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31/12/2019 | FRANCE | N°429037

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 31 décembre 2019, 429037


Vu la procédure suivante :

Par une requête, quatre mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 mars, 10 avril, 10 mai, 19 et 26 septembre et 9 décembre 2019, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 21 janvier 2019 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande tendant à la levée de la limite d'âge prévue pour l'accès à l'Ecole nationale de la magistrature par la voie du troisième concours ;

2°) d'enjoindre à la garde

des sceaux, ministre de la justice, de le nommer auditeur de justice.

Vu les autres p...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, quatre mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 mars, 10 avril, 10 mai, 19 et 26 septembre et 9 décembre 2019, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 21 janvier 2019 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande tendant à la levée de la limite d'âge prévue pour l'accès à l'Ecole nationale de la magistrature par la voie du troisième concours ;

2°) d'enjoindre à la garde des sceaux, ministre de la justice, de le nommer auditeur de justice.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;

- le décret n° 72-355 du 4 mai 1972 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Moreau, conseiller d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Par une lettre datée du 5 décembre 2018, M. B... a demandé à la garde des sceaux, ministre de la justice, la levée de la limite d'âge prévue à l'article 34 du décret du 4 mai 1972 relatif à l'Ecole nationale de la magistrature, pour l'accès à cette école par la voie du troisième concours mentionné au 3° de l'article 17 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Par une décision du 21 janvier 2019, dont M. B... sollicite l'annulation pour excès de pouvoir, la ministre a rejeté cette demande.

2. En vertu du 3° de l'article 17 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 précitée, le troisième concours pour le recrutement d'auditeurs de justice et l'accès à l'Ecole nationale de la magistrature est ouvert " aux personnes justifiant, durant huit années au total, d'une ou plusieurs activités professionnelles, d'un ou plusieurs mandats de membre d'une assemblée élue d'une collectivité territoriale ou de fonctions juridictionnelles à titre non professionnel. La durée de ces activités, mandats ou fonctions ne peut être prise en compte que si les intéressés n'avaient pas, lorsqu'ils les exerçaient, la qualité de magistrat, de fonctionnaire, de militaire ou d'agent public. " Aux termes de l'article 32-1 du décret du 4 mai 1972 précité : " Le troisième concours est ouvert aux candidats remplissant les conditions définies au 3° de l'article 17 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 (...) et âgés de quarante ans au plus au 1er janvier de l'année du concours. " Enfin, aux termes de l'article 34 du même décret : " Les limites d'âge supérieures prévues aux articles 17, 21, 23, 32-1 et 33 ci-dessus sont reculées du temps passé au service national à titre obligatoire. / Les dispositions législatives et réglementaires dérogeant aux limites d'âge fixées pour l'accès, par voie de concours, aux emplois publics sont applicables aux limites d'âge supérieures susvisées. / Si un candidat qui a fait l'objet d'une décision du garde des sceaux, ministre de la justice, de refus de concourir, obtient, soit le retrait, soit l'annulation de cette décision, la limite d'âge pour ce candidat est reculée du temps nécessaire pour que le nombre de concours auxquels il lui sera permis de se présenter ne se trouve pas réduit par suite de l'intervention de la décision rapportée ou annulée. "

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Aux termes de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État ou la Cour de cassation. / (...) " Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

4. Aux termes de l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique : " Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. / Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l'alerte défini par le présent chapitre. "

5. A l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, M. B... soutient qu'en ne prévoyant pas qu'un lanceur d'alerte ne peut se voir opposer la limite d'âge prévue par les articles 32-1 et 34 du décret du 4 mai 1972 précités, les dispositions de l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016 méconnaissent le statut des magistrats prévu par l'article 64 de Constitution et portent atteinte à l'indépendance de l'autorité judiciaire garantie par le même article. Il soutient également que ces dispositions méconnaissent les articles 6 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'elles ne précisent pas suffisamment les conditions de révélation ou de signalement, ainsi que son article 15, en ce qu'elles excluent de leur champ d'application les faits, informations ou documents couverts par le secret de la défense nationale.

6. Toutefois, les dispositions contestées de l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016, à les supposer applicables au litige, ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016. Contrairement à ce que soutient le requérant, aucun changement de circonstances survenu depuis cette décision n'est de nature à justifier que la conformité de ces dispositions à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel.

7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil Constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016 portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

Sur la requête aux fins d'annulation pour excès de pouvoir :

8. D'une part, si le requérant soutient que la décision attaquée est insuffisamment motivée et dépourvue de base légale, il ressort des pièces du dossier que la ministre a, par une motivation suffisante, et en se fondant sur les dispositions de l'article 34 du décret du 4 mai 1972 précité, rejeté la demande de M. B... au motif non contesté qu'il n'établissait pas relever des cas de dérogations prévus par les textes applicables. Les moyens soulevés sur ces points doivent donc, en tout état de cause, être écartés.

9. D'autre part, la seule circonstance que M. B... a été convoqué aux épreuves d'admissibilité de la session 2019 du troisième concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature, par un courrier électronique du 6 mai précisant au demeurant que les pièces justificatives des conditions pour concourir seraient demandées après les résultats d'admissibilité et que les candidats ne satisfaisant pas à ces conditions recevraient notification de la décision prise à leur égard par la ministre, est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.

10. Il résulte de ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque. Ses conclusions aux fins d'injonction ne peuvent par suite qu'être également rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil Constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B....

Article 2 : La requête de M. B... est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à la garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au Conseil Constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 429037
Date de la décision : 31/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 déc. 2019, n° 429037
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Catherine Moreau
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck

Origine de la décision
Date de l'import : 07/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:429037.20191231
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