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26/02/2020 | FRANCE | N°424407

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 26 février 2020, 424407


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 21 septembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Appligos, la société Telecom Externals Operating Systems (Telecom Exos), la société d'informatique et de systèmes (SIS) et la société Scriptal demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé sur leur demande, adressée le 30 mai 2018 à la ministre des solidarités et de la santé, tendant à l'abrogation du décret n° 2015-1680 du 15 décembre 2015 relatif

au programme de modernisation des systèmes d'information et de télécommunication des ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 21 septembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Appligos, la société Telecom Externals Operating Systems (Telecom Exos), la société d'informatique et de systèmes (SIS) et la société Scriptal demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé sur leur demande, adressée le 30 mai 2018 à la ministre des solidarités et de la santé, tendant à l'abrogation du décret n° 2015-1680 du 15 décembre 2015 relatif au programme de modernisation des systèmes d'information et de télécommunication des services d'aide médicale urgente ;

2°) d'enjoindre à la ministre des solidarités et de la santé de faire procéder à l'abrogation de ce décret dans un délai de deux mois ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code de commerce ;

- le code de la commande publique ;

- le code de la santé publique ;

- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Arnaud Skzryerbak, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 6112-1 du code de la santé publique : " Le service public hospitalier exerce l'ensemble des missions dévolues aux établissements de santé par le chapitre Ier du présent titre ainsi que l'aide médicale urgente (...) ". Aux termes de l'article L. 6311-1 du même code : " L'aide médicale urgente a pour objet, en relation notamment avec les dispositifs communaux et départementaux d'organisation des secours, de faire assurer aux malades, blessés et parturientes, en quelque endroit qu'ils se trouvent, les soins d'urgence appropriés à leur état ". Aux termes de l'article L. 6311-2 du même code : " Seuls les établissements de santé peuvent être autorisés (...) à comporter une ou plusieurs unités participant au service d'aide médicale urgente, dont les missions et l'organisation sont fixées par voie réglementaire. / Un centre de réception et de régulation des appels est installé dans les services d'aide médicale urgente. Ce centre peut être commun à plusieurs services concourant à l'aide médicale urgente (...) ".

2. Par un décret du 15 décembre 2015, le Premier ministre a mis en place, pour une durée de dix ans, un " programme de modernisation des systèmes d'information et de télécommunication des services d'aide médicale urgente " ayant notamment pour objet " de permettre aux services d'aide médicale urgente (SAMU) mentionnés à l'article L. 6311-2 du code de la santé publique d'assurer leurs missions, par la mise en place d'une solution à vocation nationale comprenant un service de traitement des appels et de gestion de la régulation médicale, des outils de pilotage de l'activité et de gestion des crises y compris d'ampleur nationale, un interfaçage avec les partenaires, ainsi que des fonctionnalités permettant de garantir l'échange, le partage et la conservation des données de santé dans le respect des règles de confidentialité et de sécurité (...) ". Ce décret confie au groupement d'intérêt public Agence nationale des systèmes d'information partagés de santé, devenu Agence du numérique en santé, la gestion de ce programme, impliquant, selon l'article 2 du décret, de " définir les spécifications fonctionnelles et techniques " de cette " solution à vocation nationale ", de conclure et exécuter tout marché relatif " à la construction, au maintien en conditions opérationnelles, à l'évolution, au déploiement et au support " de celle-ci, d'en " organiser la mise à disposition " auprès des SAMU " selon une stratégie de déploiement progressif tout au long du programme " et de " définir et animer la gouvernance à mettre en place pour associer l'ensemble des acteurs concernés par le programme de modernisation ". Il précise en outre que " les missions accomplies pour la mise en place et la gestion de ce programme de modernisation constituent des missions de services d'intérêt économique général " et que " le groupement d'intérêt public chargé du développement des systèmes d'information de santé partagés bénéficie d'un droit exclusif limité pour la mise en oeuvre du programme ". La société Appligos, la société Telecom Exos, la société d'informatique et de systèmes et la société Scriptal demandent l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite rejetant leur demande, adressée à la ministre des solidarités et de la santé, tendant à l'abrogation de ce décret.

Sur le désistement de l'un des auteurs de la requête :

3. Le désistement de la société d'informatique et de systèmes est pur et simple. Rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte.

Sur les moyens de la requête :

4. En premier lieu, les dispositions du décret contesté, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, n'instituent aucunement un monopole au profit de l'Agence du numérique en santé, les établissements de santé comportant un service d'aide médicale urgente demeurant libres de recourir au prestataire de leur choix pour satisfaire leurs besoins en matière de systèmes d'information et de télécommunication. Ainsi, le moyen tiré de ce que ces dispositions auraient mis en cause la liberté du commerce et de l'industrie et la liberté d'entreprendre, de sorte que seul le législateur aurait été compétent pour les adopter, doit être écarté.

5. En deuxième lieu, si, dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le refus d'abroger un acte réglementaire, la légalité des règles fixées par celui-ci, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n'en va pas de même des conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux. Par suite, les sociétés requérantes ne peuvent utilement soutenir, à l'appui de leurs conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger le décret du 15 décembre 2015, que ce décret, préalablement à son édiction, aurait dû être soumis pour avis à l'Autorité de la concurrence en vertu des dispositions de l'article L. 462-2 du code de commerce selon lesquelles cette autorité " est obligatoirement consultée par le Gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet : (...) 2° D'établir des droits exclusifs dans certaines zones (...) ".

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles des traités, notamment à celles prévues aux articles 18 et 101 à 109 inclus. / 2. Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de l'Union (...) ". L'article 102 du même traité stipule qu'" Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. (...) ".

7. La mission impartie à l'Agence du numérique en santé par le décret contesté vise à remédier à l'insuffisance et à l'hétérogénéité des systèmes d'information et de télécommunication des services d'aide médicale urgente afin d'assurer la continuité du service public de l'aide médicale urgente et la qualité de la prise en charge des patients, en améliorant notamment l'interopérabilité de ces systèmes entre eux et avec les systèmes d'information et de télécommunication des autres services intervenant dans l'organisation des secours urgents.

8. Le droit exclusif limité que le décret litigieux attribue à l'agence, qui lui permet, en vertu de l'article L. 2512-4 du code de la commande publique, reprenant les dispositions du 1° de l'article 14 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, de mettre ses prestations à disposition des établissements de santé comportant un service d'aide médicale urgente en dehors de toute mise en concurrence, tandis qu'elle-même est soumise aux règles de passation des marchés publics pour la conclusion et l'exécution des marchés qu'elle peut être amenée à passer, n'excède pas ce qui est nécessaire pour assurer l'exécution de sa mission.

9. Si ce droit exclusif confère à l'agence une position dominante sur le marché des systèmes d'information et de télécommunication des services d'aide médicale urgente, le décret litigieux ne la place pas pour autant en situation d'exploiter de manière abusive cette position. A cet égard, la circonstance que l'agence peut proposer ses prestations aux établissements sièges des services d'aide médicale urgente en dehors de toute mise en concurrence et l'absence d'encadrement de la rémunération de ses prestations, à supposer qu'elles soient rémunérées, ne traduisent, par elles-mêmes, aucun abus de position dominante. Si les sociétés requérantes soutiennent en outre que l'agence pourrait être amenée à proposer, en dehors de toute mise en concurrence, des prestations accessoires à la mission pour laquelle un droit exclusif lui a été attribué, il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard aux autres missions confiées à l'agence à la date de la présente décision, que le décret attaqué conduirait à une distorsion de concurrence sur un marché voisin de celui des systèmes d'information et de télécommunication des services d'aide médicale urgente.

10. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait les stipulations de l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, combiné à celles de son article 102, en ce que le droit exclusif confié à l'agence ne serait pas nécessaire et la placerait en situation d'abus de position dominante, doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Appligos, Telecom Exos et Scriptal ne sont pas fondées à demander l'annulation de la décision implicite refusant d'abroger le décret du 15 décembre 2015. Leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il est donné acte du désistement de la société d'informatique et de systèmes.

Article 2 : La requête des sociétés Appligos, Telecom Exos et Scriptal est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Appligos, représentante unique, à la société d'informatique et de systèmes et à la ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 424407
Date de la décision : 26/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 fév. 2020, n° 424407
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Arnaud Skzryerbak
Rapporteur public ?: Mme Marie Sirinelli

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:424407.20200226
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