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16/12/2019 | FRANCE | N°419087

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 16 décembre 2019, 419087


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 419087, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 19 mars, 4 mai et 17 décembre 2018 et les 18 janvier et 26 avril 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Toma Intérim demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite, née du silence gardé sur sa demande présentée le 9 janvier 2018, par laquelle la ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des compte

s publics ont refusé d'abroger l'arrêté du 20 avril 2017 portant extension de l'acc...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 419087, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 19 mars, 4 mai et 17 décembre 2018 et les 18 janvier et 26 avril 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Toma Intérim demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite, née du silence gardé sur sa demande présentée le 9 janvier 2018, par laquelle la ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont refusé d'abroger l'arrêté du 20 avril 2017 portant extension de l'accord du 14 décembre 2015 et de l'avenant du 30 septembre 2016 relatifs au régime de frais de santé des salariés intérimaires, ainsi que l'article 4 de l'arrêté du 3 août 2017 portant extension de l'avenant n° 2 du 9 décembre 2016 à l'accord du 14 décembre 2015 ;

2°) d'enjoindre à la ministre des solidarités et de la santé d'abroger, dans un délai de deux mois, l'arrêté du 20 avril 2017 et l'article 4 de l'arrêté du 3 août 2017 ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la CGT intérim, de la CFTC Commerce et services, de la CFE-CGC, de la fédération des employés et cadres Force ouvrière, de la fédération Services CFDT et de Prism'emploi la somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au même titre.

2° Sous le n° 420379, par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 4 mai et 17 décembre 2018 et les 18 janvier et 26 avril 2019, la société Interaction demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite, née du silence gardé sur sa demande présentée le 31 janvier 2018, par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a refusé d'abroger l'arrêté du 20 avril 2017 portant extension de l'accord du 14 décembre 2015 et de l'avenant du 30 septembre 2016 relatifs au régime de frais de santé des salariés intérimaires ;

2°) d'enjoindre à la ministre des solidarités et de la santé d'abroger, dans un délai de deux mois, l'arrêté du 20 avril 2017 ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la CGT intérim, de la CFTC Commerce et services, de la CFE-CGC, de la fédération des employés et cadres Force ouvrière, de la fédération Services CFDT et de Prism'emploi la somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au même titre.

....................................................................................

3° Sous le n° 420380, par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 4 mai et 17 décembre 2018 et les 18 janvier et 26 avril 2019, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Sup Intérim 01 demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite, née du silence gardé sur sa demande présentée le 31 janvier 2018, par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a refusé d'abroger l'arrêté du 20 avril 2017 portant extension de l'accord du 14 décembre 2015 et de l'avenant du 30 septembre 2016 relatifs au régime de frais de santé des salariés intérimaires ;

2°) d'enjoindre à la ministre des solidarités et de la santé d'abroger, dans un délai de deux mois, l'arrêté du 20 avril 2017 ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la CGT intérim, de la CFTC Commerce et services, de la CFE-CGC, de la fédération des employés et cadres Force ouvrière, de la fédération Services CFDT et de Prism'emploi la somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au même titre.

....................................................................................

4° Sous le n° 420381, par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 4 mai et 17 décembre 2018 et les 18 janvier et 26 avril 2019, la société Sup Intérim 16 demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite, née du silence gardé sur sa demande présentée le 31 janvier 2018, par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a refusé d'abroger l'arrêté du 20 avril 2017 portant extension de l'accord du 14 décembre 2015 et de l'avenant du 30 septembre 2016 relatifs au régime de frais de santé des salariés intérimaires ;

2°) d'enjoindre à la ministre des solidarités et de la santé d'abroger, dans un délai de deux mois, l'arrêté du 20 avril 2017 ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la CGT intérim, de la CFTC Commerce et services, de la CFE-CGC, de la fédération des employés et cadres Force ouvrière, de la fédération Services CFDT et de Prism'emploi la somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au même titre.

....................................................................................

5° Sous le n° 420383, par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 4 mai et 17 décembre 2018 et les 18 janvier et 26 avril 2019, la société Sup Intérim 88 demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite, née du silence gardé sur sa demande présentée le 31 janvier 2018, par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a refusé d'abroger l'arrêté du 20 avril 2017 portant extension de l'accord du 14 décembre 2015 et de l'avenant du 30 septembre 2016 relatifs au régime de frais de santé des salariés intérimaires ;

2°) d'enjoindre à la ministre des solidarités et de la santé d'abroger, dans un délai de deux mois, l'arrêté du 20 avril 2017 ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la CGT intérim, de la CFTC Commerce et services, de la CFE-CGC, de la fédération des employés et cadres Force ouvrière, de la fédération Services CFDT et de Prism'emploi la somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au même titre.

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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code du travail ;

- la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 ;

- la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 ;

- l'arrêt C-25/14 et C-26/14 du 17 décembre 2015 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Luc Nevache, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de la société Toma Interim, de la Société Interaction, de la Société Sup Interim 01, de la Société Sup Interim 16, de la Société Sup Interim 88 et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Prism'emploi, de la FEC-FO, de la FNECS CFE-CGC, de la CSFV-CFTC, de la FS CFDT, de la CGT interim et de la CFE-CGC, de la FNECS, de la FSCFDT et de la société USI-CGT ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées le 28 novembre 2019, présentées par les sociétés Toma intérim, Interaction, Sup intérim 01, Sup intérim 16 et Sup intérim 88 ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article L. 911-1 du code de la sécurité sociale, les " garanties collectives dont bénéficient les salariés ", qui ont notamment pour objet, aux termes de l'article L. 911-2 du même code, de prévoir " la couverture du risque décès, des risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, des risques d'incapacité de travail ou d'invalidité " en complément de celles qui résultent de l'organisation de la sécurité sociale, peuvent notamment être déterminées par voie de conventions ou d'accords collectifs. En vertu de l'article L. 911-3 du même code, ces accords peuvent être étendus dans les conditions prévues par le code du travail, cette extension étant décidée par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé du budget lorsqu'ils ont pour objet exclusif la détermination de telles garanties collectives. Le I de l'article L. 912-1 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 23 décembre 2013, dispose que : " Les accords professionnels ou interprofessionnels mentionnés à l'article L. 911-1 peuvent, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, prévoir l'institution de garanties collectives présentant un degré élevé de solidarité et comprenant à ce titre des prestations à caractère non directement contributif, pouvant notamment prendre la forme d'une prise en charge partielle ou totale de la cotisation pour certains salariés ou anciens salariés, d'une politique de prévention ou de prestations d'action sociale. / Dans ce cas, les accords peuvent organiser la couverture des risques concernés en recommandant un ou plusieurs organismes mentionnés à l'article 1er de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques ou une ou plusieurs institutions mentionnées à l'article L. 370-1 du code des assurances (...) ", sous réserve du respect des conditions de mise en concurrence et d'égalité de traitement définies au II du même article. Le IV du même article dispose que : " Les accords mentionnés au I peuvent prévoir que certaines des prestations nécessitant la prise en compte d'éléments relatifs à la situation des salariés ou sans lien direct avec le contrat de travail les liant à leur employeur sont financées et gérées de façon mutualisée, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat, pour l'ensemble des entreprises entrant dans leur champ d'application ".

2. En application de ces dispositions, les ministres chargés de la sécurité sociale et du budget ont, par un arrêté du 20 avril 2017, étendu les stipulations de l'accord du 14 décembre 2015 relatif au régime de frais de santé des salariés intérimaires et de son avenant du 30 septembre 2016 et, par l'article 4 de l'arrêté du 3 août 2017, étendu l'avenant du 9 décembre 2016 au même accord.

3. Les sociétés Toma intérim, Interaction, Sup intérim 01, Sup intérim 16 et Sup intérim 88 ont demandé au Premier ministre, à la ministre des solidarités et de la santé et au ministre de l'action et des comptes publics d'abroger l'arrêté du 20 avril 2016 ainsi, pour la première d'entre elle, que l'article 4 de l'arrêté du 3 août 2017. Elles demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les refus implicitement opposés à leur demande. Ces requêtes sont dirigées contre le refus d'abroger le même arrêté et présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur le refus d'abroger l'article 4 de l'arrêté du 3 août 2017 :

4. Aucun moyen n'étant présenté par la société Toma intérim à l'appui de ses conclusions dirigées contre le refus d'abroger l'article 4 de l'arrêté du 3 août 2017, ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées.

Sur le refus d'abroger l'arrêté du 20 avril 2017 :

5. Lorsque, à l'occasion d'un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative, une contestation sérieuse s'élève sur la validité d'un arrêté prononçant l'extension ou l'agrément d'une convention ou d'un accord collectif de travail, il appartient au juge saisi de ce litige de surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la question préjudicielle que présente à juger cette contestation. Toutefois, eu égard à l'exigence de bonne administration de la justice et aux principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions, en vertu desquels tout justiciable a droit à ce que sa demande soit jugée dans un délai raisonnable, il en va autrement s'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal. En outre, s'agissant du cas particulier du droit de l'Union européenne, dont le respect constitue une obligation, tant en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qu'en application de l'article 88-1 de la Constitution, il résulte du principe d'effectivité issu des dispositions de ces traités, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que le juge national chargé d'appliquer les dispositions du droit de l'Union a l'obligation d'en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire. A cet effet, le juge administratif doit pouvoir, en cas de difficulté d'interprétation de ces normes, en saisir lui-même la Cour de justice à titre préjudiciel ou, lorsqu'il s'estime en état de le faire, appliquer le droit de l'Union européenne, sans être tenu de saisir au préalable l'autorité judiciaire d'une question préjudicielle, dans le cas où serait en cause devant lui, à titre incident, la conformité d'une convention ou d'un accord collectif au droit de l'Union européenne.

En ce qui concerne la soumission, par l'accord du 14 décembre 2015 et son avenant du 30 septembre 2016, de la couverture collective obligatoire qu'ils organisent à une " condition d'ancienneté " :

6. Aux termes du A du I de l'article 1er de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, dans sa rédaction issue de la loi du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016 : " Avant le 1er juin 2013, les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels engagent une négociation, afin de permettre aux salariés qui ne bénéficient pas d'une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de remboursements complémentaires de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident dont chacune des catégories de garanties et la part de financement assurée par l'employeur sont au moins aussi favorables que celles mentionnées aux II et III de l'article L. 911-7 du code de la sécurité sociale, au niveau de leur branche ou de leur entreprise, d'accéder à une telle couverture avant le 1er janvier 2016. (...) ". Le III de l'article L. 911-7 du code de la sécurité sociale, inséré par la loi du 21 décembre 2015 et entré en vigueur le 1er janvier 2016, prévoit que : " L'employeur assure au minimum la moitié du financement de la couverture collective à adhésion obligatoire des salariés en matière de remboursement complémentaire des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident. / Les salariés en contrat à durée déterminée ou en contrat de mission peuvent se dispenser, à leur initiative, de l'obligation d'affiliation si la durée de la couverture collective à adhésion obligatoire dont ils bénéficient en matière de remboursement complémentaire des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident est inférieure à un seuil fixé par décret et s'ils justifient bénéficier d'une couverture respectant les conditions fixées à l'article L. 871-1. (...) ". Il résulte de l'article L. 911-7-1 de ce code, créé par la même loi, et notamment de son III, qu'un accord de branche peut prévoir que, pour les salariés en contrat à durée déterminée, en contrat de mission ou à temps partiel dont la durée du contrat ou la durée du travail est inférieure à des seuils qu'il fixe, dans la limite de plafonds déterminés par décret, la couverture en matière de remboursement complémentaire de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident des salariés est assurée par le biais du versement par leur employeur d'une somme, dite " versement santé ", représentative du financement résultant de l'application des articles L. 911-7 et L. 911-8, et qui s'y substitue alors. L'article D. 911-7 du même code précise que : " Les salariés mentionnés au III de l'article L. 911-7-1 sont ceux dont la durée du contrat de travail ou du contrat de mission est inférieure ou égale à trois mois ou ceux dont la durée effective du travail prévue par ce contrat est inférieure ou égale à 15 heures par semaine ".

7. Il résulte de ces dispositions que, si le législateur a entendu permettre à tous les salariés d'accéder à une couverture complémentaire collective de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident et a imposé une participation de l'employeur couvrant au moins la moitié du financement de cette couverture, l'article L. 911-7-1 du code de la sécurité sociale permet, pour les salariés dont la durée du contrat ou la durée du travail prévue par celui-ci est inférieure à certains seuils fixés par décret, que cette obligation pesant sur l'employeur soit assurée, non par une participation au financement de la couverture collective à adhésion obligatoire, mais par un versement au salarié d'une somme représentative de cette participation, dite " versement santé ".

8. Le préambule de l'avenant du 30 septembre 2016 à l'accord du 14 décembre 2015 étendu par l'arrêté litigieux indique que " tenant compte (...) de l'instauration du versement santé, les partenaires sociaux conviennent d'adapter les stipulations de cet accord et de le réviser ". A cet effet, l'article 2.1. de l'accord tel que modifié par l'article 1er de l'avenant étendu stipule qu'en application des dispositions de l'article L. 911-7-1 du code de la sécurité sociale, les salariés intérimaires n'ayant pas effectué plus de 414 heures de travail dans une ou des entreprises de travail temporaire ou entreprises de travail temporaire d'insertion au cours d'une période de 12 derniers mois consécutifs, en contrat de mission dont la durée est inférieure ou égale à trois mois, ont droit, à leur demande, au " versement santé dans les conditions fixées par les dispositions légales et réglementaires en vigueur ". L'article 2.2 de l'accord prévoit, à l'inverse, que tout salarié intérimaire qui a effectué plus de 414 heures de travail dans une ou des entreprises de travail temporaire ou entreprises de travail temporaire d'insertion au cours d'une période de 12 derniers mois consécutifs est obligatoirement affilié au régime collectif et son article 2.3 que tout salarié intérimaire embauché en contrat de travail à durée indéterminée, en contrat de mission d'une durée de 3 mois ou plus ou en contrat de mission dont la durée du travail est supérieure à 414 heures est obligatoirement affilié à ce régime dès sa date d'embauche.

9. En prévoyant que l'obligation de couverture complémentaire des risques maladie, maternité et accident est assurée uniquement par la mise en oeuvre du " versement santé " pour les salariés bénéficiaires de contrats de mission d'une durée totale inférieure à 414 heures dans les 12 derniers mois, correspondant, compte tenu des congés annuels, à une durée de travail équivalente à trois mois, s'ils ne sont pas titulaires d'un contrat de mission de plus de trois mois, et que ces salariés ne peuvent par conséquent pas prétendre à la couverture collective obligatoire, les parties à l'avenant se sont bornées à exercer la faculté qui leur était ouverte par le III de l'article L. 911-7-1 du code de la sécurité sociale. Dans ces conditions, ne saurait être regardé comme soulevant une contestation sérieuse le moyen tiré par les sociétés requérantes de ce que l'accord du 14 décembre 2015 et l'avenant du 30 septembre 2016 auraient, en dépit des termes qu'ils emploient, introduit une clause " d'ancienneté " contraire à l'article L. 911-7 du code de la sécurité sociale. Les sociétés requérantes ne sont ainsi pas fondées à soutenir que l'arrêté litigieux serait illégal pour ce motif.

En ce qui concerne la désignation, par l'accord du 14 décembre 2015 et son avenant du 30 septembre 2016, d'un " opérateur de gestion " :

10. L'accord et l'avenant étendus par l'arrêté du 20 avril 2017 prévoient, en application des dispositions du I de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale citées au point 1, l'institution, sous la forme d'un régime collectif obligatoire de frais de santé des salariés intérimaires et d'un régime complémentaire facultatif pour les salariés ne bénéficiant pas du régime collectif obligatoire, de garanties collectives présentant un degré élevé de solidarité et organise la couverture des risques concernés en recommandant, ainsi que le lui permettent les mêmes dispositions, deux institutions de prévoyance. Ils désignent, en outre, la société de courtage d'assurances SIACI Saint-Honoré comme " opérateur de gestion ", d'une part, pour consolider les données de durée de travail individuelle de chaque salarié intérimaire recueillies auprès de l'ensemble des entreprises de la branche afin de déterminer les salariés intérimaires bénéficiaires, compte tenu de leur durée de travail, du régime collectif obligatoire et d'en informer tant les intéressés que leur employeur, d'autre part, pour procéder à l'encaissement des cotisations d'assurance et à leur reversement aux organismes recommandés, enfin, pour assurer le versement des prestations en qualité de mandataire de ces organismes.

11. En premier lieu, l'accord du 14 décembre 2015 relatif au régime de frais de santé des salariés intérimaires, modifié par l'avenant du 30 septembre 2016 pour tenir compte de l'instauration par la loi du " versement santé ", vise, ainsi que l'expose l'accord du 4 juin 2015 fixant les contours de ce régime, à " prendre en compte la spécificité de l'intérim ", avec " pour objectif de faire de la complémentaire santé un droit attaché à la personne, reposant sur une mutualisation des risques au sein de la branche et non de l'entreprise ", et ainsi, en assurant le bénéfice du régime collectif obligatoire de la branche à tout salarié intérimaire à compter de l'exécution de la 415ème heure de travail, même dans plusieurs entreprises de travail temporaire, au cours d'une période de douze mois, à permettre l'accès au régime collectif des frais de santé prévu à l'article L. 911-7 du code de la sécurité sociale de salariés qui, à défaut, seraient exposés à en être exclus, eu égard à la durée de leur contrat ou à leur nombre d'heures de travail auprès du même employeur. Il n'est pas sérieusement contesté que la mission de centralisation confiée à l'"opérateur de gestion ", qui, contrairement à ce qui est soutenu, ne peut être regardée comme conduisant à la désignation plutôt qu'à la seule recommandation des institutions de prévoyance pour lesquelles il centralise le recueil des cotisations et le versement des prestations, est nécessaire à la mise en oeuvre d'un tel régime. Par suite, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir qu'en désignant un tel " opérateur de gestion " et en imposant à toute entreprise de travail temporaire et entreprise de travail temporaire d'insertion de lui fournir les données nécessaires à la consolidation des heures de travail des salariés intérimaires et de lui verser une contribution fixée à 0,0284 euro hors taxe par heure de travail effectuée par chacun des salariés intérimaires non obligatoirement affiliés au régime collectif obligatoire, l'accord du 14 décembre 2015, modifié par l'avenant du 30 septembre 2016, porterait une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre.

12. En second lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des Etats membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation ". Le II de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale prévoit que la recommandation d'un organisme ou d'une institution, permise par le I du même article cité au point 1, " doit être précédée d'une procédure de mise en concurrence des organismes ou institutions concernés, dans des conditions de transparence, d'impartialité et d'égalité de traitement entre candidats et selon des modalités prévues par décret ".

13. Par son arrêt C-25/14 et C-26/14 du 17 décembre 2015, la Cour de justice de l'Union européenne a rappelé, s'agissant des prestations de services qui impliquent une intervention des autorités nationales, que l'obligation de transparence découlant de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne s'applique, non pas à toute opération, mais uniquement à celles qui présentent un intérêt transfrontalier certain, du fait qu'elles sont objectivement susceptibles d'intéresser des opérateurs économiques établis dans d'autres États membres. Elle a dit pour droit que cette obligation de transparence s'oppose à l'extension, par un État membre, à l'ensemble des employeurs et des travailleurs salariés d'une branche d'activité, d'un accord collectif, conclu par les organisations représentatives d'employeurs et de travailleurs salariés pour une branche d'activité, qui confie à un unique opérateur économique, choisi par les partenaires sociaux, la gestion d'un régime de prévoyance complémentaire obligatoire institué au profit des travailleurs salariés, sans que la réglementation nationale prévoie une publicité adéquate permettant à l'autorité publique compétente de tenir pleinement compte des informations soumises, relatives à l'existence d'une offre plus avantageuse. Elle a également indiqué que l'existence d'un intérêt transfrontalier certain doit être appréciée sur la base de l'ensemble des critères pertinents, tels que l'importance économique du marché, le lieu géographique de son exécution ou ses aspects techniques, en ayant égard aux caractéristiques propres du marché concerné.

14. S'il ressort des pièces du dossier et s'il n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté que les parties à l'accord justifient de l'organisation d'une procédure de mise en concurrence, propre à satisfaire à l'obligation de transparence que prévoit le II de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale et qui découle de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, pour le choix des deux organismes de prévoyance recommandés, les sociétés requérantes soutiennent que l'appel public à la concurrence ayant conduit au choix de l'opérateur de gestion n'a pas, pour sa part, satisfait à cette obligation de transparence. Toutefois, d'une part, il ressort des termes mêmes du II de l'article L. 912-1 que ses dispositions ne s'appliquent qu'à la recommandation d'un organisme de prévoyance au titre du I du même article. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le marché concerné, dont la ministre des solidarités et de la santé fait valoir le champ limité et la particulière technicité eu égard aux spécificités du secteur de l'intérim, pourrait, notamment au regard de son importance économique, être regardé comme présentant un caractère transfrontalier certain, ce dont il résulte que l'obligation de transparence découlant de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne peut être utilement invoquée.

15. Les sociétés requérantes ne sont ainsi pas fondées à soutenir que l'arrêté litigieux serait illégal au motif de l'atteinte que l'instauration et la désignation par l'accord du 14 décembre 2015 et l'avenant du 30 septembre 2016 d'un opérateur de gestion porterait à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle ainsi qu'à l'obligation de transparence résultant de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et du II de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale.

En ce qui concerne les stipulations de l'accord du 14 décembre 2015 et de son avenant du 30 septembre 2016 relatives au fonds de solidarité et à la mutualisation du " versement santé " :

16. Ainsi qu'il a été dit au point 10, l'accord du 14 décembre 2015 prévoit l'institution de garanties collectives présentant un degré élevé de solidarité. A ce titre, le régime de frais de santé qu'il instaure comprend des prestations à caractère non directement contributif, dont il organise le financement par un fonds de solidarité qu'il crée, alimenté à parité par les cotisations des employeurs et des salariés.

17. En premier lieu, il résulte d'une jurisprudence établie de la Cour de cassation qu'aucune disposition d'ordre public n'interdit à des organisations syndicales et patronales représentatives dans le champ de l'accord de prévoir, par accord collectif, un système de mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations de prévoyance sociale non obligatoires même en l'absence de dispositions légales en ce sens. Par suite, alors même qu'à la date de la signature tant de l'accord du 14 décembre 2015 que de son avenant du 30 septembre 2016, le décret d'application nécessaire à l'entrée en vigueur du IV de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale n'avait pas été pris, les parties pouvaient valablement prévoir que certaines des prestations nécessitant la prise en compte d'éléments relatifs à la situation des salariés ou sans lien direct avec le contrat de travail les liant à leur employeur seraient financées et gérées de façon mutualisée selon les modalités fixées par elles. Les sociétés requérantes ne sont ainsi pas fondées à soutenir que l'arrêté du 20 avril 2017 serait illégal au motif que les parties à l'accord qu'il étend ne disposaient d'aucun cadre légal les autorisant à adopter de telles clauses.

18. En second lieu, le dernier alinéa de l'article 14 de l'accord du 14 décembre 2015 prévoit qu'une part du fonds de solidarité sera affecté à la mutualisation du financement, devenu obligatoire sous la forme du " versement santé " à compter du 1er janvier suivant, de la cotisation d'assurance maladie complémentaire souscrite à titre personnel par ceux des salariés intérimaires ne bénéficiant pas de la couverture collective obligatoire. Si l'accord initial du 14 décembre 2015 précisait que la fraction du fonds de solidarité affectée à ce financement mutualisé correspondait " à la part employeur des cotisations " affectées à ce fonds, il a été étendu par l'arrêté du 20 avril 2017 tel que modifié par l'avenant du 30 septembre 2016, lequel, adopté pour tenir compte de l'entrée en vigueur du " versement santé ", ne comporte plus cette précision et se borne à prévoir, à l'avant-dernier alinéa de l'article 14.1, que " la fraction du fonds de solidarité affectée aux prestations à caractère non contributif présentant un haut degré de solidarité est fixée au minimum à 2 % de l'ensemble des cotisations d'assurance acquittées pour le régime obligatoire et de l'ensemble des cotisations d'assurances acquittées pour l'ensemble des salariés intérimaires des entreprises qui n'auraient pas affilié leurs salariés intérimaires auprès des organismes assureurs recommandés " et, à l'article 14.2, que " la fraction du fonds de solidarité excédant celle mentionnée à l'avant dernier alinéa de l'article 14.1 est affectée à la mutualisation du financement du versement santé (...) ".

19. Si, en application du I de l'article L. 911-7-1 du code de la sécurité sociale, le " versement santé " incombe à l'employeur, dont il représente la part du financement de la couverture complémentaire de santé des salariés mise à sa charge, il résulte clairement de la combinaison de l'accord du 14 décembre 2015 et de sa modification par l'avenant du 30 septembre 2016, qui n'a pas eu pour objet de modifier la portée de l'accord initial sur ce point, ainsi que les parties signataires ont d'ailleurs entendu le confirmer par " l'avenant interprétatif " qu'elles ont signé le 14 septembre 2018 et ainsi qu'elles le font valoir dans leurs écritures, que la fraction du fonds de solidarité affectée au financement du versement santé n'est financée que par la part patronale des cotisations d'assurance excédant le minimum de 2 % des cotisations affecté au financement des prestations à caractère non directement contributif.

20. Par suite, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'arrêté du 20 avril 2017 ne pouvait légalement étendre l'accord du 14 décembre 2015 et son avenant du 30 septembre 2016 au motif que la mutualisation qu'ils instaurent du financement du " versement santé " par une fraction du fonds de solidarité de branche pourrait faire peser sur les salariés une charge incombant en vertu de la loi aux seuls employeurs.

21. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation des décisions par lesquelles les ministres compétents ont implicitement refusé d'abroger l'arrêté du 20 avril 2017.

Sur les conclusions relatives aux frais de l'instance :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, en application des mêmes dispositions, de mettre à la charge de chacune des sociétés requérantes la somme de 500 euros à verser à la CGT intérim, à la fédération CFTC commerces et services, à la fédération des services CFDT, à la fédération nationale encadrement commerce et services CFE-CGC, à la fédération des employés et cadres Force ouvrière et à Prism'emploi.

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes des sociétés Toma intérim, Interaction, Sup intérim 01, Sup intérim 16 et Sup intérim 88 sont rejetées.

Article 2 : Les sociétés Toma intérim, Interaction, Sup intérim 01, Sup intérim 16 et Sup intérim 88 verseront chacune 500 euros à la CGT intérim, à la fédération CFTC commerces et services, à la fédération des services CFDT, à la fédération nationale encadrement commerce et services CFE-CGC, à la fédération des employés et cadres Force ouvrière et à Prism'emploi au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée aux sociétés Toma intérim, Interaction, Sup intérim 01, Sup intérim 16 et Sup intérim 88, à la ministre des solidarités et de la santé et à la CGT intérim, première dénommée, pour l'ensemble des défendeurs ayant présenté un mémoire commun avec cette confédération.


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 419087
Date de la décision : 16/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 16 déc. 2019, n° 419087
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Luc Nevache
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini
Avocat(s) : SCP BOUZIDI, BOUHANNA ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:419087.20191216
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