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19/12/2019 | FRANCE | N°431066

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 19 décembre 2019, 431066


Vu la procédure suivante :

La société Deutsche Bank AG a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie, en droits et intérêts, au titre de l'exercice clos en 2010, à concurrence de la somme de 69 953 283 euros. Par un jugement n° 1506591 du 15 décembre 2016, ce tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 17VE00442 du 26 mars 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel de la sociét

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Vu la procédure suivante :

La société Deutsche Bank AG a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie, en droits et intérêts, au titre de l'exercice clos en 2010, à concurrence de la somme de 69 953 283 euros. Par un jugement n° 1506591 du 15 décembre 2016, ce tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 17VE00442 du 26 mars 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel de la société Deutsche Bank AG, annulé ce jugement, prononcé la réduction de ses bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés et aux contributions sociales sur cet impôt à concurrence de la somme de 250 738 449 euros et l'a déchargée, en droits et intérêts, des impositions correspondantes.

Par un pourvoi enregistré le 24 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume de La Taille Lolainville, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société Deutsche Bank AG ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 6 décembre 2019, présentée par la société Deutsche Bank AG ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu des dispositions combinées du 1 de l'article 38 et de l'article 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises. Selon le 2 de l'article 38 : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. "

2. Aux termes, toutefois, du 6 de ce même article 38 : " 1° Par exception aux 1 et 2, le profit ou la perte résultant de l'exécution de contrats à terme d'instruments financiers en cours à la clôture de l'exercice est compris dans les résultats de cet exercice ; il est déterminé d'après le cours constaté au jour de la clôture sur le marché sur lequel le contrat a été conclu. / (...) 3° Lorsqu'une entreprise a pris des positions symétriques, la perte sur une de ces positions n'est déductible du résultat imposable que pour la partie qui excède les gains non encore imposés sur les positions prises en sens inverse. / Pour l'application de ces dispositions, une position s'entend de la détention, directe ou indirecte, de contrats à terme d'instruments financiers, de valeurs mobilières, de devises, de titres de créances négociables, de prêts ou d'emprunts ou d'un engagement portant sur ces éléments. / Des positions sont qualifiées de symétriques si leurs valeurs ou leurs rendements subissent des variations corrélées telles que le risque de variation de valeur ou de rendement de l'une d'elles est compensé par une autre position, sans qu'il soit nécessaire que les positions concernées soient de même nature ou prises sur la même place, ou qu'elles aient la même durée. "

3. Il résulte des dispositions du 1° du 6 de l'article 38 du code général des impôts, relatives à l'imposition des résultats de l'exécution de contrats à terme d'instruments financiers en cours à la clôture de l'exercice et qui, expressément constitutives d'une exception, doivent être interprétées strictement, que les pertes ou profits sur contrat d'option en cours à la date de la clôture de l'exercice s'entendent de la seule marge déficitaire - pour le vendeur de l'option - ou bénéficiaire - pour l'acheteur de l'option - qui résulterait de l'exercice à cette date de l'option, c'est-à-dire de l'écart négatif ou positif constaté, le jour de la clôture, entre la valeur d'exercice convenue et le cours de l'actif sous-jacent. En vue de la préservation des recettes fiscales, les dispositions du 3° de ce même 6 limitent le montant des pertes déductibles sur la position procédant de la détention de l'actif sous-jacent à leur fraction excédant les gains non encore imposés sur la position symétrique procédant de la souscription du contrat d'option. Pour l'application de ces dernières dispositions, le montant des gains non encore imposés sur contrat d'option s'entend aussi de la marge bénéficiaire qui résulterait de l'exercice de l'option. Dès lors, et indépendamment du point de savoir à quel exercice doit être rattachée la charge correspondante pour l'acheteur de l'option, ce montant ne s'établit pas sous déduction de la prime versée par celui-ci en contrepartie de l'acquisition de l'option.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond qu'à la clôture de son exercice 2010, la société Deutsche Friedland SAS, qui avait pris des positions symétriques sur des contrats d'option et sur des valeurs mobilières, a doté une provision dans ses comptes au titre de la perte qu'elle estimait devoir supporter du fait de l'évolution du cours de ces dernières. Pour le calcul de ses gains corrélatifs non encore imposés sur les positions prises sur les contrats d'option, la société Deutsche Friedland SAS a distrait de ses marges bénéficiaires latentes le montant des primes correspondantes à concurrence de 250 738 449 euros, majorant d'autant la partie, déductible de ses résultats, de sa perte sur les valeurs mobilières. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause cette distraction, diminué en conséquence la part déductible de la perte, et rehaussé à concurrence les résultats imposables. La société Deutsche Bank AG, qui détient l'intégralité du capital de la société Deutsche Friedland SAS, s'étant constituée seule redevable de l'impôt dû par celle-ci en application de l'article 223 A du code général des impôts, il en est résulté pour elle, au titre de son exercice 2010, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés, assorties des intérêts correspondants.

5. Pour décharger, par l'arrêt attaqué, la société Deutsche Bank AG de ces impositions, la cour administrative d'appel de Versailles a jugé que le calcul des gains non encore imposés prévu au premier alinéa du 3° du 6 de l'article 38 du code général des impôts devait prendre en compte l'ensemble des coûts de l'opération, et notamment, déduire les primes versées lors de la souscription des contrats d'option. Ce faisant, et eu égard à ce qui a été dit au point 3, la cour a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles qu'il attaque.

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 26 mars 2019 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.

Article 3 : Les conclusions de la société Deutsche Bank AG présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'action et des comptes publics et à la société Deutsche Bank AG.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 431066
Date de la décision : 19/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CAPITAUX - MONNAIE - BANQUES - CAPITAUX - OPTIONS - IMPOSITION DES PERTES OU PROFITS EN COURS À LA DATE DE CLÔTURE DE L'EXERCICE (1° DU 6 DE L'ART - 38 DU CGI) - 1) NOTION DE PERTE OU PROFIT - ECART CONSTATÉ - LE JOUR DE LA CLÔTURE - ENTRE LA VALEUR D'EXERCICE ET LE COURS DU SOUS-JACENT - 2) DÉDUCTIBILITÉ DES PERTES LORSQUE L'ENTREPRISE A PRIS DES POSITIONS SYMÉTRIQUES (3° DU 6 DE L'ART - 38) - DÉDUCTIBILITÉ LIMITÉE À LA FRACTION EXCÉDANT LES GAINS NON ENCORE IMPOSÉS SUR LA POSITION SYMÉTRIQUE - GAINS CALCULÉS SANS TENIR COMPTE DE LA PRIME VERSÉE À L'ACQUISITION DE L'OPTION.

13-01 1) Il résulte du 1° du 6 de l'article 38 du code général des impôts (CGI), relatif à l'imposition des résultats de l'exécution de contrats à terme d'instruments financiers en cours à la clôture de l'exercice et qui, expressément constitutif d'une exception, doit être interprété strictement, que les pertes ou profits sur contrat d'option en cours à la date de la clôture de l'exercice s'entendent de la seule marge déficitaire - pour le vendeur de l'option - ou bénéficiaire - pour l'acheteur de l'option - qui résulterait de l'exercice à cette date de l'option, c'est-à-dire de l'écart négatif ou positif constaté, le jour de la clôture, entre la valeur d'exercice convenue et le cours de l'actif sous-jacent. ......2) En vue de la préservation des recettes fiscales, le 3° de ce même 6 limite le montant des pertes déductibles sur la position procédant de la détention de l'actif sous-jacent à leur fraction excédant les gains non encore imposés sur la position symétrique procédant de la souscription du contrat d'option. Pour l'application de ces dernières dispositions, le montant des gains non encore imposés sur contrat d'option s'entend aussi de la marge bénéficiaire qui résulterait de l'exercice de l'option. Dès lors, et indépendamment du point de savoir à quel exercice doit être rattachée la charge correspondante pour l'acheteur de l'option, ce montant ne s'établit pas sous déduction de la prime versée par celui-ci en contrepartie de l'acquisition de l'option.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES - REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES PARTICULIÈRES - BÉNÉFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX - DÉTERMINATION DU BÉNÉFICE NET - PERTES OU PROFITS SUR CONTRATS D'OPTION EN COURS À LA DATE DE CLÔTURE DE L'EXERCICE (1° DU 6 DE L'ART - 38 DU CGI) - 1) NOTION DE PERTE OU PROFIT - ECART CONSTATÉ - LE JOUR DE LA CLÔTURE - ENTRE LA VALEUR D'EXERCICE ET LE COURS DU SOUS-JACENT - 2) DÉDUCTIBILITÉ DES PERTES LORSQUE L'ENTREPRISE A PRIS DES POSITIONS SYMÉTRIQUES (3° DU 6 DE L'ART - 38) - DÉDUCTIBILITÉ LIMITÉE À LA FRACTION EXCÉDANT LES GAINS NON ENCORE IMPOSÉS SUR LA POSITION SYMÉTRIQUE - GAINS CALCULÉS EN INCLUANT LA MARGE BÉNÉFICIAIRE QUI RÉSULTERAIT DE L'EXERCICE DE L'OPTION - SANS TENIR COMPTE DE LA PRIME VERSÉE À L'ACQUISITION DE L'OPTION.

19-04-02-01-04 1) Il résulte du 1° du 6 de l'article 38 du code général des impôts (CGI), relatif à l'imposition des résultats de l'exécution de contrats à terme d'instruments financiers en cours à la clôture de l'exercice et qui, expressément constitutif d'une exception, doit être interprété strictement, que les pertes ou profits sur contrat d'option en cours à la date de la clôture de l'exercice s'entendent de la seule marge déficitaire - pour le vendeur de l'option - ou bénéficiaire - pour l'acheteur de l'option - qui résulterait de l'exercice à cette date de l'option, c'est-à-dire de l'écart négatif ou positif constaté, le jour de la clôture, entre la valeur d'exercice convenue et le cours de l'actif sous-jacent. ......2) En vue de la préservation des recettes fiscales, le 3° de ce même 6 limite le montant des pertes déductibles sur la position procédant de la détention de l'actif sous-jacent à leur fraction excédant les gains non encore imposés sur la position symétrique procédant de la souscription du contrat d'option. Pour l'application de ces dernières dispositions, le montant des gains non encore imposés sur contrat d'option s'entend aussi de la marge bénéficiaire qui résulterait de l'exercice de l'option. Dès lors, et indépendamment du point de savoir à quel exercice doit être rattachée la charge correspondante pour l'acheteur de l'option, ce montant ne s'établit pas sous déduction de la prime versée par celui-ci en contrepartie de l'acquisition de l'option.


Publications
Proposition de citation : CE, 19 déc. 2019, n° 431066
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Guillaume de LA TAILLE LOLAINVILLE
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 01/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:431066.20191219
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