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25/03/2020 | FRANCE | N°427650

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 25 mars 2020, 427650


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 4 février et 24 décembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale des magistrats administratifs et le Syndicat de la juridiction administrative demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2018-1082 du 4 décembre 2018 relatif à l'expérimentation des demandes en appréciation de régularité.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
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Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 4 février et 24 décembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale des magistrats administratifs et le Syndicat de la juridiction administrative demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2018-1082 du 4 décembre 2018 relatif à l'expérimentation des demandes en appréciation de régularité.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n°2018-727 du 10 août 2018 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2019-794 QPC du 28 juin 2019 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Céline Roux, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. L'Union syndicale des magistrats administratifs et le Syndicat de la juridiction administrative demandent l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 4 décembre 2018 relatif à l'expérimentation des demandes en appréciation de régularité, pris pour l'application de l'article 54 de la loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance.

2. Aux termes de l'article 54 de la loi du 10 août 2018 : " I.-A titre expérimental, le bénéficiaire ou l'auteur d'une décision administrative non réglementaire entrant dans l'une des catégories définies au deuxième alinéa du présent I peut saisir le tribunal administratif d'une demande tendant à apprécier la légalité externe de cette décision. / Le premier alinéa du présent I est applicable aux décisions précisées par le décret en Conseil d'Etat prévu au V, prises sur le fondement du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, du code de l'urbanisme ou des articles L. 1331-25 à L. 1331-29 du code de la santé publique et dont l'éventuelle illégalité pourrait être invoquée, alors même que ces décisions seraient devenues définitives, à l'appui de conclusions dirigées contre un acte ultérieur. / Le premier alinéa n'est pas applicable aux décisions prises par décret. / II.- La demande en appréciation de régularité est formée dans un délai de trois mois à compter de la notification ou de la publication de la décision en cause. Elle est rendue publique dans des conditions permettant à toute personne ayant intérêt à agir contre cette décision d'intervenir à la procédure. / La demande est présentée, instruite et jugée dans les formes prévues par le code de justice administrative, sous réserve des adaptations réglementaires nécessaires. Elle suspend l'examen des recours dirigés contre la décision en cause et dans lesquels sont soulevés des moyens de légalité externe, à l'exclusion des référés prévus au livre V du code de justice administrative. / Le tribunal statue dans un délai fixé par voie réglementaire. Il se prononce sur tous les moyens de légalité externe qui lui sont soumis ainsi que sur tout motif d'illégalité externe qu'il estime devoir relever d'office, y compris s'il n'est pas d'ordre public. / III.- La décision du tribunal n'est pas susceptible d'appel mais peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation. / Si le tribunal constate la légalité externe de la décision en cause, aucun moyen tiré de cette cause juridique ne peut plus être invoqué par voie d'action ou par voie d'exception à l'encontre de cette décision. Par dérogation à l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, l'autorité administrative peut retirer ou abroger la décision en cause, si elle estime qu'elle est illégale, à tout moment de la procédure et jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois après que la décision du juge lui a été notifiée. / IV.- L'expérimentation est menée, pour une durée de trois ans à compter de la publication du décret en Conseil d'Etat prévu au V, dans le ressort des tribunaux administratifs, au nombre maximal de quatre, désignés par ce décret. Elle fait l'objet d'une évaluation dans les conditions fixées par le même décret. / V.- Un décret en Conseil d'Etat précise les décisions entrant dans le champ du deuxième alinéa du I et pouvant faire l'objet d'une demande en appréciation de régularité, en tenant compte notamment de la multiplicité des contestations auxquelles elles sont susceptibles de donner lieu. Le décret prévu au premier alinéa du présent V fixe également les modalités d'application du présent article, notamment les conditions dans lesquelles les personnes intéressées sont informées, d'une part, des demandes tendant à apprécier la régularité d'une décision et de leurs conséquences éventuelles sur les recours ultérieurs et, d'autre part, des réponses qui sont apportées à ces demandes par le tribunal ".

3. En premier lieu, par sa décision du 28 juin 2019, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du premier alinéa du paragraphe I et du deuxième alinéa du paragraphe III de l'article 54 de la loi du 10 août 2018. Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ne peut qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, selon l'article 1er du décret attaqué, l'expérimentation prévue par la loi est menée dans le ressort des tribunaux administratifs de Bordeaux, Montpellier, Montreuil et Nancy. L'article 2 du décret prévoit que : " Les décisions non réglementaires entrant dans le champ du deuxième alinéa du I de l'article 54 de la loi du 10 août 2018 visée ci-dessus sont les suivantes : / 1° Les arrêtés déclarant l'utilité publique sur le fondement de l'article L. 121-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et les arrêtés de prorogation pris sur le fondement de l'article L. 121-5 du même code ; / 2° Les arrêtés d'ouverture de l'enquête publique préalable à une déclaration d'utilité publique pris sur le fondement des articles R. 112-1 à R. 112-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; / 3° Les arrêtés d'ouverture d'une enquête parcellaire pris sur le fondement de l'article R. 131-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; / 4° Les déclarations d'utilité publique en matière d'opérations de restauration immobilière prises sur le fondement de l'article L. 313-4-1 du code de l'urbanisme ; / 5° Les arrêtés préfectoraux créant une zone d'aménagement concerté sur le fondement de l'article R. 311-1 du code de l'urbanisme ; / 6° Les arrêtés déclarant insalubres des locaux et installations utilisés aux fins d'habitation sur le fondement de l'article L. 1331-25 du code de la santé publique ; / 7° Les arrêtés déclarant un immeuble insalubre à titre irrémédiable sur le fondement du I de l'article L. 1331-28 du code de la santé publique ".

5. Il résulte de ces dispositions combinées des articles 1er et 2 du décret attaqué que le champ de l'expérimentation de la procédure en appréciation de régularité est circonscrit aux décisions administratives non réglementaires s'insérant dans une opération complexe, énumérées par l'article 2 du décret, dont la contestation relève des ressorts des quatre tribunaux administratifs visés à l'article 1er. En outre, cette procédure ne porte que sur la légalité externe de ces décisions et ne met pas en cause la possibilité d'en contester, après l'expiration du délai de recours, la légalité interne par la voie de l'exception. Il s'ensuit que les dispositions du décret attaqué, qui poursuivent un objectif d'intérêt général tiré de la sécurité juridique des opérations complexes en cause et qui sont proportionnées à l'objectif poursuivi, ne méconnaissent pas le droit à un recours effectif garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. En troisième lieu, selon l'article 4 du décret attaqué : " I. - Afin de permettre aux tiers ayant intérêt à agir d'intervenir à la procédure, l'auteur de la décision faisant l'objet d'une demande en appréciation de régularité procède à la publicité de cette demande dans un délai d'un mois à compter de son dépôt ou de la communication qui lui en est faite par le tribunal administratif. / Cette publicité s'effectue dans les mêmes conditions que celles applicables à la décision en cause, sous peine d'inopposabilité aux tiers de la décision du juge en appréciation de régularité. / II. - La publicité prévue au I comporte les éléments suivants : / 1° L'objet, la date et l'auteur de la décision faisant l'objet de la demande en appréciation de régularité ; / 2° L'identité de l'auteur de la demande, le tribunal administratif compétent, la date du dépôt de la demande et son numéro d'enregistrement ; / 3° L'indication de la possibilité, pour les tiers ayant intérêt à agir, d'intervenir à la procédure dans un délai de deux mois à compter de la date de l'information ; / 4° L'indication selon laquelle, dans l'hypothèse où la juridiction constate la légalité externe de la décision en cause, aucun moyen tiré de cette cause juridique ne pourra plus être invoqué par voie d'action ou par voie d'exception à l'encontre de cette décision ".

7. Contrairement à ce que soutiennent les organisations syndicales requérantes, ces dispositions permettent que les tiers ayant intérêt pour agir contre un acte soient informés de l'existence d'une procédure en appréciation de régularité portant sur cet acte, des voies et délais leur permettant d'y intervenir, ainsi que des conséquences éventuelles de cette procédure sur des recours ultérieurs. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué ne permettrait pas d'assurer que des tiers intéressés soient suffisamment informés de la procédure en appréciation de régularité, ainsi que l'exige le droit d'accès à un tribunal résultant de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne peut qu'être écarté.

8. En dernier lieu, selon l'article 3 du décret attaqué : " La demande en appréciation de régularité est présentée dans un mémoire distinct et limité à cette demande. Elle est accompagnée de la décision en cause. La demande contient l'exposé des éléments utiles à l'appréciation de la légalité externe de la décision en cause. A défaut, elle ne peut plus être régularisée après l'expiration du délai prévu au premier alinéa du II de l'article 54 de la loi du 10 août 2018 ". L'article 6 du même décret prévoit, pour sa part, que : " La demande en appréciation de régularité et, s'il est produit, le mémoire complémentaire annoncé dans la demande sont communiqués aux intervenants avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6 du code de justice administrative. Le premier mémoire de chaque intervenant est communiqué dans les mêmes conditions à l'auteur de la demande ainsi qu'à l'auteur de la décision administrative en cause s'il n'est pas le demandeur. Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Enfin, selon l'article 8 du même décret : " L'auteur de la demande en appréciation de régularité et les intervenants ont qualité pour se pourvoir en cassation contre la décision rendue par le tribunal (...) ".

9. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que, contrairement à ce que soutiennent les syndicats requérants, la procédure selon laquelle est jugée une demande en appréciation de régularité permettant au demandeur, auteur ou bénéficiaire de l'acte dont la légalité externe est en cause, qu'aux tiers ayant intérêt pour agir contre cet acte, de se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne le placent pas dans une situation de désavantage par rapport à son adversaire et, par suite, ne méconnaît pas le principe de l'égalité des armes résultant de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, les syndicats requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret qu'ils attaquent.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'Union syndicale des magistrats administratifs et du Syndicat de la juridiction administrative est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union syndicale des magistrats administratifs, au Syndicat de la juridiction administrative, au ministre de l'action et des comptes publics, à la garde des sceaux, ministre de la justice et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 427650
Date de la décision : 25/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 mar. 2020, n° 427650
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Céline Roux
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:427650.20200325
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