Vu la procédure suivante :
Par un mémoire, enregistré le 25 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics, SMABTP, demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 19 février 2019 par lequel celle-ci a rejeté sa demande de décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et d'impôt sur le revenu des valeurs mobilières auxquelles elle a été assujettie en Nouvelle-Calédonie au titre de l'année 2013, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article Lp. 15 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 ;
- la convention conclue entre le gouvernement de la République française et le conseil de gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale, approuvée et publiée par la loi n° 83-676 du 26 juillet 1983 ;
- le code des impôts de la Nouvelle-Calédonie ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pierre Ramain, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Anne Iljic, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat de la SMABTP et à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, Robillot, avocat du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 décembre 2019, présentée par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. La société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) soutient que les dispositions de l'article Lp 15 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie portent atteinte à la garantie des droits résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et méconnaissent le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la même Déclaration, en tant qu'elles entrainent une double imposition des bénéfices réalisés par la commercialisation de produits d'assurance en Nouvelle-Calédonie pour les entreprises qui n'y disposent pas d'un établissement stable, contraire à l'objectif poursuivi par la convention fiscale conclue entre le gouvernement de la République française et le conseil de gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, approuvée et publiée par la loi du 26 juillet 1983.
3. L'article Lp 15 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie, issu de la " loi du pays " du 16 janvier 2007 portant diverses dispositions d'ordre fiscal à l'impôt sur le revenu et à l'impôt sur les sociétés, dispose : " les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés par les entreprises exploitées, ou ayant leur siège social en Nouvelle-Calédonie, ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la Nouvelle-Calédonie par une convention fiscale./ La notion d'entreprise exploitée en Nouvelle-Calédonie s'entend de l'exercice habituel d'une activité qui peut soit s'effectuer dans le cadre d'un établissement autonome, soit être réalisée par l'intermédiaire de représentants dépendants économiquement ou juridiquement, soit résulter de la réalisation d'opérations formant un cycle commercial complet. Toutefois, en matière d'assurance, l'entreprise est considérée comme exploitée en Nouvelle-Calédonie pour les produits d'assurance qui sont commercialisés localement (...) ".
4. L'article 7 de la convention conclue entre le gouvernement de la République française et le conseil de gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale, approuvée par la loi du 26 juillet 1983, qui a le caractère d'une disposition de droit interne ayant valeur législative, dispose : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un territoire ne sont imposables que dans ce territoire, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre territoire par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre territoire mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable ". Son article 22 évite la double imposition en prévoyant, pour les impôts calédoniens, que les revenus autres que ceux qui proviennent de dividendes et de redevances sont exonérés, notamment, de l'impôt sur les sociétés calédonien " lorsque ces revenus sont imposables en France, en vertu de la présente Convention. Toutefois, aucune exonération n'est accordée si les revenus en cause ne sont pas imposables en France, en vertu de la législation interne ".
5. Il résulte des dispositions précitées de l'article Lp. 15 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie, éclairées par les débats devant le congrès de Nouvelle-Calédonie lors de l'adoption de la " loi du pays " du 16 janvier 2007, que la définition qu'elles donnent, s'agissant des sociétés commercialisant des produits d'assurance, de la notion d'" entreprises exploitées " en Nouvelle-Calédonie n'est susceptible de s'appliquer qu'aux entreprises ayant un établissement stable dans un Etat autre que la France. Il s'ensuit qu'en adoptant ces dispositions, le législateur de pays n'a, en tout état de cause, pas entendu déroger à la convention fiscale citée au point précédent. La société requérante n'est donc pas fondée à soutenir que l'article Lp. 15 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie serait susceptible de conduire à une double imposition des produits d'assurance commercialisés en Nouvelle-Calédonie par une entreprise n'y disposant pas d'un établissement stable, qui serait de nature d'une part, à porter atteinte à une situation légalement acquise ou à remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus d'une telle situation, en méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et, d'autre part, à méconnaître le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la même Déclaration.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société requérante, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SMABTP.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SMABTP, au ministre de l'action et des comptes publics et au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.