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10/07/2020 | FRANCE | N°429522

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 10 juillet 2020, 429522


Vu la procédure suivante :

La société Consulting Privé Public - Cabinet Fidélia Consulting a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler le titre exécutoire d'un montant de 57 660 euros émis par le maire de La Remaudière et de la décharger de l'obligation de payer cette somme. La commune de La Remaudière a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner la société Consulting Privé Public - Cabinet Fidélia Consulting au paiement d'une somme de 50 519 euros TTC, avec intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2015.

Par un jugement n°s 15063

79, 1509786 du 5 juillet 2017, le tribunal administratif de Nantes a, d'une part...

Vu la procédure suivante :

La société Consulting Privé Public - Cabinet Fidélia Consulting a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler le titre exécutoire d'un montant de 57 660 euros émis par le maire de La Remaudière et de la décharger de l'obligation de payer cette somme. La commune de La Remaudière a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner la société Consulting Privé Public - Cabinet Fidélia Consulting au paiement d'une somme de 50 519 euros TTC, avec intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2015.

Par un jugement n°s 1506379, 1509786 du 5 juillet 2017, le tribunal administratif de Nantes a, d'une part, annulé le titre exécutoire émis par la commune de la Remaudière et déchargé la société Consulting Privé Public - Cabinet Fidélia Consulting de l'obligation de payer la somme mise à sa charge par ce titre et, d'autre part, rejeté les conclusions de la commune tendant à la condamnation de la société au paiement de la somme de 50 519 euros.

Par un arrêt n° 17NT02395 du 8 février 2019, la cour administrative d'appel de Nantes, sur appel formé par la commune de la Remaudière, a, d'une part, annulé ce jugement en tant qu'il avait rejeté la demande présentée par la commune devant le tribunal administratif et, statuant sur ces conclusions par la voie de l'évocation, rejeté cette demande, et, d'autre part rejeté le surplus des conclusions de l'appel de la commune.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 8 avril et 9 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de la Remaudière demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de la société Consulting Privé Public Cabinet Fidélia une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des marchés publics ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Firoud, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de la commune de la Remaudière ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumises aux juges du fond que, par une demande enregistrée devant le tribunal administratif de Nantes sous le n° 1506379, la société Consulting Privé Public - Cabinet Fidélia Consulting, dénommée ci-après Fidélia Consulting, a demandé l'annulation du titre exécutoire d'un montant de 57 660 euros émis le 12 mai 2015 par le maire de la Remaudière et correspondant aux sommes que la commune de la Remaudière estimait avoir indûment versées à cette société dans le cadre de l'exécution de deux marchés publics de services. Par une demande enregistrée devant le tribunal administratif de Nantes sous le n° 1509786, la commune de la Remaudière a demandé la condamnation, sur le fondement de sa responsabilité extracontractuelle, de Fidélia Consulting à lui verser une somme de 50 519 euros TTC, au titre du remboursement des sommes versées en exécution de ces deux marchés. Par un jugement du 5 juillet 2017, le tribunal administratif de Nantes, après avoir joint ces demandes, a annulé le titre exécutoire émis le 12 mai 2015, a déchargé Fidélia Consulting de l'obligation de payer la somme de 57 660 euros mise à sa charge par ce titre et a rejeté les conclusions indemnitaires de la commune de la Remaudière tendant à la condamnation, sur le fondement de sa responsabilité extracontractuelle, de Fidélia Consulting. Par un arrêt du 8 février 2019, contre lequel la commune de la Remaudière se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Nantes a, d'une part, annulé ce jugement en tant qu'il avait rejeté la demande présentée par la commune devant le tribunal administratif de Nantes et, statuant par la voie de l'évocation sur ces conclusions, a rejeté cette demande, et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la requête d'appel de la commune.

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué en tant qu'il se prononce sur la décharge de l'obligation de payer les sommes mises à la charge de la société Fidelia Consulting par le titre exécutoire émis par la commune de La Remaudière :

2. L'annulation d'un titre exécutoire pour un motif de régularité en la forme n'implique pas nécessairement, compte tenu de la possibilité d'une régularisation par l'administration, l'extinction de la créance litigieuse, à la différence d'une annulation prononcée pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre.

3. En l'espèce, la cour administrative d'appel, après avoir retenu que le tribunal administratif de Nantes avait annulé à bon droit le titre exécutoire émis par la commune au motif que le bordereau de titres de recettes auquel il se rapportait n'était pas revêtu de la signature de son émetteur et que le titre lui-même était insuffisamment motivé, a jugé que cette annulation faisait perdre à la commune la possibilité de recouvrer sa créance et rejeté en conséquence les conclusions d'appel de la commune dirigées contre l'article 2 du jugement, qui avait déchargé Fidélia Consulting de l'obligation de payer la somme de 57 660 euros mise à sa charge par le titre exécutoire du 12 mai 2015.

4. La commune de la Remaudière est fondée à soutenir qu'en déduisant de l'annulation du titre exécutoire, pour des motifs de régularité en la forme, l'extinction de la créance litigieuse, la cour administrative d'appel de Nantes a entaché son arrêt d'erreur de droit.

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué en tant qu'il se prononce sur les conclusions de la commune tendant à la mise en cause de la responsabilité extra-contractuelle de la société :

5. Les collectivités publiques peuvent, en matière contractuelle, soit constater elles-mêmes les créances qu'elles détiennent sur leurs cocontractants et émettre des titres exécutoires, soit saisir le juge administratif d'une demande tendant au recouvrement de ces créances. Toutefois, elles ne peuvent pas saisir d'une telle demande le juge lorsqu'elles ont décidé, préalablement, à cette saisine, d'émettre des titres exécutoires en vue de recouvrer les sommes en litige. Dans un tel cas, dans la mesure où la décision demandée au juge aurait les mêmes effets que le titre émis antérieurement, la demande présentée, fondée sur la responsabilité contractuelle, est dépourvue d'objet et par suite irrecevable.

6. Cette règle ne s'oppose pas à ce que les collectivités publiques qui ont décidé de constater elles-mêmes les créances contractuelles qu'elles détiennent sur leurs cocontractants et d'émettre des titres exécutoires, puissent saisir le juge administratif d'une demande recherchant la responsabilité extra contractuelle de leurs cocontractants à raison de l'illégalité des contrats en litige. Dans un tel cas, dans la mesure où la demande présentée au juge n'a ni le même fondement ni les mêmes effets que le titre exécutoire émis antérieurement, cette demande fondée sur la responsabilité extra-contractuelle ne peut être regardée comme dépourvue d'objet et par suite irrecevable.

7. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Nantes a jugé que les conclusions indemnitaires de la commune devaient être regardées comme intervenant en matière contractuelle au motif que la créance à recouvrer avait son origine dans les deux marchés conclus entre la commune et Fidélia Consulting, alors même que la commune invoquait l'illégalité de ces marchés. Elle en a déduit que, dès lors que la commune de la Remaudière avait fait le choix initial de poursuivre le recouvrement de sa créance contractuelle par la voie d'un titre de recette exécutoire, ses conclusions indemnitaires étaient irrecevables. Toutefois, ainsi qu'il a été dit précédemment, la circonstance qu'une collectivité publique ait décidé, dans un premier temps, de constater elle-même la créance qu'elle estimait détenir sur son cocontractant en application du contrat et ait émis à cette fin un titre exécutoire ne rend pas irrecevable une action ultérieure tendant à ce que soit engagée la responsabilité extra-contractuelle de celui-ci en raison de l'illégalité du contrat en litige, action qui ne saurait être regardée comme intervenant en matière contractuelle du seul fait qu'elle tend au remboursement de sommes originellement versées en exécution d'un contrat. Par suite, la commune de la Remaudière est fondée à soutenir que la cour a commis une erreur de droit en jugeant irrecevables ses conclusions indemnitaires.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la commune de la Remaudière est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Me A..., liquidateur judiciaire de la société Consulting Privé Public - Cabinet Fidélia Consulting, le versement à la commune de la Remaudière d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 8 février 2019 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nantes.

Article 3 : Me A..., liquidateur judiciaire de la société Consulting Privé Public - Cabinet Fidélia Consulting versera à la commune de la Remaudière une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Me A..., liquidateur judiciaire de la société Consulting Privé Public - Cabinet Fidélia Consulting, et à la commune de la Remaudière.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 429522
Date de la décision : 10/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-08-01 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES. RECEVABILITÉ. - IRRECEVABILITÉ D'UNE DEMANDE D'UNE COLLECTIVITÉ PUBLIQUE TENDANT AU RECOUVREMENT D'UNE CRÉANCE ALORS QU'ELLE A ÉMIS UN TITRE EXÉCUTOIRE [RJ1] - POSSIBILITÉ DE SAISIR LE JUGE D'UNE DEMANDE EN RESPONSABILITÉ EXTRACONTRACTUELLE À RAISON DE L'ILLÉGALITÉ DES MÊMES CONTRATS [RJ2] - EXISTENCE.

39-08-01 Les collectivités publiques peuvent, en matière contractuelle, soit constater elles-mêmes les créances qu'elles détiennent sur leurs cocontractants et émettre des titres exécutoires, soit saisir le juge administratif d'une demande tendant au recouvrement de ces créances. Toutefois, elles ne peuvent pas saisir d'une telle demande le juge lorsqu'elles ont décidé, préalablement à cette saisine, d'émettre des titres exécutoires en vue de recouvrer les sommes en litige. Dans un tel cas, dans la mesure où la décision demandée au juge aurait les mêmes effets que le titre émis antérieurement, la demande présentée, fondée sur la responsabilité contractuelle, est dépourvue d'objet et par suite irrecevable.... ,,Cette règle ne s'oppose pas à ce que les collectivités publiques qui ont décidé de constater elles-mêmes les créances contractuelles qu'elles détiennent sur leurs cocontractants et d'émettre des titres exécutoires, puissent saisir le juge administratif d'une demande recherchant la responsabilité extra contractuelle de leurs cocontractants à raison de l'illégalité des contrats en litige. Dans un tel cas, dans la mesure où la demande présentée au juge n'a ni le même fondement ni les mêmes effets que le titre exécutoire émis antérieurement, cette demande fondée sur la responsabilité extra-contractuelle ne peut être regardée comme dépourvue d'objet et par suite irrecevable.... ,,Ainsi, la circonstance qu'une collectivité publique ait décidé, dans un premier temps, de constater elle-même la créance qu'elle estimait détenir sur son cocontractant en application du contrat et ait émis à cette fin un titre exécutoire ne rend pas irrecevable une action ultérieure tendant à ce que soit engagée la responsabilité extracontractuelle de celui-ci en raison de l'illégalité du contrat en litige, action qui ne saurait être regardée comme intervenant en matière contractuelle du seul fait qu'elle tend au remboursement de sommes originellement versées en exécution d'un contrat.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 15 décembre 2017, Société Ryanair Designated Activity Company et société Airport Marketing Services Limited, n° 408550, T. pp. 683-731.,,

[RJ2]

Rappr., sur la possibilité pour une personne publique de saisir le juge d'une action contre son cocontractant tendant à la réparation d'un préjudice né du contrat lui-même plutôt que de d'émettre un titre exécutoire, CE, 24 février 2016, Département de l'Eure, n° 395194, p. 44 ;

CE, 27 mars 2020, Société Signalisation France, n° 420491, à publier au Recueil.


Publications
Proposition de citation : CE, 10 jui. 2020, n° 429522
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Marc Firoud
Rapporteur public ?: M. Gilles Pellissier
Avocat(s) : SCP DIDIER, PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:429522.20200710
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