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05/03/2020 | FRANCE | N°436723

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 05 mars 2020, 436723


Vu la procédure suivante :

Mme A... B..., à l'appui de la demande qu'elle a formée devant le tribunal administratif de Strasbourg tendant à décharge de la cotisation d'impôt sur le revenu à laquelle a été assujettie au titre de 2018, a présenté, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, un mémoire, enregistré le 27 novembre 2019 au greffe de ce tribunal, par lequel elle a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 1908117 du 5 décembre 2019, enregistrée le 16 décembre 2019 au secrétariat

du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la troisième chambre du tribu...

Vu la procédure suivante :

Mme A... B..., à l'appui de la demande qu'elle a formée devant le tribunal administratif de Strasbourg tendant à décharge de la cotisation d'impôt sur le revenu à laquelle a été assujettie au titre de 2018, a présenté, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, un mémoire, enregistré le 27 novembre 2019 au greffe de ce tribunal, par lequel elle a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 1908117 du 5 décembre 2019, enregistrée le 16 décembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la troisième chambre du tribunal administratif de Strasbourg a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée, portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du E du II de l'article 60 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016, notamment son article 60 ;

- l'ordonnance n° 2017-1390 du 22 septembre 2017 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sylvain Humbert, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Mme B... soutient que les dispositions du E du II de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce que, d'une part, les titulaires de bénéfices non commerciaux sont placés dans une situation moins favorable que les salariés pour l'appréciation du caractère exceptionnels ou non du bénéfice réalisé en 2018 et, d'autre part, les titulaires de tels bénéfices maintenus à un niveau constant de 2015 à 2019 n'ont pas à justifier du caractère non exceptionnel par nature de leurs revenus à la différence de ceux dont les revenus augmentent en 2018.

3. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

4. L'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, modifié par l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative au décalage d'un an de l'entrée en vigueur du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, instaure, à compter des revenus de l'année 2018 et pour ceux qui entrent dans son champ d'application, le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu. Ce prélèvement est opéré, pour les revenus salariaux et les revenus de remplacement, par l'employeur ou l'organisme versant. Pour les autres revenus, en particulier ceux correspondant à des bénéfices professionnels, ce prélèvement prend la forme du versement d'acomptes. Les dispositions du paragraphe I de l'article 60 déterminent les modalités de ce prélèvement. Les dispositions de son paragraphe II fixent les modalités de la transition entre les règles antérieures de paiement de l'impôt sur le revenu et le prélèvement à la source, afin que les contribuables ne paient pas, en 2019, l'impôt sur le revenu dû à la fois sur les revenus de l'année 2018 et sur ceux de l'année 2019, en instituant un crédit d'impôt dit de modernisation du recouvrement ayant pour objet d'effacer le montant de l'impôt dû au titre de 2018 correspondant aux revenus non exceptionnels de cette année.

5. Aux termes du E du II de cet article 60 : " 1. Le montant net imposable des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices agricoles et des bénéfices non commerciaux à retenir au numérateur du rapport prévu au B du présent II pour le calcul du crédit d'impôt prévu au A est déterminé, pour chaque membre du foyer fiscal et pour chacune de ces catégories de revenus, dans les conditions prévues à l'article 204 G du code général des impôts, à l'exception du 6° du 2 et du 4 du même article 204 G. / 2. Le montant défini au 1 du présent E, le cas échéant après application des abattements prévus aux articles 44 sexies à 44 septdecies du code général des impôts, est retenu dans la limite du plus faible des deux montants suivants : 1° Le bénéfice imposable au titre de l'année 2018, déterminé selon les règles prévues au 1 du présent E, avant application des éventuels abattements prévus aux mêmes articles 44 sexies à 44 septdecies ; 2° Le plus élevé des bénéfices imposables au titre des années 2015, 2016 ou 2017, déterminé selon les règles prévues au 1 du présent E, avant application des éventuels abattements prévus audits articles 44 sexies à 44 septdecies. (...) / 3. En cas d'application du 2° du 2 du présent E, le contribuable peut obtenir un crédit d'impôt complémentaire dans les conditions suivantes : 1° Lorsque le bénéfice imposable au titre de l'année 2019, déterminé selon les règles prévues au 1, est supérieur ou égal au bénéfice imposable au titre de l'année 2018, déterminé selon les mêmes règles, le contribuable bénéficie d'un crédit d'impôt complémentaire, lors de la liquidation du solde de l'impôt sur le revenu dû au titre de 2019, égal à la fraction du crédit d'impôt dont il n'a pas pu bénéficier en application du 2 ; 2° Lorsque le bénéfice imposable au titre de l'année 2019, déterminé selon les règles prévues au 1, est inférieur au bénéfice imposable au titre de l'année 2018, déterminé selon les mêmes règles, mais supérieur au plus élevé des bénéfices imposables au titre des années 2015,2016 ou 2017 retenus en application du 2° du 2, le contribuable bénéficie, lors de la liquidation du solde de l'impôt sur le revenu au titre de 2019, d'un crédit d'impôt complémentaire égal à la différence entre : / a) Le crédit d'impôt calculé en retenant au numérateur du rapport prévu au B du présent II le bénéfice imposable au titre de l'année 2019, déterminé selon les règles prévues au 1 du présent E ; / b) Et le crédit d'impôt déjà obtenu en application du 2 du présent E. / 3° Lorsque le bénéfice imposable au titre de l'année 2019, déterminé selon les règles prévues au 1, est inférieur au bénéfice imposable au titre de l'année 2018, déterminé selon les mêmes règles, le contribuable peut bénéficier, par voie de réclamation, d'un crédit d'impôt complémentaire égal à la fraction du crédit d'impôt dont il n'a pas pu bénéficier en application du 2 ou du 2° du présent 3, s'il justifie que la hausse de son bénéfice déclaré en 2018 par rapport aux trois années précédentes et à l'année 2019 résulte uniquement d'un surcroît d'activité en 2018. (...) ".

6. Il résulte des dispositions citées au point 5 ci-dessus, éclairées par leurs travaux préparatoires, que pour tenir compte de la possibilité qu'ont les travailleurs indépendants de procéder à des arbitrages sur les recettes et les charges servant à la détermination de leur bénéfice et ainsi maximiser leur bénéfice en 2018, le caractère non exceptionnel du bénéfice de 2018 est apprécié sur une période pluriannuelle. Ainsi, si un contribuable imposé à l'impôt sur le revenu dans la catégories des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices agricoles ou des bénéfices non commerciaux réalise, au titre de l'année 2018, un bénéfice supérieur au plus élevé des montants de ses bénéfices de 2015, 2016 ou 2017, le crédit d'impôt de modernisation du recouvrement dont il peut bénéficier est plafonné au niveau du montant le plus élevé de ces trois années, la différence étant réputée constituer un revenu exceptionnel. Si son bénéfice au titre de 2019 est plus élevé que celui de 2018, le bénéfice de 2018 est réputé ne plus être exceptionnel de sorte qu'il est octroyé de plein droit au contribuable un crédit d'impôt complémentaire effaçant l'intégralité de l'impôt qu'il a acquitté au titre de 2018 sur ce bénéfice. Si son bénéfice de 2019 est inférieur à son bénéfice de 2018 mais supérieur au plus élevé des bénéfices réalisés en 2015, 2016 et 2017, il lui est également octroyé de plein droit un crédit d'impôt complémentaire, limité à la différence entre le bénéfice le plus élevé des trois années de référence et le bénéfice réalisé en 2019. Il peut en outre, dans cette dernière hypothèse, présenter une réclamation à l'administration fiscale pour obtenir un complément de crédit d'impôt pour éliminer la totalité de l'impôt sur le revenu au titre de son bénéfice de 2018, sous réserve qu'il établisse que la part du bénéfice de cette année supérieure aux quatre années de référence correspond à un surcroît d'activité.

7. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que le crédit de modernisation du recouvrement tend à éliminer l'impôt dû sur les revenus non exceptionnels de 2018. En se fondant sur la comparaison du bénéfice net de quatre années de référence et non sur le chiffre d'affaires pour déterminer le caractère exceptionnel des revenus de 2018, le législateur s'est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi. Si Mme B... soutient que les modalités de détermination du bénéfice net soumis à l'impôt ne tiennent pas compte des particularités de certaines charges, en particulier les charges sociales qui sont calculées sur la base des revenus de l'année antérieure à celle de l'année de déduction, à la différence de celles des salariés, les travailleurs indépendants ne se trouvent pas, pour la détermination du montant de ce crédit d'impôt, dans une situation identique à celle des salariés qui ne peuvent pas arbitrer en faveur d'un niveau de revenu plus élevé en 2018.

8. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 6 ci-dessus que l'appréciation du caractère exceptionnel ou non des bénéfices non commerciaux réalisés en 2018 pour la détermination du montant du crédit d'impôt de modernisation du recouvrement s'effectue en trois temps, d'abord par rapport aux bénéfices des années 2015 à 2017, puis par rapport au bénéfice réalisé en 2019, et enfin avec la possibilité de solliciter un complément de crédit d'impôt lorsque le crédit d'impôt complémentaire calculé après l'année 2019 n'a pas permis d'éliminer la totalité de l'impôt dû au titre de 2018. Si ces dispositions sont moins favorables pour un travailleur indépendant ayant des revenus croissants sur toute la période de référence que pour celui ayant des revenus constants sur cette même période, cette différence de traitement, qui vise à prévenir un arbitrage en faveur d'une maximisation du bénéfice net de 2018 pour l'octroi du crédit d'impôt, est fondée sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi. La possibilité d'obtenir un complément de crédit d'impôt effaçant tout impôt sur le bénéfice de 2018 si le contribuable établit l'existence d'un surcroît d'activité permet en toute hypothèse de démontrer le caractère non exceptionnel du bénéfice non commercial de 2018, même s'il est apprécié rétrospectivement.

9. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de ce que les dispositions contestées méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, qui ne sont pas nouveaux, ne peuvent être regardés comme soulevant une question sérieuse. Il n'y a donc pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B....

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B... et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 436723
Date de la décision : 05/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 05 mar. 2020, n° 436723
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Sylvain Humbert
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:436723.20200305
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