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22/06/2020 | FRANCE | N°433331

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 22 juin 2020, 433331


Vu la procédure suivante :

La société Ancenis Distribution a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge partielle de la taxe sur les surfaces commerciales à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2014 à 2016 pour l'établissement qu'elle exploite à Saint-Géréon (Loire-Atlantique). Par un jugement n° 1703512 du 6 juin 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 août et 6 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l

a société Ancenis Distribution demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jug...

Vu la procédure suivante :

La société Ancenis Distribution a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge partielle de la taxe sur les surfaces commerciales à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2014 à 2016 pour l'établissement qu'elle exploite à Saint-Géréon (Loire-Atlantique). Par un jugement n° 1703512 du 6 juin 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 août et 6 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Ancenis Distribution demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 6 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Société Ancenis Distribution demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation du jugement du 6 juin 2019 du tribunal administratif de Nantes, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés, dans sa rédaction issue de l'article 46 de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Colin-Stoclet, avocat de la société Ancenis Distribution ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Ancenis Distribution demande l'annulation du jugement du 6 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à la décharge partielle de la taxe sur les surfaces commerciales à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2014 à 2016 pour l'établissement qu'elle exploite à Saint-Géréon (Loire-Atlantique).

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. A l'appui de son pourvoi en cassation, la société requérante demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, dans l'hypothèse où le tribunal administratif de Nantes aurait fait une exacte interprétation de la loi fiscale, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972, dans sa rédaction issue de l'article 46 de la loi du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014.

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 précitée : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions du même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

4. Aux termes de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certains commerçants et artisans âgés, dans sa version issue de l'article 46 de la loi du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014 : " Il est institué une taxe sur les surfaces commerciales assise sur la surface de vente des magasins de commerce de détail, dès lors qu'elle dépasse 400 mètres carrés, des établissements ouverts à partir du 1er janvier 1960 quelle que soit la forme juridique de l'entreprise qui les exploite. (...) / La surface de vente des magasins de commerce de détail, prise en compte pour le calcul de la taxe, et celle visée à l'article L. 720-5 du code de commerce, s'entendent des espaces affectés à la circulation de la clientèle pour effectuer ses achats, de ceux affectés à l'exposition des marchandises proposées à la vente, à leur paiement, et de ceux affectés à la circulation du personnel pour présenter les marchandises à la vente./ La surface de vente des magasins de commerce de détail prise en compte pour le calcul de la taxe ne comprend que la partie close et couverte de ces magasins. (...) / Pour les établissements dont le chiffre d'affaires au mètre carré est inférieur à 3 000 €, le taux de cette taxe est de 5,74 € au mètre carré de surface définie au troisième alinéa. Pour les établissements dont le chiffre d'affaires au mètre carré est supérieur à 12 000 €, le taux est fixé à 34,12 €. (...) / Lorsque le chiffre d'affaires au mètre carré est compris entre 3 000 et 12 000 €, le taux de la taxe est déterminé par la formule suivante : 5,74 € + [0,00315 × (CA / S-3 000)] €, dans laquelle CA désigne le chiffre d'affaires annuel hors taxe de l'établissement assujetti, exprimé en euros, et S désigne la surface des locaux imposables, exprimée en mètres carrés. (...) / Les dispositions prévues à l'article L. 651-5 du code de la sécurité sociale sont applicables pour la détermination du chiffre d'affaires imposable ".

5. Il résulte de ces dispositions que le chiffre d'affaires à prendre en compte pour déterminer le taux de la taxe sur les surfaces commerciales dont est redevable, à raison de ses surfaces de vente, un établissement exerçant une activité de vente au détail est celui correspondant à l'ensemble des ventes au détail en l'état que cet établissement réalise annuellement, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que ces ventes sont ou non réalisées dans des locaux dont la surface est prise en compte dans l'assiette de la taxe. Sont notamment incluses dans ce chiffre d'affaires les ventes relatives à des marchandises vendues par cet établissement sur internet et dont le client prend livraison dans un espace dédié du magasin, alors même que les surfaces de cet espace de livraison ne seraient pas prises en compte dans l'assiette de la taxe.

6. La société Ancenis Distribution, qui doit être regardée comme critiquant les 8ème à 17ème alinéas de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972, applicables au présent litige et qui n'ont pas été déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, soutient que ces dispositions méconnaissent les principes constitutionnels d'égalité devant l'impôt et d'égalité devant les charges publiques, garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'elles prévoient la prise en compte, dans le chiffre d'affaires retenu pour déterminer le taux de la taxe, du produit de ventes qui ne sont pas réalisées dans les locaux dont la surface est elle-même comprise dans l'assiette de la taxe, en particulier les ventes, réalisées sur internet, de marchandises dont le client prend livraison dans un lieu dédié de l'établissement ne constituant pas lui-même une surface de vente au sens de cette loi.

7. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration du 26 août 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Selon l'article 13 de la même Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

8. En premier lieu, la société requérante soutient que les dispositions contestées créent, entre les entreprises dont l'activité consiste exclusivement à exploiter des entrepôts dédiés au commerce en ligne, sans disposer de surfaces de vente, et celles qui exploitent des commerces qui, en plus de leur activité de vente en magasin, exercent une activité de vente sur internet de marchandises dont le client vient prendre livraison dans une annexe de l'établissement dédiée à cette fin, une différence de traitement fiscal non justifiée par une différence de situation ou par un motif d'intérêt général. Toutefois ces deux types d'entreprises, dont les unes seulement exercent une activité de vente de détail grâce à des surfaces de vente et se trouvent, à ce titre, soumises à la taxe sur les surfaces commerciales, sont dans des situations objectivement différentes au regard des dispositions en cause, qui déterminent le taux de la taxe sur les surfaces commerciales. La différence de traitement qui leur est applicable est en rapport avec l'objet des dispositions en cause.

9. En second lieu, il résulte des dispositions de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 que les établissements de vente au détail ne sont assujettis à la taxe sur les surfaces commerciales qu'à raison des espaces affectés à la circulation de la clientèle pour effectuer ses achats, affectés à l'exposition des marchandises proposées à la vente ou à leur paiement, et affectés à la circulation du personnel pour présenter les marchandises à la vente et selon un taux qui varie, en fonction croissante du chiffre d'affaires par mètre carré de surface commerciale, de 5,74 euros à 34,12 euros par mètre carré. Il s'en déduit que, contrairement à ce que soutient la société requérante, le législateur a établi la taxe dans le respect des capacités contributives des établissements concernés sans qu'il en résulte, même en incluant les ventes réalisées par internet dans le chiffre d'affaires retenu pour déterminer le taux de la taxe, de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité, qui n'est pas nouvelle, ne peut être regardée comme présentant un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur les autres moyens du pourvoi :

11. Pour demander l'annulation du jugement qu'elle attaque, la société Ancenis Distribution soutient que le tribunal administratif de Nantes a commis une erreur de droit et, en tout état de cause, entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation et d'une dénaturation des pièces du dossier, en jugeant que les ventes au détail en l'état réalisées par son service " drive " devaient être intégrées, pour le calcul du taux de la taxe sur les surfaces commerciales, dans le chiffre d'affaires global des ventes au détail en l'état de l'établissement.

12. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Ancenis Distribution.

Article 2 : Le pourvoi de la société Ancenis Distribution n'est pas admis.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Ancenis Distribution et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 433331
Date de la décision : 22/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 22 jui. 2020, n° 433331
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Agnoux
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP COLIN-STOCLET

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:433331.20200622
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