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22/07/2020 | FRANCE | N°433938

France | France, Conseil d'État, 8ème chambre, 22 juillet 2020, 433938


Vu la procédure suivante :

M. B... C... et Mme A... C... ont demandé au tribunal administratif de Bastia, en premier lieu, d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite du 3 décembre 2016 par laquelle le maire de L'Île-Rousse a rejeté leur demande tendant à ce qu'il soit mis fin à l'emprise irrégulière de la parcelle cadastrée B n° 952, en deuxième lieu, d'enjoindre à cette même commune de libérer cette parcelle sous astreinte de 300 euros par jour de retard et, en troisième lieu, de condamner cette commune à leur verser la somme de 30 000 euros en réparation

des conséquences dommageables de l'emprise. Par un jugement n° 1600086 d...

Vu la procédure suivante :

M. B... C... et Mme A... C... ont demandé au tribunal administratif de Bastia, en premier lieu, d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite du 3 décembre 2016 par laquelle le maire de L'Île-Rousse a rejeté leur demande tendant à ce qu'il soit mis fin à l'emprise irrégulière de la parcelle cadastrée B n° 952, en deuxième lieu, d'enjoindre à cette même commune de libérer cette parcelle sous astreinte de 300 euros par jour de retard et, en troisième lieu, de condamner cette commune à leur verser la somme de 30 000 euros en réparation des conséquences dommageables de l'emprise. Par un jugement n° 1600086 du 16 mars 2017, ce tribunal a annulé la décision implicite du maire, enjoint à la commune de libérer la parcelle dans un délai de trois mois sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et l'a condamnée à verser à M. et Mme C... la somme de 5 000 euros.

Par un arrêt n° 17MA02017 du 28 juin 2019, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la commune de L'Île-Rousse, d'une part, rejeté les conclusions présentées par M. et Mme C... à fin d'annulation et d'injonction, ramené à la somme de 3 000 euros l'indemnité due par la commune et réformé le jugement du tribunal administratif de Bastia en ce qu'il avait de contraire, d'autre part, rejeté les conclusions de M. et Mme C... tendant à ce que l'indemnité que la commune est condamnée à leur verser soit portée à la somme de 30 000 euros.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 août et 25 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme C... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il annule l'injonction prononcée à l'encontre de la commune et limite l'indemnité que cette dernière est condamnée à leur payer à la somme de 3 000 euros ;

2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de rejeter l'appel de la commune et de porter l'indemnité qu'elle est condamnée à leur verser à la somme de 30 000 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Liza Bellulo, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de M. et Mme C... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme C... sont propriétaires, dans la commune de L'Île Rousse (Haute-Corse), d'une parcelle, cadastrée section B n° 952, sur laquelle a été aménagée et ouverte à la circulation générale une voie communale constituant le segment nord de la rue du Sergent Canioni. M. et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Bastia, en particulier et d'une part, d'enjoindre à la commune de L'Île-Rousse de libérer leur propriété de cette emprise qu'ils estimaient irrégulière, c'est-à-dire d'y supprimer l'ouvrage public que constitue la voie communale. Ils lui ont demandé, d'autre part, de prononcer la condamnation de cette commune à leur verser une indemnité à raison des conséquences dommageables de l'atteinte portée à leur propriété. Ils se pourvoient régulièrement en cassation contre l'arrêt du 28 juin 2019 de la cour administrative d'appel de Marseille en tant que celui-ci, réformant le jugement du tribunal, a rejeté leurs conclusions à fin d'injonction et réduit à la somme de 3 000 euros l'indemnité que la commune avait été condamnée à leur verser.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur le prononcé d'une injonction :

2. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

3. Pour annuler le jugement du tribunal administratif de Bastia en tant qu'il avait enjoint à la commune de L'Île-Rousse de supprimer le segment de la rue du Sergent Canioni aménagé sur la parcelle cadastrée section B n° 952, après avoir admis que cette voie communale empiétait irrégulièrement, dans cette mesure, sur la propriété de M. et Mme C..., la cour administrative d'appel de Marseille a jugé qu'eu égard notamment à la nature de l'irrégularité ainsi commise, l'engagement d'une procédure d'expropriation offrait une possibilité de régularisation appropriée qui faisait obstacle au prononcé d'une injonction.

4. Pour juger qu'en l'espèce, une régularisation par l'expropriation de M. et Mme C... était possible, la cour s'est bornée à relever que le conseil municipal de l'Île-Rousse, se prévalant du motif tiré de ce que la voie contribuait à la desserte automobile du quartier, avait pris une délibération en vue d'engager la procédure correspondante et que l'enquête publique ouverte par arrêté préfectoral à cette fin avait eu lieu. En statuant ainsi, sans rechercher si la procédure engagée était, en l'espèce, susceptible d'aboutir, alors que M. et Mme C... contestaient devant elle que le projet de la commune puisse revêtir un caractère d'utilité publique suffisant à justifier qu'il soit porté atteinte à leur droit de propriété, la cour a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme C... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur le prononcé d'une injonction.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur la condamnation à indemnité :

6. M. et Mme C... soutiennent que la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'irrégularité en omettant d'analyser, dans ses visas, le moyen qu'ils soulevaient au titre de l'évaluation du préjudice, tiré de ce que l'emprise irrégulière procédait d'une disposition jugée inconstitutionnelle, et en omettant d'y répondre.

7. Toutefois, en premier lieu, si en vertu de la règle générale de procédure que rappellent les dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, rendu applicable aux arrêts des cours administratives d'appel par l'article R. 811-13 du même code, les décisions de justice doivent faire apparaître, dans leurs visas ou leurs motifs, l'analyse des moyens invoqués par les parties, quand bien même ils seraient inopérants, ces décisions peuvent, pour l'analyse de l'argumentation présentée à l'appui d'une demande indemnitaire et tendant à justifier le montant réclamé, se borner à faire apparaître les chefs de préjudice invoqués. En mentionnant dans les visas de son arrêt le préjudice de privation de jouissance dont se prévalaient exclusivement M. et Mme C... pour justifier du montant d'indemnité qu'ils réclamaient, la cour a satisfait aux exigences du deuxième alinéa de l'article R. 741-2 du code de justice administrative.

8. En second lieu, en se fondant, pour juger qu'il y avait lieu de réduire à la somme de 3 000 euros l'indemnité due par la commune aux Epoux C..., sur une appréciation du préjudice qu'ils avaient subi du fait de la privation de jouissance de leur parcelle tenant compte de l'absence de démarches de leur part en vue de se voir restituer leur bien entre 1986 et 2015, la cour administrative d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à l'ensemble des arguments invoqués au soutien de ce moyen, n'a pas entaché son arrêt d'insuffisance de motivation.

9. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur leurs conclusions indemnitaires.

10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de L'Île-Rousse la somme de 3 000 euros à verser à M. et Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les articles 1er et 2 de l'arrêt du 28 juin 2019 de la cour administrative d'appel de Marseille sont annulés en tant qu'ils rejettent les conclusions de M. et Mme C... tendant à ce qu'il soit enjoint sous astreinte à la commune de L'Île-Rousse de libérer la parcelle cadastrée section B n° 952.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation ainsi prononcée, à la cour administrative d'appel de Marseille.

Article 3 : La commune de L'Île-Rousse versera à M. et Mme C... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... C... et Mme A... C... et à la commune de L'Île-Rousse.


Synthèse
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 433938
Date de la décision : 22/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 jui. 2020, n° 433938
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Liza Bellulo
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini
Avocat(s) : SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:433938.20200722
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