Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 21 mars, 21 juin et 13 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme E... A... C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 16 janvier 2019 rapportant le décret du 16 août 2011 lui accordant la nationalité française et mentionnant ses enfants comme bénéficiant de l'effet collectif attaché à la naturalisation de leur mère ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Sébastien Gauthier, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Sophie Roussel, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de Mme A... C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".
2. Mme A... C..., ressortissante libanaise, a déposé une demande de naturalisation, le 14 novembre 2010, dans laquelle elle a indiqué être divorcée et s'est engagée sur l'honneur à signaler tout changement dans sa situation personnelle et familiale. Au vu de ses déclarations, elle été naturalisée par décret du 16 août 2011. Toutefois, par bordereau reçu le 18 janvier 2017, le ministre des affaires étrangères et du développement international a informé le ministre chargé des naturalisations que Mme A... C... s'était remariée à Beyrouth (Liban), le 6 juin 2011, avec son ex-époux résidant habituellement à l'étranger. Par décret du 16 janvier 2019, publié au Journal officiel du 17 janvier 2019, le Premier ministre a rapporté le décret de naturalisation de Mme A... C... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressée quant à sa situation personnelle et familiale. Mme A... C... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
3. En premier lieu, en vertu des dispositions combinées des articles 59 et 62 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, lorsque le Gouvernement a l'intention de retirer un décret de naturalisation, il notifie l'engagement de la procédure de retrait à l'intéressé " qui dispose d'un délai d'un mois à dater de la notification (...) pour faire parvenir au ministre chargé des naturalisations ses observations en défense. Après l'expiration de ce délai, le gouvernement peut déclarer, par décret motivé pris sur avis conforme du Conseil d'Etat, que l'intéressé a perdu la qualité de français ". Il résulte de ces dispositions que lorsque l'intéressé a présenté des observations en défense, dans les conditions énoncées ci-dessus, elles doivent être portées par le ministre à la connaissance du Conseil d'Etat avant que celui-ci se prononce.
4. Il ressort des visas du décret attaqué que les observations en défense de Mme A... C..., produites le 27 septembre 2018, ont bien été portées à la connaissance du Conseil d'Etat avant que celui-ci ne rende son avis, conforme, le 8 janvier 2019. Dès lors, le moyen selon lequel la procédure suivie aurait été irrégulière doit être écarté.
5. En deuxième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative doit notamment prendre en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.
6. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... C..., mariée en 2002 avec M. D..., ressortissant libanais résidant habituellement à l'étranger, divorcée le 15 septembre 2010, s'est à nouveau unie avec l'intéressé le 6 juin 2011, avant l'intervention du décret de naturalisation. Mme A... C... soutient que son union coutumière avec M. B... D..., régie par la loi libanaise, ne pouvait être regardée comme un mariage avant son enregistrement par l'état civil libanais le 5 février 2012, soit postérieurement à sa naturalisation et, ainsi, ne constituait pas un changement dans sa situation familiale devant être porté à la connaissance des services instruisant sa demande. Toutefois, la circonstance que cette union ne pourrait être qualifiée de mariage en vertu de la loi qui lui est applicable, n'interdit pas à l'autorité compétente de prendre en compte son existence pour apprécier si la condition de résidence posée par l'article 21-16 du code civil est remplie. Il en résulte qu'alors même qu'elle remplirait les autres conditions requises à l'obtention de la nationalité française, la circonstance que l'intéressée ait conclu une union coutumière à l'étranger avec un ressortissant libanais au cours de l'instruction de sa demande de naturalisation était de nature à modifier l'appréciation qui a été portée par l'autorité administrative sur la fixation du centre de ses intérêts. L'intéressée, qui maîtrise la langue française, ainsi qu'il ressort du procès-verbal d'assimilation du 16 février 2011, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'elle a signée. Dans ces conditions, Mme A... C... doit être regardée comme ayant volontairement dissimulé le changement de sa situation. Par suite, en rapportant sa naturalisation, dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le ministre de l'intérieur n'a pas méconnu les dispositions de l'article 27-2 du code civil.
7. En troisième lieu, la définition des conditions et de la perte de la nationalité relève de la compétence de chaque Etat membre de l'Union européenne. Toutefois, dans la mesure où la perte de nationalité d'un Etat membre a pour conséquence la perte du statut de citoyen de l'Union, la perte de la nationalité d'un Etat membre doit, pour être conforme au droit de l'Union, répondre à des motifs d'intérêt général et être proportionnée à la gravité des faits qui la fondent, au délai écoulé depuis l'acquisition de la nationalité et à la possibilité pour l'intéressé de recouvrer une autre nationalité. Il résulte des dispositions de l'article 27-2 du code civil, qui s'appliquent également au cas de retrait pour un enfant mineur de l'effet collectif attaché à l'acquisition de la nationalité française par un de ses parents, qu'un décret ayant conféré la nationalité française peut être rapporté dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude au motif que l'intéressé a obtenu la nationalité française par mensonge ou fraude. Ces dispositions, qui ne sont pas incompatibles avec le droit de l'Union, permettaient en l'espèce, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, de rapporter légalement le décret accordant à Mme A... C... et à ses deux enfants mineurs la nationalité française, dont il n'est ni soutenu, ni a fortiori établi qu'ils auraient perdu la nationalité libanaise.
8. En quatrième lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur les liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu, aux motifs qui le fondent et à la situation de Mme A... C... et de ses enfants, le décret attaqué, qui n'est entaché d'aucune erreur de fait, ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée.
9. Il résulte de ce qui précède que Mme A... C... n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 16 janvier 2019 par lequel le Premier ministre a rapporté le décret du 16 août 2011. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme E... A... C... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme E... A... C... et au ministre de l'intérieur.