La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/12/2019 | FRANCE | N°427252

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 20 décembre 2019, 427252


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 21 janvier 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Section française de l'observatoire international des prisons demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande d'abrogation de l'article D. 147 du code de procédure pénale ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger ces dispositions ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'art

icle L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

V...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 21 janvier 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Section française de l'observatoire international des prisons demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande d'abrogation de l'article D. 147 du code de procédure pénale ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger ces dispositions ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 62 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;

- le décret n° 2019-508 du 24 mai 2019 ;

- la décision du 5 avril 2019 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Section française de l'observatoire international des prisons ;

- la décision DC n° 2019-791 QPC du 21 juin 2019 du Conseil constitutionnel statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Section française de l'observatoire international des prisons ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Roulaud, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Section française de l'observatoire international des prisons ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 4 décembre 2019, présentée par le Premier ministre.

Considérant ce qui suit :

1. La Section française de l'Observatoire international des prisons demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande d'abrogation de l'article D. 147 du code de procédure pénale. A l'appui de sa demande, l'association requérante fait valoir que ces dispositions ont été prises pour l'application des articles 148-5, 712-5 et 723-6 du même code dont les dispositions méconnaissent les droits et libertés garantis par la Constitution ainsi que les droits garantis par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur les conclusions aux fins de non-lieu :

2. Lorsque, postérieurement à l'introduction d'une requête dirigée contre un refus d'abroger des dispositions à caractère réglementaire, l'autorité qui a pris le règlement litigieux procède à son abrogation expresse ou implicite, le litige né de ce refus d'abroger perd son objet. Toutefois, il en va toutefois différemment lorsque cette même autorité reprend, dans un nouveau règlement, les dispositions qu'elle abroge, sans les modifier ou en ne leur apportant que des modifications de pure forme. Il ressort des pièces du dossier que postérieurement à l'introduction de la requête, l'article D. 147 du code de procédure pénale a été modifié par l'article 7 du décret du 24 mai 2019 pris pour l'application des dispositions pénales de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, relatives à l'instruction, à l'exercice des voies de recours et à l'exécution des peines. Les modifications ainsi apportées ne sont que de pure forme. Il s'ensuit que les conclusions présentées par la garde des sceaux, ministre de la justice et tendant à ce que le Conseil d'Etat constate qu'il n'y a plus lieu de statuer sur le pourvoi ne peuvent être accueillies.

Sur la requête :

3. Aux termes de l'article 723-6 du code de procédure pénale : " Tout condamné peut, dans les conditions de l'article 712-5, obtenir, à titre exceptionnel, une autorisation de sortie sous escorte ", tandis que l'article 712-5 du même code dispose que : " Sauf en cas d'urgence, les ordonnances concernant les réductions de peine, les autorisations de sorties sous escortes et les permissions de sortir sont prises après avis de la commission de l'application des peines. / Cette commission est réputée avoir rendu son avis si celui-ci n'est pas intervenu dans le délai d'un mois à compter du jour de sa saisine ".

4. En raison de la permanence de l'acte réglementaire, la légalité des règles qu'il fixe, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir doivent pouvoir être mises en cause à tout moment, de telle sorte que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales que cet acte est susceptible de porter à l'ordre juridique. Cette contestation peut prendre la forme d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d'abroger l'acte réglementaire, comme l'exprime l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration aux termes duquel : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de faits postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé [...] ".

5. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que, dans le cas où l'illégalité du règlement a cessé à la date à laquelle elle se prononce, l'autorité compétente ne saurait être tenue d'accueillir une demande d'abrogation. Pour les mêmes motifs, dans l'hypothèse où un changement de circonstances aurait fait cesser l'illégalité de l'acte réglementaire litigieux, à la date à laquelle il statue, le juge de l'excès de pouvoir ne saurait annuler le refus de l'abroger. A l'inverse, si l'acte réglementaire devient illégal en raison d'un changement de circonstances intervenu entre le refus opposé par l'autorité compétente à la demande d'abrogation et la date à laquelle il statue, il appartient au juge d'annuler ce refus d'abroger.

6. Il résulte des points 4 et 5 que, lorsqu'il est saisi de conclusions à fin d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir est amené à contrôler la légalité de ce refus en appréciant celle de l'acte réglementaire dont l'abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision.

7. En premier lieu, la Section française de l'Observatoire international des prisons soutient par la voie de l'exception, que l'article 148-5 du code de procédure pénale méconnait les droits et libertés garantis par la Constitution et les stipulations des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'il ne prévoit pas de voie de recours permettant de contester le refus opposé à une demande d'autorisation de sortie sous escorte formulée par un détenu mis en examen, prévenu ou accusé.

8. Par sa décision n° 2019-791 QPC du 21 juin 2019, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l'article 148-5 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale, au motif qu'il méconnaît le droit des personnes placées en détention provisoire à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, précisant que cette déclaration d'inconstitutionnalité est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de la publication de cette décision.

9. Toutefois, l'article 148-5 du code de procédure pénale a été modifié par l'article 55 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, en vigueur depuis le 25 mars 2019. Il dispose désormais que " Les décisions accordant ou refusant ces autorisations peuvent faire l'objet du recours prévu au dernier alinéa de l'article 145-4-2. ". Aux termes de l'article 145-4-2, créé par le même article 55 de la loi du 23 mars 2019 : " (...) Les autres décisions ou avis conformes émanant de l'autorité judiciaire prévus par les dispositions réglementaires du présent code ou par la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire et relatifs aux modalités d'exécution d'une détention provisoire ou à l'exercice de ses droits par une personne placée en détention provisoire peuvent, conformément aux dispositions du présent article, faire l'objet d'un recours du détenu ou du ministère public devant le président de la chambre de l'instruction ". Il résulte de ces nouvelles dispositions que les personnes placées en détention provisoire peuvent désormais contester le refus opposé à une demande d'autorisation sous escorte devant le président de la chambre de l'instruction.

10. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'illégalité du refus d'abroger l'article D 147 du code de procédure pénale au motif que l'article 148-5 du code de procédure pénale méconnaîtrait, en ce qu'il ne prévoit pas de voie de recours permettant de contester le refus opposé à une demande d'autorisation de sortie sous escorte, le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

11. En deuxième lieu, la Section française de l'observatoire international des prisons soutient que, s'agissant des décisions de refus d'autorisation de sortie sous escorte opposés aux détenus condamnés, les articles 712-5 et 723-6 du code de procédure pénale méconnaissent les droits et libertés garantis par la Constitution. Toutefois, par sa décision n° 2019-791 QPC du 21 juin 2019, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution, relevant que de telles décisions sont prises par ordonnance du juge de l'application des peines et susceptibles d'un recours devant le président de la chambre de l'application des peines, en application des articles 712-1 et 712-12 du même code. Dès lors, ce moyen ne peut qu'être écarté.

12. En dernier lieu, la Section française de l'observatoire international des prisons soutient que les articles 148-5, 712-5 et 723-6 du code de procédure pénale méconnaissent les droits garantis par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale en ce qu'ils ne prescrivent pas de délai à l'autorité compétente pour statuer sur les demandes d'autorisation de sortie sous escorte.

13. Toutefois, d'une part, en vertu de l'article 802-1 du code de procédure pénale, lorsque, en application de ce code, une juridiction est saisie d'une demande à laquelle il doit être répondu par une décision motivée susceptible de recours, il est possible d'exercer un recours contre la décision implicite de rejet de la demande, qui naît à l'issue d'un délai de deux mois. D'autre part, ainsi que le relève le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2019-791 QPC du 21 juin 2019, il appartient au juge saisi de tenir compte de l'éventuelle urgence de la demande pour rendre une décision avant l'expiration du délai de deux mois. Dans ces conditions, ce moyen doit également être écarté.

14. Il résulte de ce qui précède que la Section française de l'observatoire international des prisons n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du Premier ministre opposant un refus à sa demande d'abrogation de l'article D. 147 du code de procédure pénale. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la Section française de l'observatoire international des prisons est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Section française de l'observatoire international des prisons, au Premier ministre et à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 427252
Date de la décision : 20/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 20 déc. 2019, n° 427252
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Roulaud
Rapporteur public ?: M. Alexandre Lallet
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 24/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:427252.20191220
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award