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02/10/2020 | FRANCE | N°441297

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 02 octobre 2020, 441297


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 19 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la confédération syndicale A Tia I Mua demande au Conseil d'Etat :

1°) de dire que la " loi du pays " n° 2020-7 LP du 14 mai 2020 est illégale et ne saurait être promulguée ;

2°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 200 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sa

uvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole additionnel ;

- la loi org...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 19 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la confédération syndicale A Tia I Mua demande au Conseil d'Etat :

1°) de dire que la " loi du pays " n° 2020-7 LP du 14 mai 2020 est illégale et ne saurait être promulguée ;

2°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 200 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole additionnel ;

- la loi organique n°2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Ramain, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de l'assemblée de la Polynésie française et de la Polynésie française ;

Considérant ce qui suit :

1. L'assemblée de la Polynésie française a adopté le 14 mai 2020, sur le fondement de l'article 140 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, la " loi du pays " n°2020-7 LP/APF portant mesures d'urgence en matière des congés et d'autorisations exceptionnelles d'absence applicables aux agents relevant du statut général de la fonction publique de la Polynésie française et aux membres du cabinet du Président de la Polynésie française et des ministres du gouvernement de la Polynésie française, ainsi qu'à tous les agents relevant d'un statut de droit public exerçant à l'assemblée de la Polynésie française. Ce texte a été publié au journal officiel de la Polynésie française le 22 mai 2020. La confédération syndicale A Tia I Mua a saisi le Conseil d'Etat d'une requête tendant à ce que la " loi du pays " soit déclarée non conforme au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004.

2. L'article LP 4 de la de la " loi du pays " contestée dispose que les fonctionnaires et les agents non titulaires de la Polynésie française, les autres fonctionnaires détachés auprès de la Polynésie française et de ses établissements publics, les agents publics occupant des emplois fonctionnels et les membres du cabinet du président de la Polynésie française et des ministres du gouvernement de la Polynésie française " qui ne participent pas aux plans de continuité d'activité mis en place pour assurer un service public minimum (...) et qui sont dans l'impossibilité d'exercer leurs fonctions en travail à distance, sont placés, pendant la période de confinement, en congés ou en autorisations exceptionnelles d'absence (...) ". Aux termes des dispositions de l'article LP 5, " Les agents visés à l'article 4 sont tenus de prendre, pendant la période de confinement, les congés acquis du 1er janvier 2020 jusqu'à la date de fin de confinement. / Au-delà de la période de congés imposée, les agents sont placés en autorisation exceptionnelle d'absence avec maintien du traitement pendant la durée du confinement. Ces autorisations exceptionnelles d'absence n'entrent pas en compte dans le calcul des congés annuels. / Toutefois, les heures non travaillées pendant l'autorisation exceptionnelle d'absence visée à l'alinéa précédent font l'objet d'un rattrapage dès le lendemain du terme de la fin du confinement à domicile ". L'article LP. 6 dispose que les fonctionnaires et les agents non titulaires de la Polynésie française, les autres fonctionnaires détachés auprès de la Polynésie française et de ses établissements publics, les agents publics occupant des emplois fonctionnels et les membres du cabinet du président de la Polynésie française et des ministres du gouvernement de la Polynésie française " faisant l'objet de mesures d'isolement ou de quatorzaine sont placés par les autorités compétentes en autorisation exceptionnelle d'absence avec maintien du traitement ". Aux termes des dispositions de l'article LP 8 " Les dispositions de la présente loi du pays s'appliquent à compter du 21 mars 2020, date d'entrée en vigueur des mesures de confinement, et jusqu'à la fin de ces mesures. / Les dispositions de la présente loi du pays sont également applicables aux agents placés en isolement ou en quatorzaine, dans le cadre des mesures de lutte contre la propagation du covid-19, avant le 21 mars 2020 ".

3. En premier lieu, l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française dispose que " III. - Le Conseil d'Etat se prononce sur la conformité des actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays" au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit. Il se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'il estime susceptibles de fonder l'annulation, en l'état du dossier. La procédure contentieuse applicable au contrôle juridictionnel spécifique de ces actes est celle applicable en matière de recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'il n'appartient au Conseil d'Etat d'apprécier la légalité des " lois du pays " qu'au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit. Est par suite inopérant le moyen tiré de ce que la procédure d'adoption de la " loi du pays " contestée serait irrégulière, faute d'avoir fait l'objet préalablement de la consultation du conseil supérieur de la fonction publique de la Polynésie française prévue par l'article 3 de la délibération n° 95-216 AT du 14 décembre 1995 portant organisation et fonctionnement des organismes consultatifs dans la fonction publique du territoire de la Polynésie française.

4. En deuxième lieu, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce qu'une " loi du pays " règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, à la condition que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet du texte qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. Par suite, dès lors que les agents publics placés à l'isolement du fait de leur contamination par le virus dénommé Covid-19, ou du fait du risque d'une telle contamination, sont dans une situation différente des agents qui ne sont pas mobilisés par la mise en oeuvre du plan de continuité d'activité et qui ne peuvent exercer leurs fonctions en travail à distance, les articles LP. 4 et LP. 5 de la " loi du pays " contestée n'ont pas méconnu le principe d'égalité en appliquant à ces deux catégories d'agents un régime d'autorisation d'absence différent, cette différence de traitement, qui n'est pas disproportionnée, étant en rapport avec l'objet de la " loi du pays ".

5. En troisième lieu, dès lors que les dispositions de la " loi du pays " contestée n'ont ni pour objet, ni pour effet de remettre en cause le versement de son traitement à l'agent public placé en autorisation spéciale d'absence, mais uniquement d'encadrer ses dates de prise de congés, elles ne sauraient porter atteinte ni au droit de propriété ni au droit au respect des biens garantis par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. En quatrième lieu, pour contester la conformité au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la " loi du pays " contestée, la confédération syndicale requérante ne peut utilement se prévaloir de l'irrégularité de la procédure d'adoption de la circulaire du 23 mars 2020 relative à la mise en oeuvre du plan de continuité de l'activité de l'administration.

7. En cinquième lieu, aucun principe général du droit ne s'oppose à ce qu'une " loi du pays " impose aux agents publics qui, du fait de causes extérieures telles qu'une situation de crise sanitaire, n'ont pu accomplir leur service et dont le droit au traitement a été maintenu pour la période en cause, de récupérer tout ou partie des heures de travail ainsi perdues, dans des limites et selon des modalités et garanties déterminées par voie réglementaire. Par suite, en prévoyant, au dernier alinéa de l'article LP. 5 que " les heures non travaillées pendant l'autorisation exceptionnelle d'absence visée à l'alinéa précédent font l'objet d'un rattrapage dès le lendemain du terme de la fin du confinement à domicile ", la " loi du pays " contestée n'a méconnu aucune règle du bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004.

8. En dernier lieu, si les " lois du pays ", qui sont des actes administratifs, sont soumises au principe en vertu duquel les règlements ne disposent que pour l'avenir, il appartient à l'administration de prendre les mesures nécessaires pour placer ses agents en situation régulière. Par suite, dès lors que pendant la durée de la mesure de confinement décidée pour faire face à la crise sanitaire résultant de l'épidémie de Covid-19, certains agents publics qui ne participaient pas aux plans de continuité d'activité mis en place pour assurer un service public minimum, ont été dans l'impossibilité d'exercer leurs fonctions, y compris en travaillant à distance, l'article LP.5 de la loi du pays a pu légalement prévoir que ces agents, afin de les placer dans une situation régulière au cours de cette période, soient tenus de prendre les congés acquis du 1er janvier 2020 jusqu'à la date de fin de confinement. L'article LP. 8 a pu aussi légalement prévoir que " Les dispositions de la présente loi du pays s'appliquent à compter du 21 mars 2020, date d'entrée en vigueur des mesures de confinement, et jusqu'à la fin de ces mesures. / Les dispositions de la présente loi du pays sont également applicables aux agents placés en isolement ou en quatorzaine, dans le cadre des mesures de lutte contre la propagation du covid-19, avant le 21 mars 2020 ". La confédération requérante n'est dès lors pas fondée à soutenir que la " loi du pays " contestée est entachée de rétroactivité illégale.

9. Il résulte tout de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par la Polynésie française et l'assemblée de la Polynésie française, que la requête de la confédération syndicale requérante doit être rejetée, y compris, par voie de conséquence ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par la Polynésie française et l'assemblée de la Polynésie française.

D E C I D E :

--------------

Article 1 : La requête de la confédération syndicale A Tia I Mua est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la Polynésie française et l'assemblée de la Polynésie française au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la confédération syndicale A Tia I Mua, au président de la Polynésie française, au président de l'assemblée de la Polynésie française et au haut-commissaire de la République en Polynésie française.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 441297
Date de la décision : 02/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

46-01-02-02 OUTRE-MER. DROIT APPLICABLE. STATUTS. POLYNÉSIE FRANÇAISE. - CONTRÔLE JURIDICTIONNEL DES LOIS DU PAYS (ART. 176 DE LA LOI DU 27 FÉVRIER 2004) - NORMES DE RÉFÉRENCE - EXCLUSION - DÉLIBÉRATION DE L'ASSEMBLÉE TERRITORIALE.

46-01-02-02 Il résulte du III de l'article 176 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 qu'il n'appartient au Conseil d'Etat d'apprécier la légalité des lois du pays qu'au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit.,,,Est par suite inopérant le moyen tiré de ce que la procédure d'adoption d'une loi du pays serait irrégulière, faute d'avoir fait l'objet préalablement d'une consultation prévue par la délibération n° 95-216 AT du 14 décembre 1995 portant organisation et fonctionnement des organismes consultatifs dans la fonction publique du territoire de la Polynésie française.


Publications
Proposition de citation : CE, 02 oct. 2020, n° 441297
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Pierre Ramain
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SCP DE CHAISEMARTIN, DOUMIC-SEILLER

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:441297.20201002
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