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05/06/2020 | FRANCE | N°423811

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 05 juin 2020, 423811


Vu la procédure suivante :

La société Euro Stockage a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2005 et 2006 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 0913878 du 28 avril 2011, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 11VE02457 du 21 novembre 2013, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Euro Stockage, aux droits de laquelle est venue la société Holcim Fran

ce, et par la société Enka contre ce jugement.

Par une décision nos 374836, 3748...

Vu la procédure suivante :

La société Euro Stockage a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2005 et 2006 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 0913878 du 28 avril 2011, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 11VE02457 du 21 novembre 2013, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Euro Stockage, aux droits de laquelle est venue la société Holcim France, et par la société Enka contre ce jugement.

Par une décision nos 374836, 374841 du 25 octobre 2017, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour administrative de Versailles.

Par un arrêt n° 17VE03171 du 3 juillet 2018, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté la requête de la société Holcim France, devenue la société Eqiom, et de la société Enka.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 septembre et 3 décembre 2018 et le 12 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés Eqiom et Enka demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 ;

- l'arrêt du 26 février 2019 de la Cour de justice de l'Union européenne, aff. C-116/16 et C-117/16, Skatteministeriet contre T Danmark et Y Denmark Aps ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Eqiom et de la société Enka ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société par actions simplifiée (SAS) Euro Stockage, qui a pour activité le déchargement, le stockage et l'ensachement de ciment, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006, à l'issue de laquelle l'administration, après avoir relevé que la société déclarait avoir versé des dividendes, au cours des années 2005 et 2006, à sa société mère de droit luxembourgeois Enka, a mis à sa charge au titre de ces deux années, en application de l'article 119 bis du code général des impôts, une retenue à la source au taux de 25 % à raison des dividendes ainsi distribués. La société Eqiom, anciennement SAS Holcim France, venant aux droits de la société Euro Stockage, et la société Enka demandent l'annulation de l'arrêt du 3 juillet 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté leur appel contre le jugement du 28 avril 2011 du tribunal administratif de Montreuil rejetant leur demande tendant à la décharge de ces retenues à la source, ainsi que des pénalités correspondantes.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents, telle que modifiée par la directive 2003/123/CE du Conseil du 22 décembre 2003 : " 1. Chaque Etat membre applique la présente directive : / - aux distributions de bénéfices reçues par des sociétés de cet Etat et provenant de leurs filiales d'autres Etats membres, / - aux distributions de bénéfices effectuées par des sociétés de cet Etat à des sociétés d'autres Etats membres dont elles sont les filiales. / 2. La présente directive ne fait pas obstacle à l'application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d'éviter les fraudes et abus ". Aux termes de l'article 5 de cette même directive : " 1. Les bénéfices distribués par une filiale à sa société mère sont exonérés de retenue à la source ".

3. Aux termes de l'article 119 ter du code général des impôts, pris pour la transposition de la directive 90/435/CEE, dans sa rédaction applicable au litige : " 1. La retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis n'est pas applicable aux dividendes distribués à une personne morale qui remplit les conditions énumérées au 2 du présent article par une société ou un organisme soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal. / 2. Pour bénéficier de l'exonération prévue au 1, la personne morale doit justifier auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement de ces revenus qu'elle est le bénéficiaire effectif des dividendes et qu'elle remplit les conditions suivantes : / a) Avoir son siège de direction effective dans un Etat membre de la Communauté européenne et n'être pas considérée, aux termes d'une convention en matière de double imposition conclue avec un Etat tiers, comme ayant sa résidence fiscale hors de la Communauté ; / b) Revêtir l'une des formes énumérées sur une liste établie par arrêté du ministre chargé de l'économie conformément à l'annexe à la directive du Conseil des communautés européennes n° 90-435 du 23 juillet 1990 modifiée par la directive 2003/123/CE du Conseil, du 22 décembre 2003 ; / c) Détenir directement, de façon ininterrompue depuis deux ans ou plus, 25 p. 100 au moins du capital de la personne morale qui distribue les dividendes, ou prendre l'engagement de conserver cette participation de façon ininterrompue pendant un délai de deux ans au moins (...) / d) Etre passible, dans l'Etat membre où elle a son siège de direction effective, de l'impôt sur les sociétés de cet Etat, sans possibilité d'option et sans en être exonérée. / (...) 3. Les dispositions du 1 ne s'appliquent pas lorsque les dividendes distribués bénéficient à une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d'Etats qui ne sont pas membres de la Communauté, sauf si cette personne morale justifie que la chaîne de participations n'a pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage des dispositions du 1 (...) ".

4. La Cour de justice de l'Union européenne a relevé dans les motifs de son arrêt du 26 février 2019 Skatteministeriet contre T Danmark et Y Denmark Aps (aff. C-116/16 et C 117/16, point 113) que les mécanismes de la directive 90/435/CEE, en particulier son article 5, sont " conçus pour des situations dans lesquelles, sans leur application, l'exercice par les États membres de leurs pouvoirs d'imposition pourrait conduire à ce que les bénéfices distribués par la société filiale à sa société mère soient soumis à une double imposition (...). De tels mécanismes n'ont en revanche pas vocation à s'appliquer lorsque le bénéficiaire effectif des dividendes est une société ayant sa résidence fiscale en dehors de l'Union puisque, dans un tel cas, l'exonération de la retenue à la source desdits dividendes dans l'État membre à partir duquel ils sont versés risquerait d'aboutir à ce que ces dividendes ne soient pas imposés de façon effective dans l'Union ".

5. Il résulte de ces motifs que la qualité de bénéficiaire effectif des dividendes doit être regardée comme une condition du bénéfice de l'exonération de retenue à la source prévue par l'article 5 de la directive. Par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les sociétés requérantes n'étaient pas fondées à soutenir que les dispositions du 2 de l'article 119 ter du code général des impôts, en ce qu'elles subordonnent le bénéfice de l'exonération à la condition que la personne morale justifie auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement des dividendes qu'elle en est le bénéficiaire effectif, seraient incompatibles avec les objectifs de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990. Si, dans ses motifs, la cour a mentionné improprement la directive 2003/123/CE et non la directive 90/435/CEE telle que modifiée par cette directive, cette erreur de plume est dépourvue d'incidence sur son raisonnement.

6. En second lieu, sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si la situation du contribuable entre dans le champ de l'assujettissement à l'impôt ou, le cas échéant, s'il remplit les conditions légales d'une exonération.

7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration contestait devant la cour le fait que la société mère luxembourgeoise Enka ait été le bénéficiaire effectif des dividendes en litige, en l'absence d'élément, tel qu'un relevé d'identité bancaire, établissant qu'elle était bien la titulaire du compte bancaire ouvert en Suisse sur lequel les dividendes ont été versés. En retenant, au terme d'une appréciation souveraine exempte de dénaturation, qu'aucune des pièces produites par les requérantes n'était de nature à établir que cette société avait appréhendé les dividendes litigieux versés en 2005 et 2006, la cour n'a pas méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve ni commis d'erreur de droit.

8. Il résulte de ce qui précède que les sociétés Eqiom et Enka ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'arrêt qu'elles attaquent. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi des sociétés Eqiom et Enka est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée aux sociétés Eqiom et Enka ainsi qu'au ministre de l'action et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 423811
Date de la décision : 05/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 05 jui. 2020, n° 423811
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Agnoux
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:423811.20200605
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