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10/03/2020 | FRANCE | N°431805

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 10 mars 2020, 431805


Vu la procédure suivante :

La société Total EetP France a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution de la taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises exploitant une installation soumise à quotas d'émission de gaz à effet de serre à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2012, pour un montant total de 221 934 euros. Par un jugement n° 1510773 du 16 mars 2017, le tribunal administratif a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 17VE01519 du 18 avril 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel fo

rmé par le ministre de l'économie et des finances contre ce jugement.

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Vu la procédure suivante :

La société Total EetP France a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution de la taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises exploitant une installation soumise à quotas d'émission de gaz à effet de serre à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2012, pour un montant total de 221 934 euros. Par un jugement n° 1510773 du 16 mars 2017, le tribunal administratif a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 17VE01519 du 18 avril 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre de l'économie et des finances contre ce jugement.

Par un pourvoi enregistré le 19 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 ;

- le code de l'environnement ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011, notamment son article 18 ;

- le décret n° 2007-979 du 15 mai 2007 ;

- l'arrêt C-566/11, C-567/11, C-580/11, C-591/11, C-620/11 et C-640/11 du 17 octobre 2013 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume de La Taille Lolainville, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société Total EetP France ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 25 février 2020, présentée par la société Total EetP France ;

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, en vertu de l'article L. 229-7 du code de l'environnement dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige, qui transpose la directive du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté, un quota d'émission constitue une unité de compte représentative de l'émission de l'équivalent d'une tonne de dioxyde de carbone. Pour une période déterminée, et pour chaque installation bénéficiant de l'autorisation d'émettre des gaz à effet de serre, l'Etat affecte à l'exploitant un certain nombre de quotas d'émission et, chaque année durant cette période, lui en délivre une partie. A l'issue de chacune de ces années, l'exploitant restitue à l'Etat, sous peine de sanctions, un nombre de quotas égal au total de ses émissions. Le I de l'article L. 229-8, également dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige, prévoit que les quotas d'émission sont affectés par l'Etat, à compter du 1er janvier 2008, dans le cadre de plans quinquennaux. Le plan national d'affectation des quotas d'émission de gaz à effet de serre établi pour la période 2008-2012, pour l'exécution duquel l'intégralité de ces quotas devait être allouée à titre gratuit, a été approuvé par décret du 15 mai 2007.

2. D'autre part, le I de l'article 18 de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 a institué, au titre de la seule année 2012 et afin de permettre à l'Etat de financer l'achat de quotas d'émission pour les nouveaux arrivants sur le marché, une taxe due par les personnes exploitant ces installations émettant des gaz à effet de serre, lorsqu'elles ont reçu, en exécution du plan national d'affectation, au moins 60 000 quotas. Aux termes du II du même article, cette taxe " est perçue à un taux fixé par arrêté conjoint des ministres chargés de l'économie et du budget dans des limites comprises entre 0,03 % et 0,07 % du montant total, hors taxe sur la valeur ajoutée, des livraisons de biens et services effectuées en 2011 " par les personnes redevables. Aux termes du III du même article, le montant de la taxe, qui est exigible le 1er janvier 2012, ne peut excéder, pour chaque redevable " le résultat du produit du nombre total des quotas d'émission de gaz à effet de serre alloué au titre de la période allant du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2012, pour l'ensemble des installations exploitées, par 6,18 € ".

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Total EetP France, qui s'est acquittée en 2012 de cette taxe pour un montant de 221 934 euros, en a sollicité la restitution en invoquant l'incompatibilité de la loi avec la directive du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 et au plan national d'affectation des quotas d'émission de gaz à effet de serre pour la période de 2008-2012 approuvé par la Commission européenne. Par jugement du 16 mars 2017, le tribunal administratif de Montreuil a accueilli cette demande. Le ministre de l'action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 avril 2019 par lequel la cour administrative d'appel a rejeté l'appel qu'il avait formé à l'encontre de ce jugement.

4. Aux termes de l'article 10 de la directive du 13 octobre 2003 : " Pour la période de cinq ans qui débute le 1er janvier 2008, les États membres allocationnent au moins 90 % des quotas à titre gratuit ". Il résulte de cet article, tel qu'interprété en particulier par l'arrêt C-566/11, C-567/11, C-580/11, C-591/11, C-620/11 et C-640/11 du 17 octobre 2013 de la Cour de justice de l'Union européenne, que les quotas d'émission affectés gratuitement doivent l'être sans aucune contrepartie, qu'il s'agisse du paiement direct d'un prix ou du prélèvement ultérieur d'une charge. En revanche, il ne fait pas obstacle à l'adoption de mesures susceptibles d'influer sur les implications économiques de l'utilisation des quotas, à la condition de ne pas porter atteinte à l'objectif, que poursuit l'institution du système d'échange, d'une réduction des émissions de gaz à effet de serre dans des conditions économiquement efficaces et performantes.

5. Pour rejeter l'appel du ministre contre le jugement du tribunal administratif de Montreuil prononçant la restitution de la taxe due par les personnes exploitant certaines installations émettant des gaz à effet de serre, la cour administrative d'appel de Versailles a jugé que les dispositions de l'article 18 de la loi du 28 décembre 2011 instituant cette taxe étaient incompatibles avec l'article 10 de la directive du 13 octobre 2003, duquel résulte la règle de gratuité. A cet effet, elle a retenu que si la définition de l'assiette de la taxe, au II de l'article 18 de la loi de finances pour 2012, ne créait pas de lien direct entre son montant et le nombre des quotas affectés à titre gratuit à chaque redevable, il n'en allait pas de même du mécanisme de plafonnement, prévu au III du même article, qui, facteur déterminant dans la liquidation de l'impôt, devait être regardé comme établissant une telle corrélation. La cour en a déduit que la taxe devait être regardée comme ayant le caractère d'une charge prélevée au titre de l'affectation des quotas.

6. Toutefois, les dispositions de l'article 18 de la loi du 28 décembre 2011, qui assoient la taxe sur le seul chiffre d'affaires des redevables, affectataires de quotas d'émission, n'ont pas eu pour objet d'instituer une charge prélevée au titre de l'affectation des quotas. Le mécanisme de plafonnement, institué par le III de cet article, qui se borne à modérer le montant de la taxe, n'a pas davantage un tel objet. S'il ne saurait, sans méconnaître les objectifs de l'article 10 de la directive, avoir un tel effet, il ne résulte de l'arrêt attaqué ni que la cour aurait recherché la proportion des redevables de la taxe pour lesquels ce mécanisme de plafonnement avait, dans les faits, trouvé à s'appliquer, ni examiné son incidence effective sur le montant de la taxe due par chacun d'entre eux, ni apprécié cette incidence sur le produit total de l'imposition. En jugeant néanmoins que, du fait de la seule importance des corrections qui en résultaient pour les redevables concernés, le plafonnement constituait le critère principal du calcul de cette taxe, et que partant, l'article 18 de la loi du 28 décembre 2011 avait eu cet effet de créer une charge grevant l'affectation des quotas d'émission, la cour a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de son pourvoi, que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 18 avril 2019 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.

Article 3 : Les conclusions présentées par société Total EetP France au titre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'action et des comptes publics et à la société Total EetP France.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 431805
Date de la décision : 10/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 10 mar. 2020, n° 431805
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Guillaume de LA TAILLE LOLAINVILLE
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 17/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:431805.20200310
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