Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 419269, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 26 mars, 22 juin et 12 décembre 2018 et les 24 mai et 6 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Pierre Fabre médicament demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 16 janvier 2018 par lequel la ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont modifié la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités et divers services publics en ce qu'il porte inscription sur cette liste des spécialités Palmier de Floride Biogaran (serenoa repens), capsules molles (B/180) et Palmier de Floride Biogaran (serenoa repens), capsules molles (B/60) ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 419270, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 26 mars, 22 juin et 12 décembre 2018 et les 24 mai et 6 août 2019, la société Pierre Fabre médicament demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 16 janvier 2018 par lequel la ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont modifié la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux en ce qu'il porte inscription sur cette liste des spécialités Palmier de Floride Biogaran (serenoa repens), capsules molles (B/180) et Palmier de Floride Biogaran (serenoa repens), capsules molles (B/60) ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
3° Sous le n° 435242, par une ordonnance n° 1711477 du 9 octobre 2019, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 341-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par la société Pierre Fabre médicament.
Par cette requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés au greffe du tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 7 décembre 2017 et les 14 mai et 19 août 2019, la société Pierre Fabre médicament demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 29 mai 2017 par laquelle le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a autorisé la mise sur le marché de la spécialité Palmier de Floride Biogaran, capsule molle ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain ;
- la directive 2004/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 modifiant, en ce qui concerne les médicaments traditionnels à base de plantes, la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain ;
- le règlement n° 2008/1234/2008 de la Commission du 24 novembre 2008 concernant l'examen des modifications des termes d'une autorisation de mise sur le marché de médicaments à usage humains et de médicaments vétérinaires ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Pierre Fabre médicament, et à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de la société Biogaran ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 décembre 2019, présentée par la société Biogaran ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 décembre 2019, présentée par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Pierre Fabre médicament demande l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, de la décision du 29 mai 2017 par laquelle le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a autorisé la mise sur le marché de la spécialité Palmier de Floride Biogaran, capsules molles, et, d'autre part, des arrêtés du 16 janvier 2018 par lesquels la ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont modifié la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux et la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités et divers services publics, en ce qu'ils portent inscription sur ces listes des spécialités Palmier de Floride Biogaran (serenoa repens), capsules molles (B/180) et Palmier de Floride Biogaran (serenoa repens), capsules molles (B/60).
2. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de justice administrative : " Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : / (...) / 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres (...) ". Aux termes de l'article R. 341-1 du même code : " Lorsque le Conseil d'Etat est saisi de conclusions relevant de sa compétence de premier ressort, il est également compétent pour connaître de conclusions connexes relevant normalement de la compétence de premier ressort d'un tribunal administratif (...) ". En l'espèce, la solution des requêtes tendant à l'annulation des arrêtés de la ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'action et des comptes publics du 16 janvier 2018, qui relèvent de la compétence du Conseil d'Etat en premier et dernier ressort en vertu du 2° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, est nécessairement subordonnée à celle de la requête tendant à l'annulation de la décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé du 29 mai 2017, renvoyée au Conseil d'Etat par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise sur le fondement de l'article R. 341-2 du même code. Par suite, il existe entre les conclusions de ces requêtes un lien de connexité au sens de l'article R. 341-1 de ce code et le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort de l'ensemble des conclusions de la société Pierre Fabre médicament. Il y a lieu de joindre ces requêtes pour statuer par une même décision.
Sur l'intervention :
3. Le mémoire en intervention en défense des sociétés Pharmatoka et Laboratoire pharmaceutique Pharmatoka dans l'instance n° 435242 a été présenté par Me Quiene, avocat, sans que celui-ci produise, avant la clôture de l'instruction, le mandat l'habilitant à représenter ces sociétés. Par suite, cette intervention est irrecevable.
Sur la décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé du 29 mai 2017 :
4. L'article L. 5121-8 du code de la santé publique, pris pour la transposition des articles 8, 10 et 10 bis de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, prévoit que : " Toute spécialité pharmaceutique ou tout autre médicament fabriqué industriellement (...) doit faire l'objet, avant sa mise sur le marché ou sa distribution à titre gratuit, d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (...). / Le demandeur de l'autorisation peut être dispensé de produire certaines données et études dans des conditions fixées par voie réglementaire ". Parmi les documents qui doivent, en application de l'article R. 5121-25 du même code, être fournis à l'appui d'une demande d'autorisation de mise sur le marché, figurent " 2° Les résultats des essais précliniques et des essais cliniques ". Toutefois, l'article R. 5121-26 du même code prévoit que : " Par dérogation au 2° de l'article R. 5121-25 (...) / 1° Lorsque le demandeur démontre, par référence à une documentation bibliographique appropriée, que la demande porte sur une spécialité dont la ou les substances actives sont d'un usage médical bien établi depuis au moins dix ans en France, dans la Communauté européenne ou dans l'Espace économique européen et présentent une efficacité reconnue ainsi qu'un niveau acceptable de sécurité, le dossier fourni à l'appui de la demande comporte la documentation bibliographique appropriée (...) ".
5. L'annexe de l'arrêté du 23 avril 2004 fixant les normes et protocoles applicables aux essais analytiques, toxicologiques et pharmacologiques ainsi qu'à la documentation clinique auxquels sont soumis les médicaments ou produits mentionnés à l'article L. 5121-8 du code de la santé publique, pris pour la transposition de l'annexe I à la directive 2001/83/CE, précise, dans ses principes généraux liminaires : " (4) Lorsqu'ils préparent le dossier de demande d'autorisation de mise sur le marché, les demandeurs tiennent aussi compte des lignes directrices et des notes explicatives scientifiques relatives à la qualité, la sécurité et l'efficacité des médicaments à usage humain adoptées par le Comité des spécialités pharmaceutiques relevant de l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments et publiées par cette dernière, ainsi que des autres lignes directrices communautaires pharmaceutiques publiées par la Commission des Communautés européennes dans les différents volumes de La Réglementation des médicaments dans la Communauté européenne (...) ". Au sein de sa partie II relative aux exigences spécifiques pour certains dossiers d'autorisation de mise sur le marché, dans le 1 consacré aux médicaments dont la ou les substances actives ont un " usage médical bien établi ", cette annexe précise que : " Les règles spécifiques suivantes s'appliquent pour démontrer l'usage médical bien établi : / (...) d) Les résumés détaillés non cliniques ou cliniques doivent expliquer la pertinence de toutes données soumises qui concernent un produit différent de celui qui sera commercialisé. Ils doivent juger si le produit étudié peut être considéré comme similaire à celui faisant l'objet de la demande d'autorisation de mise sur le marché, en dépit des différences qui existent (...) ".
6. Il résulte de ces dispositions du code de la santé publique et de l'arrêté du 23 avril 2004 que la demande d'autorisation de mise sur le marché d'un médicament dont la ou les substances actives sont d'un " usage médical bien établi " et présentent une efficacité reconnue ainsi qu'un niveau acceptable de sécurité relève de la procédure allégée décrite à l'article R. 5121-26 du code de la santé publique. Le demandeur est ainsi dispensé de la fourniture, à l'appui de la demande, des résultats d'essais précliniques et cliniques, dès lors qu'il produit la documentation bibliographique appropriée. Cette documentation, destinée à démontrer que les conditions d'usage médical, d'efficacité et de sécurité de la ou des substances actives sont remplies, peut concerner un produit différent de celui qui sera commercialisé, sous réserve que soit expliquée la pertinence des données soumises, eu égard à la similarité des produits.
7. Le cas échéant, un médicament dont l'autorisation de mise sur le marché a été délivrée sur le fondement de l'article R. 5121-26 du code de la santé publique peut être regardé comme une spécialité de référence au sens de l'article R. 5121-28 du même code, qui permet également que le dossier joint à la demande d'autorisation de mise sur le marché soit constitué dans des conditions qui dérogent à l'exigence, prévue au 2° de l'article R. 5121-25 de ce code, de fournir les résultats des essais précliniques et des essais cliniques. Une telle demande peut porter, en particulier, soit sur une spécialité générique, soit sur une spécialité comportant certaines différences, relatives notamment à la substance active, de sorte qu'elle ne répond pas à la définition de la spécialité générique, le dossier fourni à l'appui de la demande devant alors comporter les seuls résultats des essais précliniques et cliniques appropriés déterminés en fonction de ces différences.
8. En revanche, ces dispositions ne permettent pas qu'une autorisation de mise sur le marché soit délivrée sur le fondement de l'article R. 5121-26 du code de la santé publique, au bénéfice de la procédure allégée qu'il prévoit, au motif qu'une substance active serait " similaire " à une substance active ayant un usage médical bien établi.
9. Il ressort des pièces du dossier que le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a délivré l'autorisation de mise sur le marché attaquée, sur le fondement de l'article R. 5121-26 du code de la santé publique, en prenant en considération une documentation bibliographique relative aux médicaments à base d'extrait hexanique du fruit de palmier de Floride, substance active reconnue comme étant d'un usage médical bien établi depuis au moins dix ans dans l'Union européenne. A cet effet, il a estimé que cet usage médical pouvait être " extrapolé " à l'extrait du fruit de palmier de Floride obtenu par un solvant d'extraction différent, le dioxyde de carbone supercritique, en raison de la similarité entre les deux substances actives ainsi obtenues. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'en délivrant dans ces conditions l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité Palmier de Floride Biogaran, capsule molle, le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a commis une erreur de droit.
10. Par suite, la société Pierre Fabre médicament est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, à demander l'annulation pour ce motif de l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité Palmier de Floride Biogaran.
11. Cette annulation ne fait pas obstacle à la délivrance d'une nouvelle autorisation de mise sur le marché selon la procédure appropriée, voire selon la procédure de l'article R. 5121-26 du code de la santé publique si la société Biogaran démontre l'usage médical bien établi de l'extrait du fruit de palmier de Floride obtenu par dioxyde de carbone supercritique. Enfin, il appartient à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé de tirer les conséquences de la présente décision en prenant en considération les délais nécessaires à la bonne information des praticiens et des patients traités par la spécialité Palmier de Floride Biogaran et à la continuité de leur traitement.
Sur les arrêtés du 16 janvier 2018, en tant qu'ils inscrivent la spécialité Palmier de Floride Biogaran sur les listes des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux et des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités :
12. En raison des effets qui s'y attachent, l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, emporte, lorsque le juge est saisi de conclusions recevables, l'annulation par voie de conséquence des décisions administratives consécutives qui n'auraient pu légalement être prises en l'absence de l'acte annulé ou qui sont en l'espèce intervenues en raison de l'acte annulé.
13. Il résulte des dispositions combinées des articles L. 162-17 du code de la sécurité sociale et L. 5123-2 du code de la santé publique, d'une part, et L. 5121-8 de ce code, d'autre part, que, pour les médicaments qui y sont soumis, le bénéfice d'une autorisation de mise sur le marché est une condition nécessaire à l'inscription et au maintien sur la liste des médicaments remboursables aux assurés sociaux et sur celle des médicaments agréés à l'usage des collectivités. Par suite, l'annulation pour excès de pouvoir de l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité Palmier de Floride Biogaran emporte par voie de conséquence celle de son inscription sur ces deux listes.
Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Pierre Fabre médicament, qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Pierre Fabre médicament.
D E C I D E
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Article 1er : L'intervention des sociétés Pharmatoka et Laboratoire pharmaceutique Pharmatoka dans l'instance n° 435242 n'est pas admise.
Article 2 : La décision du 29 mai 2017 par laquelle le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a autorisé la mise sur le marché de la spécialité Palmier de Floride Biogaran, capsules molles est annulée.
Article 3 : Les arrêtés de la ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'action et des comptes publics du 16 janvier 2018 sont annulés en tant qu'ils inscrivent la spécialité Palmier de Floride Biogaran, capsules molles (B/180) et (B/60), sur les listes des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux et des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités et divers services publics.
Article 4 : L'Etat versera à la société Pierre Fabre médicament une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions de la société Biogaran présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Pierre Fabre médicament, à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, à la ministre des solidarités et de la santé, à la société Biogaran et, pour l'ensemble des sociétés intervenantes, à la société Pharmatoka.
Copie en sera adressée au ministre de l'action et des comptes publics et à la Haute Autorité de santé.