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31/12/2019 | FRANCE | N°416040

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 31 décembre 2019, 416040


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler les décisions implicites par lesquelles le Premier ministre a rejeté ses demandes, formulées par lettres du 30 mars 2012, tendant à ce que lui soient attribués des noms de domaine relevant de la racine " e164.arpa ", d'autre part, d'enjoindre au Premier ministre de lui attribuer les noms de domaine sollicités sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard. Par un jugement n° 1306089 du 8 avril 2015, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Par

un arrêt n° 15PA02273 du 26 septembre 2017, la cour administrative d'...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler les décisions implicites par lesquelles le Premier ministre a rejeté ses demandes, formulées par lettres du 30 mars 2012, tendant à ce que lui soient attribués des noms de domaine relevant de la racine " e164.arpa ", d'autre part, d'enjoindre au Premier ministre de lui attribuer les noms de domaine sollicités sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard. Par un jugement n° 1306089 du 8 avril 2015, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 15PA02273 du 26 septembre 2017, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. A... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux autres mémoires, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 27 novembre 2017, 28 février 2018, 30 août 2018 et 18 mars 2019, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de saisir la Cour européenne des droits de l'homme, sur le fondement de l'article 1er du protocole n° 16, d'une demande d'avis portant sur la conformité à l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de l'absence, dans un texte de portée nationale, de dispositions permettant l'attribution des noms de domaine sollicités et, en l'absence de telles dispositions, du refus opposé par un Etat à une telle attribution ;

3°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code des postes et des communications électroniques ;

- la décision n° 416040 du 3 octobre 2018 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée le 5 juillet 2018 par M. A... ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Fabio Gennari, auditeur,

- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, Robillot, avocat de M. A... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 décembre 2019, présentée par M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Par lettres du 30 mars 2012, M. A... a demandé au Premier ministre de lui attribuer des noms de domaines relevant de l'extension " e164.arpa ", qui constitue la racine correspondant au standard " ENUM " (Telephon Number Mapping) permettant de convertir un numéro de téléphone en un nom de domaine sur internet. Il a saisi le tribunal administratif de Paris d'un recours dirigé contre le refus implicite opposé à sa demande. Par un jugement du 8 avril 2015, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par un arrêt du 26 septembre 2017, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé contre ce jugement par M. A....

2. Aux termes de l'article L. 45 du code des postes et des communications électroniques : " L'attribution et la gestion des noms de domaine rattachés à chaque domaine de premier niveau du système d'adressage par domaines de l'internet correspondant aux codes pays du territoire national ou d'une partie de celui-ci sont centralisées par un organisme unique dénommé " office d'enregistrement " (...) ". Aux termes de l'article L. 45-1 de ce code : " Les noms de domaine sont attribués et gérés dans l'intérêt général selon des règles non discriminatoires et transparentes, garantissant le respect de la liberté de communication, de la liberté d'entreprendre et des droits de propriété intellectuelle. / Les noms de domaine sont attribués pour une durée limitée et renouvelable. / Sous réserve des dispositions de l'article L. 45-2, le nom de domaine est attribué au demandeur éligible ayant le premier fait régulièrement parvenir sa demande. Un nom de domaine attribué et en cours de validité ne peut faire l'objet d'une nouvelle demande d'enregistrement. / L'enregistrement des noms de domaine s'effectue sur la base des déclarations faites par le demandeur et sous sa responsabilité ".

3. Pour rejeter l'appel dont elle était saisie, la cour administrative d'appel a d'abord retenu que les dispositions de l'article L. 45 du code des postes et des communications électroniques régissent exclusivement les modalités d'attribution des noms de domaine de premier niveau correspondant aux codes pays du territoire national ou d'une partie de celui-ci. En statuant ainsi, la cour n'a pas commis d'erreur de droit quant au champ d'application de l'article L. 45. Elle a, en outre, suffisamment motivé sa décision sur ce point et n'a pas méconnu le caractère contradictoire de la procédure, dès lors que la question du fondement de la compétence du Premier ministre pour attribuer les noms de domaine demandés par M. A... était en débat devant elle.

4. La cour a ensuite déduit de la circonstance que les articles L.45 et L. 45-1 ne comportent aucune mention des noms de domaine sollicités par le requérant la conséquence que le Premier ministre se trouvait en situation de compétence liée pour refuser de faire droit à la demande présentée par M. A.... Toutefois, dès lors qu'aucune disposition constitutionnelle n'impose au législateur d'encadrer les modalités de gestion et d'attribution de l'ensemble des noms de domaine sur internet, le silence conservé par les articles L. 45 et L. 45-1 quant aux modalités d'attribution de ceux de ces noms qui relèvent de l'extension " e164.arpa " ne peut être compris comme ayant pour effet d'en interdire la délivrance. M. A... est, par suite, fondé à soutenir que le motif retenu à cet égard par l'arrêt qu'il attaque est entaché d'erreur de droit.

5. Mais, aux termes de l'article L. 44 du code des postes et communications électroniques, dans sa version applicable au litige : " I.- Le plan national de numérotation téléphonique est établi par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et géré sous son contrôle. Il garantit un accès égal et simple des utilisateurs aux différents réseaux et services de communications électroniques et l'équivalence des formats de numérotation (...). / L'autorité attribue, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, aux opérateurs qui le demandent, des préfixes et des numéros ou blocs de numéros. (...) / L'autorité veille à la bonne utilisation des préfixes, numéros, blocs de numéros et codes attribués. Ceux-ci ne peuvent être protégés par un droit de propriété industrielle ou intellectuelle et ne peuvent faire l'objet d'un transfert qu'après accord de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et selon des modalités définies par elle. (...) / II.- Chaque attribution par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes de ressources de numérotation à un opérateur donne lieu au paiement par cet opérateur d'une taxe due par année civile, y compris l'année de l'attribution. (...) / III.- Les opérateurs traitent l'ensemble des appels à destination et en provenance de l'Espace de numérotation téléphonique européen à des tarifs similaires à ceux qu'ils appliquent aux appels à destination et en provenance des Etats membres de l'Union européenne autres que la France ".

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la demande d'attribution des noms de domaine présentée par M. A..., susceptible de concerner l'ensemble des numéros de téléphone français, suppose de recourir aux ressources contenues dans le plan national de numérotation téléphonique. Or l'article L. 44 du code des postes et communications électroniques, qui régit l'ensemble des modalités d'utilisation des ressources contenues dans ce plan, ne mentionne pas la possibilité d'un usage dans le cadre du protocole " ENUM " et est, par suite, de nature à s'opposer à la demande de M. A....

7. A la suite de l'information donnée aux parties au litige de ce que le Conseil d'Etat était susceptible de fonder sa décision sur l'article L. 44 du code des postes et des communications électroniques, M. A... a, par un mémoire distinct, soulevé une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause les dispositions de l'article L. 44, dans leur rédaction applicable au litige, en faisant valoir qu'elles méconnaissent le droit de propriété, la liberté de communication des pensées et des opinions, la liberté d'entreprendre ainsi que le principe d'égalité.

8. A cet égard, en premier lieu, les ressources contenues dans le plan national de numérotation téléphonique dont l'attribution est sollicitée par M. A... ne constituent pas des biens sur lesquels s'exerce un droit de propriété. M. A... ne saurait par suite utilement se prévaloir de l'atteinte disproportionnée portée par les dispositions qu'il conteste au droit de propriété, protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

9. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'après avoir expérimenté la mise en oeuvre du standard " ENUM " avec des opérateurs téléphoniques et l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, le Gouvernement a décidé, pour des raisons de faisabilité et de sécurité, de ne pas mettre en oeuvre ce standard. M. A... n'apporte aucun élément de nature à établir que ces conclusions seraient susceptibles d'être remises en cause ou à démontrer l'utilité du standard " ENUM " dans l'usage de la liberté de communication. Ainsi, en l'état actuel des connaissances et des moyens de communication, tel qu'il ressort des pièces versées au dossier, eu égard aux motifs d'intérêt général qui s'attachent à la sécurité des communications électroniques et à la bonne gestion du plan national de numérotation téléphonique, le législateur ne saurait être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre ni, en tout état de cause, comme ayant porté une atteinte disproportionnée à la liberté de communication, en ne prévoyant pas, à l'article L. 44 du code des postes et des communications électroniques, la possibilité d'exploiter le plan national de numérotation téléphonique aux fins de créer des noms de domaine dans le cadre d'un protocole tel que le standard " ENUM ".

10. En troisième lieu, compte tenu de la nature des noms de domaine sollicités, qui, contrairement aux autres noms de domaine, supposent d'accéder aux numéros de téléphone contenus dans le plan national de numérotation téléphonique, la différence de traitement instituée par le législateur, qui est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit, n'est en tout état de cause pas susceptible de porter atteinte au principe d'égalité entre les demandeurs de noms de domaine.

11. Il résulte de ce qui précède que la question de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

12. En outre, en ne prévoyant pas l'utilisation du plan national de numérotation téléphonique pour les noms de domaine issus du protocole " ENUM ", le législateur ne peut, compte tenu de ce qui a été dit au point 9, être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée à la liberté de communication protégée par les stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

13. Il résulte de ce qui précède que, dès lors que, ainsi qu'il a été dit au point 6, l'article L. 44 du code des postes et des communications électroniques ne permet pas d'utiliser les ressources du plan national de numérotation téléphonique dans le cadre du protocole " ENUM ", le Premier ministre se trouvait en situation de compétence liée, sur le fondement des dispositions de cet article L. 44, pour refuser de faire droit à la demande présentée par M. A.... Il y a lieu de substituer ce motif, qui n'appelle l'appréciation d'aucune circonstance de fait, à celui retenu par l'arrêt attaqué.

14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu d'adresser une demande d'avis consultatif à la Cour européenne des droits de l'homme sur le fondement du protocole n° 16 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le ministre de l'économie et des finances au titre du même article.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A....

Article 2 : Le pourvoi de M. A... est rejeté.

Article 3 : Les conclusions présentées par le ministre de l'économie et des finances au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., au Premier ministre, au ministre de l'économie et des finances, à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et à l'Association française pour le nommage internet en coopération.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 416040
Date de la décision : 31/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 déc. 2019, n° 416040
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Fabio Gennari
Rapporteur public ?: M. Guillaume Odinet
Avocat(s) : SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT, ROBILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:416040.20191231
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