante. En revanche, compte tenu de l'objet de la législation relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et de la nature des manquements reprochés, la société Banque d'escompte ne peut utilement se prévaloir de ce qu'elle n'aurait tiré aucun profit des dysfonctionnements relevés. Par ailleurs, si la situation de récidive constitue une circonstance aggravante, l'absence de condamnation préalable n'est, à l'inverse, pas de nature à atténuer la gravité des manquements constatés. Enfin, la circonstance que la commission des sanctions aurait prononcé des sanctions moindres dans des affaires comparables est, en tout état de cause, sans incidence sur le bien-fondé de la décision attaquée.

18. En second lieu, il résulte de l'instruction que le montant de la sanction pécuniaire infligée de 200 000 euros représente environ 15 % du résultat net annuel de la société Banque d'escompte pour l'année 2018, 0,5 % de ses capitaux propres et 1,7 % de son produit net bancaire.

19. Au vu de l'ensemble de ces éléments, et notamment de la gravité des faits invoqués, la commission a pu, sans porter atteinte au principe de proportionnalité des sanctions, prononcer à l'encontre de la société Banque d'escompte un blâme et une sanction pécuniaire de 200 000 euros.

En ce qui concerne la sanction complémentaire de publication :

20. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 612-39 du code monétaire et financier, dans sa version applicable : " La décision de la commission des sanctions est rendue publique dans les publications, journaux ou supports qu'elle désigne, dans un format proportionné à la faute commise et à la sanction infligée. Les frais sont supportés par les personnes sanctionnées. Toutefois, lorsque la publication risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause, la décision de la commission peut prévoir qu'elle ne sera pas publiée. ".

21. En premier lieu, il résulte des termes mêmes des dispositions citées au point 20 que le moyen tiré de ce que la sanction complémentaire de publication de la décision de sanction au registre de l'ACPR, lui-même mis en ligne sur le site internet de cette autorité, serait dépourvue de base légale, ne peut qu'être écarté.

22. En deuxième lieu, en ordonnant la publication de la sanction au registre de l'ACPR pendant 5 ans sous une forme nominative, puis sous une forme anonyme, l'ACPR n'a pas méconnu les dispositions de l'article 60 de la directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, qui exigent la publication sur internet pour une durée de cinq ans des sanctions prononcées par les autorités nationales compétentes en la matière. L'article 60 de cette même directive dispose en outre que, lorsqu'une telle publication est jugée disproportionnée par l'autorité nationale, celle-ci est tenue, selon les circonstances, de retarder la publication ou d'anonymiser la version publiée, voire de renoncer à la publier. Le moyen tiré de ce que ces dispositions créeraient une sanction automatique contraire au principe d'individualisation des peines doit par suite être écarté, sans qu'il soit besoin, en l'absence de difficulté sérieuse quant à la validité de l'article 60 de la directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 au regard de l'article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne.

23. En troisième lieu, outre sa portée punitive, l'objet de la décision par laquelle la commission des sanctions rend publique, aux frais de l'intéressé, la sanction qu'elle prononce, est de porter à la connaissance de toutes les personnes intéressées tant les irrégularités qui ont été commises que les sanctions que celles-ci ont appelées, afin de satisfaire aux exigences d'intérêt général relatives à la protection des clients des établissements concernés, au bon fonctionnement des marchés financiers et, au cas d'espèce, à l'efficacité de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

24. D'une part, la société Banque d'escompte invoque un risque de réputation élevé auprès de sa clientèle traditionnelle sous gestion privée, qui représente l'essentiel de son activité. Toutefois, la petite taille de l'établissement et le lien personnel noué avec ses clients - seuls éléments évoqués par la banque pour établir ce risque - ne permettent pas à eux seuls d'établir que la publication de la décision de sanction sous une forme nominative lui causerait un préjudice disproportionné au regard de l'intérêt public qui s'attache à une telle publication, alors qu'une part importante des manquements sanctionnés concerne, contrairement à ce qui est soutenu, son activité de gestion privée.

25. D'autre part, la société Banque d'escompte soutient que l'association de son nom à une sanction infligée à raison de manquements aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme commis à l'occasion d'opérations effectuées avec un certain pays entraîne un risque de rupture des conventions conclues avec les prestataires de services externalisés auxquels elle est tenue de recourir, en raison de sa petite taille, pour fournir des services bancaires à sa clientèle. Il résulte toutefois de l'instruction que les difficultés invoquées par la société requérante, d'ailleurs peu étayées, résultent de l'exercice même d'une activité avec ce pays au cours des années en cause, laquelle constitue une information publique, et que ses clients, ses partenaires institutionnels et le public ont été informés de l'arrêt de cette activité à la fin de l'année 2018, ce que la décision attaquée relève expressément. La décision de sanction relève également que ces activités ont été conduites à l'instigation des pouvoirs publics.

26. En outre, l'ACPR indique en défense que la version publique de la décision ne comportera ni les noms de clients ou de sociétés tierces à la procédure, ni le nom des pays concernés par les opérations en cause. Si la Banque ne conteste pas, dans l'hypothèse où sa demande d'annulation de la publication de la sanction serait rejetée, l'anonymisation de ces différents éléments, elle souligne que le projet de décision à publier, dans sa version annexée aux écritures de l'Autorité devant le Conseil d'Etat, prévoit en outre la suppression de deux éléments de phrases pourtant susceptibles d'atténuer, aux yeux du public, sa responsabilité dans les griefs retenus, dès lors qu'y est fait mention que des opérations " étaient effectuées à l'initiative et sous la surveillance des pouvoirs publics " (considérant 20 de la décision de sanction) et que des entrées en relation d'affaires avec certaines banques ont été effectuées " en lien avec les autorités publiques " (considérant 30 de la même décision) .

27. Ces modalités de publication sont en effet susceptibles d'avoir un impact sur la perception qu'aura le public de la décision de la commission des sanctions. Il y a en conséquence lieu pour le Conseil d'Etat de vérifier que ces modalités respectent un équilibre entre les exigences d'intérêt général citées au point 23 et les intérêts de la société. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande de la société mentionnée au point 26 et d'ordonner le rétablissement dans la version publiée des membres de phrase en cause. Dans ces conditions et sous cette réserve, il ne résulte pas de l'instruction que la publication de la décision de sanction sous une forme mentionnant le nom de la banque serait susceptible de causer un préjudice disproportionné.

28. Il résulte de tout ce qui précède que la société Banque d'escompte n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision par laquelle la commission des sanctions a décidé la publication sous une forme nominative de la sanction prononcée. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter tant les conclusions de la Banque à fin d'injonction que ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

29. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la Banque d'Escompte, une somme de 3000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la Banque d'escompte est rejetée.

Article 2 : La publication au registre de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution de la sanction prononcée le 11 juillet 2019 à l'encontre de la Banque d'escompte se fera selon les modalités déterminées aux points 26 et 27 de la présente décision.

Article 3 : La société Banque d'escompte versera à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Banque d'escompte et à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 432873
Date de la décision : 15/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

CAPITAUX - MONNAIE - BANQUES - POUVOIR DISCIPLINAIRE - DÉCISION DE LA COMMISSION DES SANCTIONS DE PUBLIER LA SANCTION - 1) MOTIVATION DISTINCTE DE LA SANCTION PRINCIPALE - ABSENCE [RJ1] - 2) MODALITÉS DE PUBLICATION DE LA SANCTION PRÉVUES PAR LA 4E DIRECTIVE ANTI-BLANCHIMENT - MÉCONNAISSANCE DU PRINCIPE D'INDIVIDUALISATION DES PEINES (ARTICLE 49 DE LA CDFUE) - ABSENCE - 3) OBJET [RJ2] - 4) PROPORTIONNALITÉ - PRISE EN CONSIDÉRATION DES MODALITÉS DE PUBLICATION [RJ3] - POSSIBILITÉ POUR LE JUGE DE LES COMPLÉTER.

13-027 1) Si la décision par laquelle la commission des sanctions rend publique la sanction prononcée a le caractère d'une sanction complémentaire, elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation spécifique, distincte de la motivation d'ensemble de la sanction principale.,,,2) L'article 60 de la directive (UE) 2015/849 du 20 mai 2015 (dite 4e directive anti-blanchiment) exige la publication sur internet pour une durée de cinq ans des sanctions prononcées par les autorités nationales compétentes en matière de prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Il dispose en outre que, lorsqu'une telle publication est jugée disproportionnée par l'autorité nationale, celle-ci est tenue, selon les circonstances, de retarder la publication ou d'anonymiser la version publiée, voire de renoncer à la publier.... ,,Par conséquent, il ne crée pas une sanction automatique contraire au principe d'individualisation des peines garanti par l'article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (CDFUE).,,,3) Outre sa portée punitive, l'objet de la décision par laquelle la commission des sanctions rend publique, aux frais de l'intéressé, la sanction qu'elle prononce est de porter à la connaissance de toutes les personnes intéressées tant les irrégularités qui ont été commises que les sanctions que celles-ci ont appelées, afin de satisfaire aux exigences d'intérêt général relatives à la protection des clients des établissements concernés, au bon fonctionnement des marchés financiers et, au cas d'espèce, à l'efficacité de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.,,,4) Les modalités de publication sont susceptibles d'avoir un impact sur la perception qu'aura le public de la décision de la commission des sanctions. Il y a en conséquence lieu pour le Conseil d'Etat de vérifier que ces modalités respectent un équilibre entre les exigences d'intérêt général citées au point précédent et les intérêts de la personne sanctionnée.... ,,Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande de la société sanctionnée et d'ordonner l'ajout, dans la version publiée, de membres de phrase susceptibles d'atténuer, aux yeux du public, la responsabilité de la société dans les griefs retenus.

COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ET UNION EUROPÉENNE - RÈGLES APPLICABLES - MODALITÉS DE PUBLICATION DE LA SANCTION PRÉVUES PAR LA 4E DIRECTIVE ANTI-BLANCHIMENT - MÉCONNAISSANCE DU PRINCIPE D'INDIVIDUALISATION DES PEINES (ARTICLE 49 DE LA CDFUE) - ABSENCE.

15-05-001 L'article 60 de la directive (UE) 2015/849 du 20 mai 2015 (dite 4e directive anti-blanchiment) exige la publication sur internet pour une durée de cinq ans des sanctions prononcées par les autorités nationales compétentes en matière de prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Il dispose en outre que, lorsqu'une telle publication est jugée disproportionnée par l'autorité nationale, celle-ci est tenue, selon les circonstances, de retarder la publication ou d'anonymiser la version publiée, voire de renoncer à la publier.... ,,Par conséquent, il ne crée pas une sanction automatique contraire au principe d'individualisation des peines garanti par l'article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (CDFUE).

RÉPRESSION - DOMAINE DE LA RÉPRESSION ADMINISTRATIVE RÉGIME DE LA SANCTION ADMINISTRATIVE - BIEN-FONDÉ - AUTORITÉ DE CONTRÔLE PRUDENTIEL - POUVOIR DISCIPLINAIRE - DÉCISION DE LA COMMISSION DES SANCTIONS DE PUBLIER LA SANCTION - 1) MOTIVATION DISTINCTE DE LA SANCTION PRINCIPALE - ABSENCE [RJ1] - 2) PROPORTIONNALITÉ - PRISE EN CONSIDÉRATION DES MODALITÉS DE PUBLICATION [RJ3] - POSSIBILITÉ POUR LE JUGE DE LES COMPLÉTER.

59-02-02-03 1) Si la décision par laquelle la commission des sanctions rend publique la sanction prononcée a le caractère d'une sanction complémentaire, elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation spécifique, distincte de la motivation d'ensemble de la sanction principale.,,,2) Les modalités de publication sont susceptibles d'avoir un impact sur la perception qu'aura le public de la décision de la commission des sanctions. Il y a en conséquence lieu pour le Conseil d'Etat de vérifier que ces modalités respectent un équilibre entre les exigences d'intérêt général citées au point précédent et les intérêts de la personne sanctionnée.... ,,Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande de la société sanctionnée et d'ordonner l'ajout, dans la version publiée, de membres de phrase susceptibles d'atténuer, aux yeux du public, la responsabilité de la société dans les griefs retenus.


Références :

[RJ1]

Rappr., s'agissant de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers, CE, Section, 6 juin 2008, Société Tradition Securities and Futures, n° 299203, p. 189.,,

[RJ2]

Rappr., s'agissant de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers, CE, 9 novembre 2007, Société Bourse Direct SA, n° 298911, T. p. 695.,,

[RJ3]

Cf., s'agissant de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, CE, 28 septembre 2016, Théâtre national de Bretagne, n° 389448, p. 398.


Publications
Proposition de citation : CE, 15 oct. 2020, n° 432873
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Viton
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 24/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:432873.20201015
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