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13/02/2020 | FRANCE | N°423430

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 13 février 2020, 423430


Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée EAP Group a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 5 juillet 2018 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a ordonné qu'elle suspende la mise sur le marché et la commercialisation des insectes (grillons et vers de farine) et produits à bases d'insectes destinés à la consommation humaine jusqu'à mise en conformité avec les dispositions du règlement (UE) n° 2015/2283 d

u 25 novembre 2015.

Par une ordonnance n° 1803554 du 6 août 2018, le jug...

Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée EAP Group a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 5 juillet 2018 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a ordonné qu'elle suspende la mise sur le marché et la commercialisation des insectes (grillons et vers de farine) et produits à bases d'insectes destinés à la consommation humaine jusqu'à mise en conformité avec les dispositions du règlement (UE) n° 2015/2283 du 25 novembre 2015.

Par une ordonnance n° 1803554 du 6 août 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 21 et 23 août 2018, le 12 décembre 2019 et le 20 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société EAP Group demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande de suspension ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (CE) n° 258/97 du 27 janvier 1997 ;

- le règlement (UE) n° 2015/2283 du 25 novembre 2015 ;

- le code de la consommation ;

- la décision du 28 juin 2019, société Entoma, n° 420651, du Conseil d'Etat statuant au contentieux ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Ranquet, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la société EAP Group ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

3. Pour estimer que la condition d'urgence n'était pas remplie, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, après avoir rappelé l'argumentation de la société requérante, selon laquelle l'exécution de l'arrêté contesté la priverait de toute ressource, s'est fondé sur la seule circonstance qu'elle était à l'origine de cette situation en ayant choisi, dans une situation administrative et juridique incertaine, d'exercer son activité avant d'avoir obtenu les autorisations qu'il a qualifiées de nécessaires. En statuant ainsi, sans rechercher si l'exécution de l'arrêté en cause portait atteinte de façon suffisamment grave et immédiate aux intérêts de la société EAP Group, et alors au surplus que la nécessité d'obtenir les autorisations en cause était précisément contestée devant lui, le juge des référés a commis une erreur de droit. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société EAP Group est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la condition relative à l'urgence :

5. Il résulte de l'instruction que la société EAP Group soutient, sans être contestée, que l'exécution de l'arrêté litigieux, d'une part, la prive de l'essentiel de ses ressources et, d'autre part, la place dans une situation concurrentielle désavantageuse par rapport aux entreprises de son secteur qui sont implantées dans les Etats membres ayant la même interprétation que la sienne du champ d'application du règlement (CE) n° 258/97 du 27 janvier 1997. Si le ministre invoque les risques que la consommation d'insectes est, d'une manière générale, susceptible d'entraîner, il n'apporte pas d'éléments permettant de considérer que les risques directement liés à la consommation des produits de la société requérante seraient d'une gravité telle qu'ils puissent justifier l'absence d'urgence à suspendre l'exécution de l'arrêté litigieux jusqu'à ce qu'il soit statué sur la demande d'annulation dont il a fait l'objet. Dès lors et nonobstant le choix de la société requérante d'avoir développé son activité sans avoir préalablement présenté de demande d'autorisation, la condition d'urgence doit être regardée comme remplie.

Sur la condition relative au moyen de nature à créer un doute sérieux :

6. D'une part, aux termes de l'article 1er du règlement (CE) n° 258/97 du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 1997 relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires, en vigueur jusqu'au 1er janvier 2018 : " 1. Le présent règlement a pour objet la mise sur le marché dans la Communauté de nouveaux aliments et de nouveaux ingrédients alimentaires. / 2. Le présent règlement s'applique à la mise sur le marché dans la Communauté d'aliments et d'ingrédients alimentaires pour lesquels la consommation humaine est jusqu'ici restée négligeable dans la Communauté et qui relèvent des catégories suivantes : (...) e) (...) les ingrédients alimentaires isolés à partir d'animaux (...) ".

7. D'autre part, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 2015/2283 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015, applicable à partir du 1er janvier 2018 à la mise sur le marché dans l'Union de nouveaux aliments : " 2. En outre, on entend par : a) "nouvel aliment", toute denrée alimentaire dont la consommation humaine était négligeable au sein de l'Union avant le 15 mai 1997, indépendamment de la date d'adhésion à l'Union des États membres, et qui relève au moins d'une des catégories suivantes : / (...) v) les denrées alimentaires qui se composent d'animaux ou de leurs parties, ou qui sont isolées ou produites à partir d'animaux ou de leurs parties, à l'exception des animaux obtenus par des pratiques de reproduction traditionnelles qui ont été utilisées pour la production de denrées alimentaires dans l'Union avant le 15 mai 1997, et pour autant que les denrées alimentaires provenant de ces animaux aient un historique d'utilisation sûre en tant que denrées alimentaires au sein de l'Union ; (...) ". Aux termes de l'article 35 de ce même règlement : " (...) / 2. Les denrées alimentaires n'entrant pas dans le champ d'application du règlement (CE) n° 258/97, qui sont légalement mises sur le marché au plus tard le 1er janvier 2018 et qui entrent dans le champ d'application du présent règlement peuvent continuer d'être mises sur le marché jusqu'à ce qu'une décision soit prise en conformité avec les articles 10 à 12 ou avec les articles 14 à 19 du présent règlement à la suite d'une demande d'autorisation d'un nouvel aliment ou d'une notification d'un aliment traditionnel en provenance d'un pays tiers qui est introduite pour la date fixée dans les modalités d'exécution adoptées conformément à l'article 13 ou 20 du présent règlement, respectivement, mais au plus tard le 2 janvier 2020 ".

8. Saisi d'un moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du règlement du 27 janvier 1997, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, par décision en date du 28 juin 2019, n° 420651, sursis à statuer sur une requête de la société Entoma jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la difficulté sérieuse d'interprétation que pose l'article 1er, paragraphe 2, point e) de ce règlement quant à la question de savoir si son champ d'application s'étend aux aliments composés d'animaux entiers destinés à être consommés en tant que tels ou ne s'applique qu'à des ingrédients alimentaires isolés à partir d'insectes.

9. Pour des motifs de la même nature que ceux ayant conduit à prononcer ce renvoi préjudiciel, les moyens tirés de ce que l'arrêté contesté serait entaché d'une erreur de droit au regard de l'article 35, paragraphe 2, du règlement du 25 novembre 2015 et méconnaîtrait le champ d'application du règlement du 27 janvier 1997 sont, en l'état de l'instruction, propres à faire naître un doute sérieux quant à sa légalité, en tant qu'il porte sur les produits mis sur le marché par la société requérante au plus tard le 1er janvier 2018, dès lors qu'il est constant, en l'espèce, qu'une demande d'autorisation, toujours pendante, a été introduite pour les insectes en cause, au titre du règlement du 25 novembre 2015, avant le 2 janvier 2020.

10. En revanche, les autres moyens invoqués, qui sont tirés de ce que l'arrêté contesté serait fondé sur une erreur de fait, porterait atteinte au principe de sécurité juridique et de confiance légitime ainsi qu'au principe de proportionnalité et de nécessité, et violerait l'autorité de la chose jugée au pénal, ne sont pas propres à faire naître un doute sérieux quant à sa légalité, en tant qu'il porte sur des produits mis sur le marché après le 1er janvier 2018.

11. Il résulte de ce qui précède que la société EAP Group est fondée à demander la suspension de l'exécution de l'arrêté attaqué en tant qu'il porte sur les produits qu'elle a mis sur le marché au plus tard le 1er janvier 2018.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société EAP Group au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative pour la première instance et pour la procédure devant le Conseil d'Etat.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 6 août 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse est annulée.

Article 2 : L'exécution de l'arrêté du 5 juillet 2018 du préfet de la Haute-Garonne est suspendue en tant qu'il porte sur les produits de la société EAP Group mis sur le marché au plus tard le 1er janvier 2018.

Article 3 : L'Etat versera à la société EAP Group la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande de référé présentée par la société EAP Group est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société EAP Group et au ministre de l'économie et des finances.

Copie en sera adressée au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et au préfet de la Haute-Garonne.

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Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 423430
Date de la décision : 13/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 fév. 2020, n° 423430
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Philippe Ranquet
Rapporteur public ?: M. Laurent Cytermann
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO

Origine de la décision
Date de l'import : 17/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:423430.20200213
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