La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/06/2020 | FRANCE | N°418452

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 19 juin 2020, 418452


Vu la procédure suivante :

M. et Mme B... C... ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2008 et des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1307870 du 11 février 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 14PA01656 du 21 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. et Mme C... contre ce jugement.

Par un pou

rvoi sommaire, deux mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés...

Vu la procédure suivante :

M. et Mme B... C... ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2008 et des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1307870 du 11 février 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 14PA01656 du 21 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. et Mme C... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, deux mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 février, 22 mai et 11 septembre 2018 et le 7 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme C... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt :

- d'erreur de droit en ne censurant pas l'absence de débat oral et contradictoire avec le vérificateur dès lors qu'était en cause un abus de droit ;

- d'erreur de droit en déduisant la finalité purement fiscale de la création de la société Financière RKW Holding de son caractère de société holding et de la circonstance que sa participation dans la société opérationnelle KR Média avait été son seul actif pendant près de quatre ans ;

- d'erreur de droit à avoir exigé que le contribuable démontre non seulement que les actes juridiques qu'il avait passés présentaient une rationalité économique suffisante, mais aussi que ces actes étaient nécessaires, en tant qu'ils constituaient le seul moyen d'atteindre les objectifs non fiscaux qu'il mettait en avant ;

- d'insuffisance de motivation en ne répondant pas au moyen tiré de ce que le choix de constituer une société holding minoritaire au capital de la société opérationnelle KR Média et de cantonner l'investissement en capital du groupe publicitaire WPP au niveau de cette holding était une réponse rationnelle à la préoccupation des deux associés fondateurs d'organiser de manière pérenne leurs relations de pouvoir et de contrôle avec ce groupe publicitaire ;

- d'erreur de qualification juridique des faits en refusant de considérer qu'ils apportaient suffisamment d'éléments pour justifier des multiples intérêts qui étaient attachés à la constitution de la société holding ;

- d'erreur de droit en jugeant que M. C... avait, en créant la société financière RKW Holding, et en inscrivant les titres de cette société à son plan d'épargne en actions, recherché le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'article 163 quinquies D du code général des impôts contraire à l'objectif poursuivi par le législateur.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. A... E...,

- les conclusions de Mme Anne Iljic, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de M. et Mme C... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. C... a créé, le 28 décembre 2004, avec M. D... et la société Cavendish Square Holding BV, filiale du groupe WPP, la société Financière RKW Holding, qui avait pour objet l'acquisition et la gestion de titres sociaux. Le même jour, il a cédé à cette société des titres de la société par actions simplifiée KR Media France (KRM), qu'il avait constituée le 7 janvier 2004 avec M. D..., et qui exerce l'activité de centrale d'achats d'espaces publicitaires. Il a alors inscrit, pour leur valeur nominale, les titres qu'il détenait de la société Financière RKW Holding dans son plan d'épargne en actions. Le 20 juin 2008, M. C... a cédé l'intégralité de sa participation dans la société Financière RKW Holding à la société Cavendish Square Holding BV. A raison de l'inscription des titres de la société Financière RKW Holding sur le plan d'épargne en actions de M. C..., M. et Mme C... ont regardé la plus-value réalisée à l'occasion de la cession de ces titres comme exonérée d'impôt en application du 5 bis de l'article 157 du code général des impôts. A la suite d'un contrôle sur pièces du dossier fiscal de M. et Mme C..., l'administration fiscale a remis en cause, en recourant à la procédure de répression des abus de droit prévue par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, l'exonération dont avaient ainsi entendu bénéficier les contribuables au double motif, d'une part, que la société Financière RKW Holding avait été interposée afin de permettre à M. C... de respecter en apparence la condition, mentionnée au I de l'article 163 quinquies D du code général des impôts, relative à la détention directe ou indirecte des droits dans les bénéfices sociaux inférieure ou égale à 25 %, et, d'autre part, que la valeur des titres de la société Financière RKW Holding avait été volontairement minorée lors de leur inscription sur le plan d'épargne en actions de M. C..., pour assurer le respect formel du plafond de 132 000 euros applicable afin de bénéficier de l'exonération d'imposition des produits et plus-values procurés par des placements effectués dans le cadre d'un plan d'épargne en actions. M. et Mme C... ont, en conséquence, été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l'année 2008, majorées des intérêts de retard et de pénalités de 80 % pour abus de droit sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts. Ils se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 21 décembre 2017 de la cour administrative d'appel de Paris rejetant leur appel contre le jugement du tribunal administratif de Paris du 11 février 2017 rejetant leur demande de décharge de ces impositions.

2. L'article 157 du code général des impôts dispose que : " N'entrent pas en compte pour la détermination du revenu net global : / (...) 5° bis Les produits et plus-values que procurent les placements effectués dans le cadre du plan d'épargne en actions défini à l'article 163 quinquies D (...) ". Aux termes de l'article 163 quinquies D du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. Les contribuables dont le domicile fiscal est situé en France peuvent ouvrir un plan d'épargne en actions dans les conditions définies par la loi n° 92-666 du 16 juillet 1992 modifiée. / Chaque contribuable ou chacun des époux soumis à imposition commune ne peut être titulaire que d'un plan. Un plan ne peut avoir qu'un titulaire. /Le titulaire d'un plan effectue des versements en numéraire dans une limite de 132 000 euros. II (...) 3. Le titulaire du plan, son conjoint et leurs ascendants et descendants ne doivent pas, pendant la durée du plan, détenir ensemble, directement ou indirectement, plus de 25 p. 100 des droits dans les bénéfices de sociétés dont les titres figurent au plan ou avoir détenu cette participation à un moment quelconque au cours des cinq années précédant l'acquisition de ces titres dans le cadre du plan ".

3. L'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable, dispose que : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. L'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales.

4. En premier lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que pour écarter l'argumentation des requérants tirée de ce que la société Financière RKW Holding avait une réalité économique et que sa constitution avait pour objectif d'associer le groupe WPP au développement de la société KRM tout en préservant l'indépendance de cette dernière, la cour s'est fondée sur la circonstance que les éléments apportés par les contribuables ne démontraient pas la nécessité de l'interposition de la société Financière RKW Holding. En exigeant ainsi que ces derniers justifient de ce que l'architecture d'ensemble mise en place était la seule possible pour atteindre l'objectif économique poursuivi, la cour a commis une erreur de droit.

5. En second lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'après avoir créé, en janvier 2004, une société ayant notamment pour activité l'achat d'espaces publicitaires, la société KRM, M. C... et M. D... avaient constitué, en décembre 2004, deux sociétés holding dont ils détenaient chacun 25 % des parts, l'autre moitié étant détenue, s'agissant de la société Financière RKW Holding, par le groupe de publicité WPP, et s'agissant de la société RK Private, par plusieurs investisseurs. M. C... et M. D... avaient alors cédé les parts de la société KRM à ces deux sociétés holding à concurrence de 924 parts pour la société Financière RKW Holding et de 926 parts pour la société RK Private. En se prononçant sur la réalité économique de la constitution de la société Financière RKW Holding sans prendre en compte l'ensemble des éléments de l'architecture mise en place par M. C... et M. D..., la cour a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, M. et Mme C... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à M. et Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 21 décembre 2017 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à M. et Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme B... C... et au ministre de l'action et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 418452
Date de la décision : 19/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - GÉNÉRALITÉS - RÈGLES GÉNÉRALES D'ÉTABLISSEMENT DE L'IMPÔT - ABUS DE DROIT ET FRAUDE À LA LOI - ABUS DE DROIT (ART - L - 64 DU LPF) - POURSUITE D'UN BUT EXCLUSIVEMENT FISCAL - MODALITÉS D'APPRÉCIATION.

19-01-03-03 Le juge de l'impôt ne peut, pour écarter l'existence d'un abus de droit, exiger du contribuable qu'il justifie que l'architecture d'ensemble mise en place était la seule possible pour atteindre l'objectif économique poursuivi.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES - REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES PARTICULIÈRES - PLUS-VALUES DES PARTICULIERS - ABUS DE DROIT (ART - L - 64 DU LPF) - POURSUITE D'UN BUT EXCLUSIVEMENT FISCAL - MODALITÉS D'APPRÉCIATION.

19-04-02-08 Le juge de l'impôt ne peut, pour écarter l'existence d'un abus de droit, exiger du contribuable qu'il justifie que l'architecture d'ensemble mise en place était la seule possible pour atteindre l'objectif économique poursuivi.


Publications
Proposition de citation : CE, 19 jui. 2020, n° 418452
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Réda Wadjinny-Green
Rapporteur public ?: Mme Anne Iljic
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:418452.20200619
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award