Vu la procédure suivante :
L'association Francophonie Avenir a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 2 février 2016 par laquelle le maire de la commune du Grau-du-Roi a refusé de supprimer l'expression " Let's Grau " de l'ensemble des supports sur lesquels elle figure. Par un jugement n° 1601521 du 16 mars 2017, le tribunal administratif a annulé cette décision.
Par un arrêt n° 18MA02081 du 11 mars 2019, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la commune du Grau-du-Roi, annulé ce jugement et rejeté la demande de l'association.
Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 octobre 2019 et 16 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Francophonie Avenir demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la commune du Grau-du-Roi la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 94-665 du 4 août 1994 ;
- le décret n° 96-602 du 3 juillet 1996 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Joachim Bendavid, Auditeur,
- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de l'Association Francophonie Avenir Afrav et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune du Grau-du Roi.
Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 juillet 2020, présentée par l'association Francophonie Avenir ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune du Grau-du-Roi a adopté en décembre 2015 la marque " Let's Grau ", enregistrée à l'Institut national de la propriété industrielle le 2 mars 2016, en vue de son utilisation sur différents outils de communication touristique. Par un jugement du 16 mars 2018, le tribunal administratif de Nîmes a, à la demande de l'association Francophonie Avenir, annulé la décision du 2 février 2016 par laquelle le maire de la commune a refusé de renoncer à cette marque et d'en supprimer la mention sur l'ensemble des supports sur lesquels elle figurait. L'association Francophonie Avenir se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 mars 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la commune, annulé ce jugement et rejeté sa demande de première instance.
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le mémoire en réplique de la commune du Grau-du-Roi devant la cour administrative d'appel ne comportait aucun élément nouveau sur lequel la cour aurait fondé sa décision. Le moyen tiré de ce que, faute pour ce mémoire d'avoir été communiqué à l'association Francophonie Avenir, l'arrêt attaqué aurait été rendu à l'issue d'une procédure irrégulière, doit donc être écarté.
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
3. L'article 2 de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française dispose que : " Dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien, d'un produit ou d'un service, ainsi que dans les factures et quittances, l'emploi de la langue française est obligatoire. / Les mêmes dispositions s'appliquent à toute publicité écrite, parlée ou audiovisuelle. / (...) ". Son article 14 dispose toutefois, s'agissant des marques, que : " I. L'emploi d'une marque de fabrique, de commerce ou de service constituée d'une expression ou d'un terme étrangers est interdit aux personnes morales de droit public dès lors qu'il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à l'enrichissement de la langue française (...) / II. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux marques utilisées pour la première fois avant l'entrée en vigueur de la présente loi ". Pour l'application de ces dispositions, le décret du 3 juillet 1996 relatif à l'enrichissement de la langue française a créé une commission générale de terminologie et de néologie, devenue commission d'enrichissement de la langue française, et prévu que les termes et expressions que cette commission retient sont soumis à l'Académie française et publiés au Journal officiel de la République française. Aux termes de l'article 11 de ce décret : " Les termes et expressions publiés au Journal officiel sont obligatoirement utilisés à la place des termes et expressions équivalents en langues étrangères : (...) / 2° Dans les cas prévus aux articles 5 et 14 de la loi du 4 août 1994 susvisée relative à l'emploi de la langue française ".
4. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions, éclairées par leurs travaux préparatoires, que, pour les noms de marque de fabrique, de commerce ou de service, l'obligation d'emploi de la langue française, dont le principe est posé par l'article 2 de la loi du 4 août 1994, obéit aux dispositions particulières de l'article 14 de cette loi qui prévoit que l'emploi, dans le nom d'une marque utilisée pour la première fois après l'entrée en vigueur de la loi, d'une expression ou d'un terme étranger à la langue française, n'est interdit aux personnes morales de droit public que s'il existe une expression française de même sens approuvée par la commission d'enrichissement de la langue française et publiée au Journal officiel de la République française.
5. Il est constant que l'expression anglaise " let's " n'a pas fait l'objet de l'approbation, par la commission d'enrichissement de la langue française, d'une expression française équivalente publiée au Journal officiel. Il en résulte que la cour a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que cette expression ne dispose pas d'équivalent en langue française au sens des dispositions de l'article 14 de la loi du 4 août 1994 et que, par suite, conformément à ce qui a été dit au point 4, la marque " Let's Grau " ne méconnaît pas l'obligation d'emploi de la langue française.
6. Il ressort, il est vrai, des termes de l'arrêt attaqué que la cour s'est également fondée sur la circonstance que l'expression " Let's Grau " a le caractère d'un calembour. Ainsi qu'il vient d'être dit, cette considération est, quel que soit son bien-fondé, sans incidence sur l'absence d'équivalent en langue française au sens des dispositions de l'article 14 de la loi du 4 août 1994, laquelle ne résulte que de l'absence d'approbation, par la commission d'enrichissement de la langue française, d'un terme ou d'une expression française équivalente publiée au Journal officiel. Le moyen tiré de ce que la cour aurait, sur ce point, commis une erreur de droit est, par suite, inopérant.
7. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Francophonie Avenir n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Ses conclusions doivent, par suite, être rejetées, y compris, par voie de conséquence, celles qu'elle présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association Francophonie Avenir la somme que demande la commune du Grau-du-Roi au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de l'association Francophonie Avenir est rejeté.
Article 2 : Les conclusions de la commune du Grau-du-Roi présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Francophonie Avenir et à la commune du Grau-du-Roi.