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14/10/2020 | FRANCE | N°426119

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 14 octobre 2020, 426119


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 décembre 2018 et 5 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Qualisis, la Société système et télécommunications, la Société d'informatique et de systèmes et la Société d'informatique Midi-Pyrénées industrie demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2018-856 du 8 octobre 2018 portant création de l'Agence du numérique de la sécurité civile ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de

5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres p...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 décembre 2018 et 5 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Qualisis, la Société système et télécommunications, la Société d'informatique et de systèmes et la Société d'informatique Midi-Pyrénées industrie demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2018-856 du 8 octobre 2018 portant création de l'Agence du numérique de la sécurité civile ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code de commerce ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le décret n° 2006-106 du 3 février 2006 ;

- le décret n° 2007-240 du 22 février 2007 ;

- le décret n° 2011-348 du 29 mars 2011 ;

- le décret n° 2017-1068 du 24 mai 2017 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Roulaud, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer, avocat de l'association Qualisis, de la société système et télécommunications, de la société d'informatique et de système et de la société informatique Midi- Pyrénées industrie ;

Considérant ce qui suit :

1. Le décret du 8 octobre 2018 portant création de l'Agence du numérique de la sécurité civile, dont les dispositions ont été codifiées aux articles R. 732-11-1 à R. 732-11-8 du code de la sécurité intérieure, a confié à ce nouvel établissement public administratif placé sous la tutelle du ministre en charge de la sécurité civile, et agissant en qualité de prestataire de services de l'Etat, des services d'incendie et de secours et de tout organisme public ou privé chargé d'une mission de service public dans le domaine de la sécurité civile, les missions consistant notamment en " la conception, le développement, la maintenance et l'exploitation des systèmes et applications nécessaires au traitement des alertes issues des numéros d'appel d'urgence 18 et 112, aux communications entre la population et les services de secours d'urgence ainsi qu'à la gestion opérationnelle et à la gestion de crise assurées par les services d'incendie et de secours et par la sécurité civile ", " la participation à la définition des normes relatives au traitement des alertes issues des numéros d'appels d'urgence 18 et 112 ainsi qu'aux systèmes de gestion opérationnelle et de gestion de crise utilisés par les services d'incendie et de secours et par la sécurité civile ", " l'hébergement, la collecte et la distribution des données liées au fonctionnement des systèmes d'information et de commandement des services d'incendie et de secours et de la sécurité civile ", " le déploiement et la mise à disposition des systèmes d'information et de commandement à l'intention des services d'incendie et de secours et de la sécurité civile ", ainsi que " l'organisation et la gestion technique, administrative et financière des systèmes d'information et de commandement des services d'incendie et de secours et de la sécurité civile qui lui sont confiées en qualité de prestataire. " L'association Qualisis et autres demandent au Conseil d'Etat d'annuler ce décret.

Sur le désistement de la société d'informatique et de systèmes :

2. Le désistement de la société d'informatique et de système est pur et simple. Rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte

Sur la légalité externe du décret attaqué :

3. En premier lieu, eu égard à son objet et à la nature de ses activités tels qu'ils sont définis par le décret attaqué, ainsi qu'aux règles de tutelle auxquels il est soumis, l'établissement public Agence du numérique de la sécurité civile est comparable à d'autres établissements publics nationaux tels que l'Agence nationale des titres sécurisés, créée par le décret du 22 février 2007 ou l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions, créée par le décret du 29 mars 2011, qui, agissant en qualité de prestataire de services de l'Etat ou de collectivités territoriales, ont pour mission non seulement de concevoir, développer, exploiter, maintenir et mettre à disposition les moyens nécessaires à la mise en oeuvre de procédures sécurisées dans leurs domaines respectifs, mais aussi de participer à la définition de normes techniques relatives à ces procédures. Ainsi, il ne peut, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, être regardé comme constituant à lui seul une catégorie d'établissement public. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait été pris en méconnaissance des dispositions de l'article 34 de la Constitution selon lesquelles la loi fixe les règles concernant "la création de catégories d'établissements publics" doit être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 462-2 du code de commerce, l'Autorité de la concurrence " est obligatoirement consultée par le Gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet : / 1° De soumettre l'exercice d'une profession ou l'accès à un marché à des restrictions quantitatives ; / 2° D'établir des droits exclusifs dans certaines zones ; / 3° D'imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente ".

5. Il ne ressort pas des dispositions du décret attaqué relatives aux missions de l'Agence ou aux compétences de son conseil d'administration, et en particulier de la circonstance qu'elle assure des prestations au profit des services d'incendie et de secours et de tout organisme public ou privé chargé d'une mission de service public dans le domaine de la sécurité civile, que serait ainsi institué un régime nouveau ayant directement pour effet de soumettre l'accès à un marché à des restrictions quantitatives ou d'imposer des pratiques uniformes en matière de prix. Il suit de là que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l'Autorité de la concurrence n'avait pas à être consultée préalablement à son édiction.

6. En troisième lieu, si, aux termes de l'article 22 de la Constitution, " les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ", il résulte du décret du 24 mai 2017 relatif aux attributions déléguées au secrétaire d'Etat chargé du numérique que celui-ci était placé auprès du Premier ministre, connaissait des affaires qu'il lui confiait et n'agissait que par délégation. Il n'avait donc pas la qualité de ministre au sens de l'article 22 de la Constitution. Par suite, l'absence de son contreseing ne saurait entacher le décret attaqué d'irrégularité.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 112-2 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est garant de la cohérence de la sécurité civile au plan national. Il en définit la doctrine et coordonne ses moyens. / Il évalue en permanence l'état de préparation aux risques et veille à la mise en oeuvre des mesures d'information et d'alerte des populations. / Sans préjudice des dispositions relatives à l'organisation de l'Etat en temps de crise et de celles du code général des collectivités territoriales, le ministre chargé de la sécurité civile coordonne les opérations de secours dont l'ampleur le justifie ". Aux termes de l'article L. 732-5 du même code : " Les règles et normes techniques permettant d'assurer l'interopérabilité des réseaux de communication radioélectriques et des systèmes d'information des services publics qui concourent aux missions de sécurité civile sont fixées par voie réglementaire ".

8. L'Agence du numérique de la sécurité civile a pour objet, ainsi qu'il a été dit au point 1, de concevoir et mettre en oeuvre, au profit notamment des services d'incendie et de secours, des systèmes d'information destinés à leur permettre d'assurer dans les meilleures conditions les tâches de gestion opérationnelle et de gestion de crise qui leur sont assignées. Les dispositions du décret attaqué n'ont, par elles-mêmes, ni pour objet ni pour effet de porter atteinte aux prérogatives de ces services et des collectivités territoriales dont ils relèvent. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret aurait empiété sur les compétences que les services d'incendie et de secours tirent des dispositions législatives qui les régissent et aurait méconnu le principe de libre administration des collectivités territoriales ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

9. En second lieu, les personnes publiques sont chargées d'assurer les activités nécessaires à la réalisation des missions de service public dont elles sont investies et bénéficient à cette fin de prérogatives de puissance publique. Si elles entendent, indépendamment de ces missions, prendre en charge une activité économique, elles ne peuvent légalement le faire que dans le respect tant de la liberté du commerce et de l'industrie que du droit de la concurrence. A cet égard, pour intervenir sur un marché, elles doivent, non seulement agir dans la limite de leurs compétences, mais également justifier d'un intérêt public, lequel peut résulter notamment de la carence de l'initiative privée. Une fois admise dans son principe, une telle intervention ne doit pas se réaliser suivant des modalités telles qu'en raison de la situation particulière dans laquelle se trouverait cette personne publique par rapport aux autres opérateurs agissant sur le même marché, elle fausserait le libre jeu de la concurrence sur celui-ci.

10. En application de l'article L. 1424-44 du code général des collectivités territoriales, chaque service d'incendie et de secours est équipé d'un système de gestion des alertes et de gestion opérationnelle destiné à la réception et au traitement des demandes de secours. Il ressort des pièces du dossier que, conçus indépendamment les uns des autres et de niveau technologique très inégal, ces systèmes d'information ne permettent pas d'assurer les échanges de données entre les centres de traitement des alertes des services d'incendie et de secours, ni avec les avec les autres intervenants dans le domaine de la sécurité civile, ni avec les organes de coordination opérationnelle et de pilotage national de la sécurité civile. En chargeant l'Agence du numérique et de la sécurité civile d'apporter aux services d'incendie et de secours et aux organismes publics ou privés chargés d'une mission de service public dans le domaine de la sécurité civile qui le lui demandent un appui dans la gestion de leurs systèmes d'information, destiné à améliorer l'efficacité et l'interopérabilité de ces systèmes et d'en diminuer le coût, le décret attaqué est justifié par un motif d'intérêt public. Il en résulte que la création de l'agence du numérique de la sécurité civile n'a pas porté une atteinte illégale au principe de la liberté du commerce et de l'industrie. Par ailleurs, le décret attaqué, qui se borne à créer l'Agence, à préciser ses missions et à organiser son fonctionnement n'a, par lui-même, ni pour objet ni pour effet de lui attribuer un droit exclusif ni de la placer en situation d'exploiter de façon abusive une position dominante. Le moyen tiré de la méconnaissance des articles 102 et 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne peut, par suite, qu'être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de l'association Qualisis et autres doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Il est donné acte du désistement de la requête de la Société d'informatique et de système.

Article 2 : La requête de l'association Qualisis, de la société Système et télécommunications et de la société d'informatique Midi-Pyrénées est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Qualisis, premier requérant dénommé, et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre des solidarités et de la santé et à la Commission nationale de l'informatique et des libertés.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 426119
Date de la décision : 14/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 oct. 2020, n° 426119
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Roulaud
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SCP HEMERY, THOMAS-RAQUIN, LE GUERER

Origine de la décision
Date de l'import : 18/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:426119.20201014
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