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29/05/2020 | FRANCE | N°437236

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 29 mai 2020, 437236


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 31 décembre 2019 et le 10 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Polynésie Intérim demande au Conseil d'Etat :

1°) de déclarer illégale la " loi du pays " n° 2019-27 LP/APF adoptée le 28 novembre 2019 par l'Assemblée de la Polynésie française portant modification des alinéas 61 à 69 de l'article LP. 1 de la " loi du pays " n° 2019-19 LP/APF du 8 juillet 2019 relative à la promotion et à la protection de l'emploi local ;

2°) de mettre

à la charge de la Polynésie française la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 76...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 31 décembre 2019 et le 10 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Polynésie Intérim demande au Conseil d'Etat :

1°) de déclarer illégale la " loi du pays " n° 2019-27 LP/APF adoptée le 28 novembre 2019 par l'Assemblée de la Polynésie française portant modification des alinéas 61 à 69 de l'article LP. 1 de la " loi du pays " n° 2019-19 LP/APF du 8 juillet 2019 relative à la promotion et à la protection de l'emploi local ;

2°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 74 ;

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004, notamment son article 18 ;

- le code du travail de la Polynésie française ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Anne Iljic, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Le premier alinéa du III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française dispose que : " Le Conseil d'Etat se prononce sur la conformité des actes prévus à l'article 140 dénommés " lois du pays " au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit. Il se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'il estime susceptibles de fonder l'annulation, en l'état du dossier (...) ". Aux termes des troisième et quatrième alinéas de l'article 177 de la même loi : " (...) Si le Conseil d'Etat décide qu'un acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" contient une disposition contraire à la Constitution, aux lois organiques ou aux engagements internationaux, ou aux principes généraux du droit, sans constater en même temps que cette disposition est inséparable de l'acte, seule cette dernière disposition ne peut être promulguée./ Dans le cas prévu à l'alinéa précédent, le président de la Polynésie française peut, dans les dix jours qui suivent la publication de la décision du Conseil d'Etat au Journal officiel de la Polynésie française, soumettre la disposition concernée à une nouvelle lecture de l'assemblée de la Polynésie française , afin d'en assurer la conformité aux normes mentionnée au deuxième alinéa (...)".

2. A la suite à la décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux nos 433595, 433618 du 23 octobre 2019 déclarant que les dispositions de l'article LP 1 de la " loi du pays " n° 2019-18 LP/APF adoptée le 8 juillet 2019 par l'assemblée de la Polynésie française relative à la promotion et à la protection de l'emploi local étaient illégales en tant qu'elles ne réservaient pas le cas des embauches réalisées dans l'urgence, l'assemblée de la Polynésie française a adopté le 28 novembre 2019, sur le fondement des articles 140 et 177 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, la " loi du pays" n° 2019-27 LP/APF portant modification des alinéas 61 à 69 de l'article LP 1 de la " loi du pays " du 8 juillet 2019. La société Polynésie Intérim défère au Conseil d'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004, cette " loi du pays ".

3. En vertu du dixième alinéa de l'article 74 de la Constitution, la loi organique peut déterminer, pour les collectivités d'outre-mer dotées de l'autonomie, les conditions dans lesquelles " des mesures justifiées par les nécessités locales peuvent être prises par la collectivité en faveur de sa population, en matière d'accès à l'emploi, de droit d'établissement pour l'exercice d'une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier ". Aux termes de l'article 18 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française : " La Polynésie française peut prendre des mesures favorisant l'accès aux emplois salariés du secteur privé au bénéfice des personnes justifiant d'une durée suffisante de résidence sur son territoire ou des personnes justifiant d'une durée suffisante de mariage, de concubinage ou de pacte civil de solidarité avec ces dernières./ A égalité de mérites, de telles mesures sont appliquées dans les mêmes conditions pour l'accès aux emplois de la fonction publique de la Polynésie française et des communes (...)/Les mesures prises en application du présent article doivent, pour chaque type d'activité professionnelle et chaque secteur d'activité, être justifiées par des critères objectifs en relation directe avec les nécessités du soutien ou de la promotion de l'emploi local. En outre, ces mesures ne peuvent porter atteinte aux droits individuels et collectifs dont bénéficient, à la date de leur publication, les personnes physiques ou morales autres que celles mentionnées au premier alinéa et qui exerçaient leur activité dans des conditions conformes aux lois et règlements en vigueur à cette date. / Les conditions d'application du présent article sont prévues par des actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays" (...) ".

4. L'article LP 1 de la " loi du pays " contestée dispose que : " Les alinéas 62 à 69 de l'article LP 1 du texte adopté n° 2019-18 LP/APF du 8 juillet 2019 relative à la promotion et à la protection de l'emploi local sont remplacés par les dispositions ainsi rédigées : / " Article Lp. 5532-2 : A l'exception des cas où l'employeur met en application les dispositions de l'article Lp. 5532-1, toute offre d'emploi correspondant à une activité professionnelle soumise à une mesure de protection de l'emploi local fait l'objet d'un traitement par le service en charge de l'emploi après notification de l'emploi vacant à celui-ci en application des dispositions de l'article Lp. 5421-2. / L'employeur ne peut procéder à l'embauche d'une personne non bénéficiaire de cette protection sauf dans les cas suivants : / (...) 3°) situation urgente dûment justifiée par l'employeur. / Dans la situation visée au 3° du présent article, le service en charge de l'emploi local lui propose, dans un délai maximum de 72 heures : / - au moins un candidat justifiant de la durée de résidence suffisante ou, à défaut ; / - lui délivre une attestation constatant l'absence de candidats. Dans ce cas, l'employeur peut recruter un candidat non bénéficiaire de la protection de l'emploi local uniquement en ayant recours à un contrat à durée déterminée. / L'urgence se caractérise par une situation imprévisible qui perturbe gravement le fonctionnement de l'entreprise et qui requiert une solution immédiate ".

5. Il ressort des pièces du dossier que l'assemblée de la Polynésie française, sur le fondement des dispositions, citées au point 3, de l'article 74 de la Constitution et de l'article 18 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, a entendu favoriser l'accès à l'emploi des populations résidentes depuis une certaine durée sur son territoire. Elle a ainsi imposé aux employeurs de notifier au service chargé de l'emploi tout emploi vacant dans une activité soumise à une mesure de protection de l'emploi local. La " loi du pays " contestée a mis en place une procédure d'examen accélérée en cas de besoin urgent de recrutement.

6. En premier lieu, en définissant l'urgence comme " une situation imprévisible qui perturbe gravement le fonctionnement de l'entreprise et qui requiert une solution immédiate ", la " loi du pays " contestée s'est bornée à caractériser les cas dans lesquels les employeurs peuvent bénéficier de la procédure accélérée sans conférer à l'administration le droit de s'immiscer dans leurs choix de gestion de leur personnel. Le moyen tiré de ce que la " loi du pays " serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation sur ce point doit dès lors être écarté.

7. En second lieu, en réservant le bénéfice de la procédure accélérée qu'elle institue aux " contrats à durée déterminée ", la " loi du pays " contestée a uniquement entendu exclure du champ de cette procédure le recours à un contrat de travail à durée indéterminée. Elle doit par suite être regardée comme ayant autorisé, pour les recrutements urgents, soit la conclusion d'un contrat de travail à durée déterminée, soit le recours au travail temporaire. Contrairement à ce que soutient la société requérante, la " loi du pays " n'a donc pas exclu du champ de la procédure accélérée les contrats conclus par les sociétés de travail temporaire, pas plus qu'elle n'a eu pour objet ou pour effet d'autoriser le recours à un contrat à durée déterminée pour satisfaire à un besoin permanent de l'entreprise. Ses moyens tirés d'une atteinte à l'article 18 de la loi organique du 27 février 2004 et à la liberté d'entreprendre ne peuvent dès lors qu'être écartés.

8. Il résulte de tout de ce qui précède que la société Polynésie Intérim n'est pas fondée à demander à ce que la " loi du pays " qu'elle conteste soit déclarée illégale. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société Polynésie Intérim est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'EURL Polynésie Intérim, au président de la Polynésie française, au président de l'assemblée de la Polynésie française et au haut-commissaire de la République en Polynésie française.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 437236
Date de la décision : 29/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 mai. 2020, n° 437236
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Isabelle Lemesle
Rapporteur public ?: Mme Anne Iljic

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:437236.20200529
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