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25/03/2020 | FRANCE | N°434778

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 25 mars 2020, 434778


Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 23 septembre, 22 et 26 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 25 juillet 2019 rapportant le décret du 3 septembre 2008 en ce qu'il l'avait réintégré dans la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :



- le code civil ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 23 septembre, 22 et 26 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 25 juillet 2019 rapportant le décret du 3 septembre 2008 en ce qu'il l'avait réintégré dans la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Paul Bernard, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".

2. Il ressort des pièces de dossier que M. E... A..., ressortissant malgache, a déposé une demande de réintégration, le 24 juin 2005, dans laquelle il a indiqué être l'époux de Mme D..., de nationalité française, et s'est engagé à signaler par écrit à la préfecture toute modification de sa situation personnelle et familiale. Au vu de ses déclarations, il a été réintégré dans la nationalité française par décret du 3 septembre 2008. Toutefois le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a informé le ministre chargé des naturalisations que M. A... avait épousé à Hell-Ville (Madagascar), le 22 avril 1984, Mme B..., ressortissante malgache résidant habituellement à l'étranger, sans que cette union soit dissoute au moment de l'instruction de sa demande. Par un décret du 25 juillet 2019, publié au Journal officiel du 26 juillet 2019, le Premier ministre a rapporté le décret du 3 septembre 2008 prononçant la réintégration dans la nationalité française de M. A... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation familiale. M. A... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le décret a été signé par le Premier ministre et contresigné par le ministre de l'intérieur. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait été pris par une autorité incompétente doit être écarté.

4. En deuxième lieu, le délai de deux ans imparti par l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de M. A... a commencé à courir à la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressé a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations.

5. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés de la réalité de la situation familiale du requérant que le 25 juillet 2017, date à laquelle ils ont reçu les documents relatifs au mariage de l'intéressé transmis par bordereau du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, ainsi que l'atteste le tampon apposé sur le bordereau reçu par le service des naturalisations. Si M. A... allègue que la réalité de sa situation familiale aurait été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations à une date antérieure au 25 juillet 2017, il n'apporte aucun élément au soutien de cette allégation. Dans ces conditions, le décret attaqué, qui a été signé le 25 juillet 2019, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 27-2 du code civil.

6. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le ministre de l'intérieur a notifié à M. A... le projet de retrait du décret lui ayant accordé la nationalité française par une lettre datée du 5 décembre 2018 et l'informait de ce qu'il disposait d'un délai d'un mois à compter de la notification pour faire valoir ses observations. Alors qu'il est constant que ce courrier comportait les motifs de fait et de droit justifiant la décision, la circonstance que le ministre de l'intérieur aurait refusé de communiquer à M. A... les documents reçus permettant d'identifier la personne à l'origine de la transmission des informations au ministre de l'Europe et des affaires étrangères est sans incidence sur la régularité de la procédure et est, en tout état de cause, sans influence sur la légalité du décret attaqué. Ainsi, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière ne peut qu'être écarté.

7. En dernier lieu, l'article 21-24 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue, de l'histoire, de la culture et de la société françaises, dont le niveau et les modalités d'évaluation sont fixés par décret en Conseil d'Etat, et des droits et devoirs conférés par la nationalité française ainsi que par l'adhésion aux principes et valeurs essentiels de la République ". Il résulte de ces dispositions que l'état de polygamie de l'intéressé révèle un défaut d'assimilation s'opposant à ce qu'il puisse être réintégré dans la nationalité française. Par suite, alors même qu'il remplirait les autres conditions requises à l'obtention de la nationalité française, la circonstance que l'intéressé était, à la date de son mariage avec Mme D..., dans les liens d'une précédente union non dissoute, était de nature à modifier l'appréciation qui a été portée par l'autorité administrative sur son assimilation à la communauté française.

8. Il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que M. A... s'est marié le 22 avril 1984 à Hell-Ville (Madagascar) avec Mme B..., ressortissante malgache résidant habituellement à l'étranger. Ce mariage aurait dû être porté à la connaissance des services instruisant sa demande de naturalisation, comme il s'y était engagé en déposant sa demande de réintégration, ce qu'il n'a pas fait avant que lui soit accordée la nationalité française. Si M. A... allègue avoir mentionné l'existence de ses deux enfants nés de son union avec Mme B... dans sa demande de réintégration, ce document ne fait état d'aucun mariage avec Mme B.... En outre, les circonstances que M. A... serait séparé de Mme B... et aurait mandaté un avocat pour engager une procédure de divorce sont sans influence sur la légalité de la décision attaquée. L'intéressé, qui maîtrise la langue française ainsi qu'il ressort du procès-verbal de l'entretien d'assimilation versé au dossier, ne pouvait se méprendre sur la portée de la déclaration qu'il a signée en déposant sa demande de réintégration. Il doit donc être regardé comme ayant sciemment dissimulé sa situation familiale avant que soit prononcée sa réintégration dans la nationalité française par décret du 3 septembre 2008. Par suite, en rapportant sa naturalisation, dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le Premier ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil.

9. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 25 juillet 2019 par lequel le Premier ministre a rapporté le décret du 3 septembre 2008 prononçant sa réintégration dans la nationalité française.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. E... A... et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 434778
Date de la décision : 25/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 mar. 2020, n° 434778
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Paul Bernard
Rapporteur public ?: M. Guillaume Odinet

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:434778.20200325
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