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05/06/2020 | FRANCE | N°430437

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 05 juin 2020, 430437


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 mai 2019 et 15 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat national solidaire unitaire et démocratique de sapeurs-pompiers professionnels, agents techniques et administratifs des services départementaux d'incendie et de secours, branche retraités (SUD SDIS Retraités) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande du 4 janvier 2019 tendant à l

'abrogation du second alinéa de l'article 18 du décret n° 2003-1306 du 26 d...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 mai 2019 et 15 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat national solidaire unitaire et démocratique de sapeurs-pompiers professionnels, agents techniques et administratifs des services départementaux d'incendie et de secours, branche retraités (SUD SDIS Retraités) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande du 4 janvier 2019 tendant à l'abrogation du second alinéa de l'article 18 du décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que son protocole additionnel ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et la loi organique n° 2020-365 du 30 mars 2020 ;

- la loi n° 90-1067 du 28 novembre 1990 ;

- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Nissen, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat du Syndicat National Sud Sapeurs-pompiers Professionnels, Agents Retraites ;

Considérant ce qui suit :

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 17 de la loi du 28 novembre 1990 relative à la fonction publique territoriale et portant modification de certains articles du code des communes dans sa rédaction issue de la loi du 27 décembre 2016 relative aux sapeurs-pompiers professionnels et aux sapeurs-pompiers volontaires : " A partir du 1er janvier 1991, les sapeurs-pompiers professionnels, y compris ceux occupant ou ayant occupé les emplois de directeurs départementaux et directeurs départementaux adjoints des services d'incendie et de secours, bénéficient de la prise en compte de l'indemnité de feu pour le calcul de la pension de retraite ainsi que pour les retenues pour pension dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. / La jouissance de la majoration de pension résultant de l'intégration de cette indemnité est subordonnée à l'accomplissement d'une durée de services effectifs de dix-sept ans en qualité de sapeur-pompier professionnel, y compris la durée accomplie sur les emplois de directeur départemental et de directeur départemental adjoint des services d'incendie et de secours, et est différée jusqu'à l'âge de cinquante-sept ans, ces deux dernières conditions n'étant pas applicables aux sapeurs-pompiers professionnels qui sont radiés des cadres ou mis à la retraite pour invalidité et aux ayants cause de ces fonctionnaires décédés avant leur admission à la retraite. Toutefois, seules les années de services accomplies en qualité de sapeur-pompier professionnel, y compris les services accomplis sur les emplois de directeur départemental et de directeur départemental adjoint des services d'incendie et de secours, entrent en ligne de compte pour le calcul de cette majoration de pension. / Pour permettre la prise en compte progressive de l'indemnité de feu dans leur pension, la retenue pour pension actuellement supportée par les intéressés est majorée dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Les collectivités employeurs supportent pour les mêmes personnels une contribution supplémentaire fixée dans les mêmes conditions. Ces taux peuvent en tant que de besoin être majorés par décret en Conseil d'Etat pour couvrir les dépenses supplémentaires résultant des dispositions de la présente loi pour la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. / La prise en compte de cette indemnité sera réalisée progressivement du 1er janvier 1991 au 1er janvier 2003 ".

3. Le syndicat SUD SDIS Retraités soutient que les dispositions de l'article 17 de la loi du 28 novembre 1990 relative à la fonction publique territoriale et portant modification de certains articles du code des communes méconnaissent le principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'elles prévoient que seules les années de service accomplies en qualité de sapeur-pompier professionnel doivent être comptabilisées pour le calcul de la majoration de pension au titre de l'indemnité de feu. Selon le syndicat requérant, ces dispositions créeraient une différence de traitement non justifiée, d'une part entre les sapeurs-pompiers professionnels ayant accompli toute leur carrière en cette qualité et ceux qui ont effectué une partie de leur carrière comme sapeur-pompier de Paris ou marin-pompier de Marseille, d'autre part entre les sapeurs-pompiers professionnels et d'autres agents comme les policiers, les gendarmes ou les personnels de l'administration pénitentiaire.

4. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

5. D'une part, il résulte de l'article 17 de la loi du 28 novembre 1990 que le législateur a institué une majoration de pension liée à la prise en compte de l'indemnité de feu versée aux sapeurs-pompiers professionnels en contrepartie de retenues pour pension prélevées pendant la durée de perception de cette indemnité. Dès lors, les fonctionnaires territoriaux relevant du cadre d'emplois des sapeurs-pompiers professionnels qui ont effectué une partie de leur carrière en tant que militaires au sein de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris ou du bataillon des marins-pompiers de Marseille, période au cours de laquelle ils n'ont pas bénéficié de l'indemnité de feu et n'ont pas été soumis à la retenue pour pension correspondante, ne sont pas, au regard de l'objet de la loi, dans la même situation que les sapeurs-pompiers professionnels qui ont effectué l'intégralité de leur carrière en qualité de fonctionnaires territoriaux.

6. D'autre part, le principe d'égalité de traitement dans le déroulement de la carrière des fonctionnaires, qui découle de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, n'est susceptible de s'appliquer qu'entre les agents appartenant à un même corps ou à un même cadre d'emplois, y compris au regard des règles de liquidation de leur pension. Par suite, ne peut qu'être écartée l'invocation du principe d'égalité au regard de la situation des policiers, gendarmes ou agents de l'administration pénitentiaire, qui ne relèvent pas du cadre d'emplois des sapeurs-pompiers professionnels et ne perçoivent pas l'indemnité de feu.

7. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le syndicat, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur la requête du syndicat SUD SDIS Retraités visant à l'annulation de la décision implicite de rejet du Premier ministre :

8. Le syndicat SUD SDIS Retraités demande l'annulation du refus implicite du Premier ministre d'abroger le second alinéa de l'article 18 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité de l'acte réglementaire dont l'abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision.

9. Aux termes de l'article 18 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales : " Les indices servant pour la liquidation des pensions de retraite des sapeurs-pompiers et de leurs ayants cause qui ont exercé pendant au moins dix-sept ans en qualité de sapeurs-pompiers professionnels sont majorés dans les conditions prévues à l'article 17 de la loi du 28 novembre 1990 susvisée. / La majoration de la pension de retraite des sapeurs-pompiers qui n'ont pas effectué la totalité de leur carrière en qualité de sapeurs-pompiers professionnels, liquidée sur la base du dernier indice brut détenu au cours des six derniers mois en qualité de sapeur-pompier professionnel, est calculée proportionnellement à la durée des services accomplis en qualité de sapeur-pompier professionnel ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions et de celles qui sont citées au point 2 ci-dessus que la majoration de pension liée à la prise en compte de l'indemnité de feu est calculée en établissant le rapport entre le temps de service effectif de l'agent en cause au cours de l'ensemble de sa carrière et le temps de service qu'il a accompli en qualité de sapeur-pompier professionnel.

10. En premier lieu, en fixant les conditions de la prise en compte de l'indemnité de feu pour le calcul de la pension de retraite des sapeurs-pompiers professionnels, y compris les modalités selon lesquelles seules les années de services accomplies en qualité de sapeur-pompier professionnel sont prises en compte pour le calcul de cette majoration de pension, le pouvoir réglementaire s'est borné à préciser les modalités d'application des dispositions de l'article 17 de la loi du 28 novembre 1990. Par suite, le moyen de la requête tiré de ce que les dispositions du second alinéa de l'article 18 du décret du 26 décembre 2003 auraient été édictées par une autorité incompétente ne peut qu'être écarté.

11. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit aux points 5 et 6 ci-dessus, les moyens tirés de ce que les dispositions attaquées du décret du 26 décembre 2003, d'une part, créeraient une inégalité de traitement entre les sapeurs-pompiers professionnels ayant exercé toute leur carrière dans ce cadre d'emplois et les sapeurs-pompiers professionnels ayant exercé une partie de leur carrière en tant que sapeurs-pompiers de Paris ou marins-pompiers de Marseille et, d'autre part, institueraient une disparité de traitement entre les sapeurs-pompiers professionnels et les fonctionnaires de la police nationale, les militaires de la gendarmerie nationale et les personnels de l'administration pénitentiaire ne peuvent qu'être écartés.

12. En troisième lieu, aux termes de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ". Si le droit à l'allocation d'une pension de retraite pour les sapeurs-pompiers professionnels ainsi que le droit à la majoration de cette pension par l'intégration, dans son calcul, de l'indemnité de feu constituent, pour les sapeurs-pompiers professionnels qui remplissent les conditions légales pour les obtenir, des biens au sens de ces stipulations, cette majoration liée à la prise en compte de l'indemnité de feu a pour contrepartie les retenues pour pension prélevées pendant la durée de perception de cette indemnité. Par suite, les dispositions contestées, en ne prenant pas en compte, dans le calcul de la majoration de pension, des années au cours desquelles les retenues pour pension n'ont pas été prélevées, ne peuvent être regardées, en l'absence de cette contrepartie, comme privant d'un bien les personnes intéressées. Dès lors, ne peut qu'être écarté le moyen tiré de ce que les stipulations de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales auraient été méconnues.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le syndicat SUD SDIS Retraités n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision qu'il attaque.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le syndicat SUD SDIS Retraités.

Article 2 : La requête du syndicat SUD SDIS Retraités est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au syndicat SUD SDIS Retraités, au Premier ministre, au ministre de l'intérieur et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 430437
Date de la décision : 05/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 jui. 2020, n° 430437
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Nissen
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:430437.20200605
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