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06/11/2019 | FRANCE | N°431902

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 06 novembre 2019, 431902


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 24 juin et 7 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Union fédérale des consommateurs - Que choisir (UFC - Que choisir) et Consommation, logement et cadre de vie (CLCV) demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du 28 mai 2019 par lesquelles le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre de l'économie et des finances ont fixé les tarifs réglementés de vente de l'électricité applica

bles aux consommateurs résidentiels en France métropolitaine continentale, le...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 24 juin et 7 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Union fédérale des consommateurs - Que choisir (UFC - Que choisir) et Consommation, logement et cadre de vie (CLCV) demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du 28 mai 2019 par lesquelles le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre de l'économie et des finances ont fixé les tarifs réglementés de vente de l'électricité applicables aux consommateurs résidentiels en France métropolitaine continentale, les tarifs réglementés de vente de l'électricité applicables aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale, les tarifs réglementés de vente de l'électricité applicables dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental et les tarifs de cession de l'électricité aux entreprises locales de distribution, ainsi que des décisions implicites résultant de l'absence d'opposition des mêmes ministres aux propositions de tarifs formulées dans la délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 7 février 2019.

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 ;

- le code de l'énergie ;

- la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 ;

- l'arrêté du 28 avril 2011 fixant le volume global maximal d'électricité devant être cédé par Electricité de France au titre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique ;

- l'arrêté du 17 mai 2011 fixant le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique à compter du 1er janvier 2012 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Céline Guibé, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Electricité de France ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 octobre 2019, présentée par la Commission de régulation de l'énergie ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Electricité de France (EDF) justifie d'un intérêt suffisant au maintien des décisions attaquées. Son intervention est, par suite, recevable.

2. Aux termes de l'article L. 337-4 du code de l'énergie : " La Commission de régulation de l'énergie transmet aux ministres chargés de l'économie et de l'énergie ses propositions motivées de tarifs réglementés de vente d'électricité. La décision est réputée acquise en l'absence d'opposition de l'un des ministres dans un délai de trois mois suivant la réception de ces propositions (...) ". Sur le fondement de ces dispositions, le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre de l'économie et des finances ont, par quatre décisions du 28 mai 2019, fixé les tarifs réglementés de vente de l'électricité ainsi que les tarifs de cession de l'électricité aux entreprises locales de distribution applicables à compter du 1er juin 2019, conformément à la proposition de la Commission de régulation de l'énergie du 7 février 2019. Par la présente requête, les associations UFC - Que Choisir et CLCV demandent l'annulation de ces quatre décisions, ainsi que celle des décisions implicites, auxquelles elles se sont substituées, résultant de l'absence d'opposition des ministres dans un délai de trois mois aux propositions de tarifs formulées par la Commission de régularisation de l'énergie.

3. D'une part, aux termes de l'article L. 337-5 du code de l'énergie : " Les tarifs réglementés de vente d'électricité sont définis en fonction de catégories fondées sur les caractéristiques intrinsèques des fournitures, en fonction des coûts mentionnés à l'article L. 337-6 ". Aux termes de l'article L. 337-6 du même code : " Les tarifs réglementés de vente d'électricité sont établis par addition du prix d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, du coût du complément d'approvisionnement au prix de marché, de la garantie de capacité, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale de l'activité de fourniture. (...) ". Ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité dont elles sont issues, ont pour objet de permettre le développement d'une concurrence tarifaire effective sur le marché de détail de l'électricité. Aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article R. 337-19 du code de l'énergie, qui précisent les modalités d'application de ces dispositions législatives : " Le coût de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique est déterminé en fonction du prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique appliqué au prorata de la quantité de produit théorique calculée en application de l'article R. 336-14, compte tenu, le cas échéant, de l'atteinte du volume global maximal d'électricité nucléaire historique fixé par l'article L. 336-2. / Le coût du complément d'approvisionnement sur le marché est calculé en fonction des caractéristiques moyennes de consommation et des prix de marché à terme constatés. (...) ".

4. D'autre part, l'article L. 336-1 du code de l'énergie instaure un accès régulé à l'électricité nucléaire historique, produite par les centrales nucléaires de la société EDF situées sur le territoire national et mises en service avant le 8 décembre 2010 à tous les opérateurs fournissant des consommateurs finals résidant sur le territoire métropolitain continental ou des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes. Par arrêté du 17 mai 2011, les ministres chargés de l'énergie et de l'économie ont fixé le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique à 42 euros par mégawattheure à compter du 1er janvier 2012. Les articles L. 336-3 et R. 336-14 du même code prévoient que la quantité maximale d'électricité cédée à un fournisseur est calculée par la Commission de régulation de l'énergie en fonction des caractéristiques et des prévisions d'évolution de la consommation de ses clients durant les heures de faible consommation d'électricité sur le territoire métropolitain continental. Les demandes d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique des fournisseurs font l'objet de deux guichets annuels pour une livraison au cours des douze mois suivants. Pour la première fois depuis l'instauration de ce dispositif, les demandes d'électricité nucléaire historique présentées lors du guichet du 16 novembre 2018 ont excédé le volume global maximal d'électricité susceptible d'être cédé annuellement par la société EDF, lequel est fixé à 100 térawattheures par l'arrêté du 28 avril 2011 pris pour l'application de l'article L. 336-2 du code de l'énergie. Les articles L. 336-3 et R. 336-18 du code de l'énergie confiant à la Commission de régulation de l'énergie la mission de répartir ce volume maximal de manière à permettre le développement de la concurrence sur le marché de détail, celle-ci a attribué à chacun des fournisseurs, à l'exception des filiales du groupe EDF, 75,2% de la quantité d'électricité nucléaire historique demandée. Par voie de conséquence, les fournisseurs se sont approvisionnés sur le marché de gros de l'électricité à due proportion de l'écrêtement des volumes d'électricité nucléaire historique qui leur étaient attribués, alors que le prix de marché atteignait 59 euros par mégawattheure en décembre 2018.

5. Il ressort de la délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 7 février 2019 que l'évolution tarifaire résultant des décisions attaquées découle, pour partie, de la prise en compte, dans le calcul des composantes des tarifs correspondant aux coûts d'approvisionnement en énergie et en capacité, de l'atteinte du volume global maximal d'électricité nucléaire historique susceptible d'être cédé aux fournisseurs. Pour chaque option tarifaire, la Commission a calculé le coût de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique en se fondant sur la quantité d'électricité nucléaire historique théorique à laquelle aurait droit un client aux tarifs réglementés compte tenu de son profil de consommation, réduite à due proportion de l'écrêtement des volumes d'électricité nucléaire historique attribués aux fournisseurs de clients aux offres de marché, et à laquelle elle a appliqué le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique de 42 euros par mégawattheure. La Commission a ensuite calculé le coût du complément d'approvisionnement au prix de marché en distinguant, d'une part, les achats que devrait effectuer un fournisseur-type sur le marché de gros pour couvrir les besoins des clients aux tarifs réglementés excédant leurs droits théoriques à l'électricité nucléaire historique, dont le prix a été déterminé par référence à un prix de marché, lissé sur une période de 24 mois, de 43,10 euros par mégawattheure, et, d'autre part, les achats supplémentaires destinés à compenser l'écrêtement de ces droits théoriques, dont le prix a été déterminé par référence à la moyenne des prix de marché observés entre le 30 novembre 2018, date de la notification de l'écrêtement aux fournisseurs aux offres de marché, et le 21 décembre 2018, soit 59,40 euros par mégawattheure.

6. A l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions des ministres chargés de l'économie et de l'énergie, les associations requérantes contestent les modalités de détermination des tarifs réglementés de vente de l'électricité retenues par la Commission de régulation de l'énergie pour formuler ses propositions tarifaires du 7 février 2019.

7. En premier lieu, l'article L. 337-6 du code de l'énergie, cité au point 3, prévoit que les coûts d'approvisionnement entrant dans la détermination des tarifs réglementés sont le coût d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique et le coût du complément d'approvisionnement au prix de marché, sans définir les modalités de calcul ni le poids respectif de ces deux composantes. En prévoyant, au deuxième alinéa de l'article R. 337-19 du code de l'énergie, que le coût de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique doit être calculé en tenant compte, le cas échéant, de l'atteinte du volume global maximal d'électricité nucléaire historique susceptible d'être cédé par la société EDF, le pouvoir réglementaire s'est borné, sans excéder sa compétence, à préciser les modalités d'application de la loi, afin de permettre le maintien d'une concurrence tarifaire effective sur le marché de détail dans l'hypothèse d'une atteinte de ce volume maximal.

8. En deuxième lieu, le prix des achats supplémentaires effectués par un fournisseur-type sur le marché de gros du fait de l'atteinte du volume maximal d'électricité nucléaire historique susceptible d'être cédé par la société EDF, pris en compte par la Commission de régulation de l'énergie selon les modalités décrites au point 5, est inclus dans le coût du complément d'approvisionnement au prix de marché qui entre dans la composition des tarifs en application de l'article L. 337-6 du code de l'énergie. Par suite, le moyen tiré de ce que les tarifs auraient été calculés en prenant en compte un coût non prévu par la loi ne peut qu'être écarté.

9. En troisième lieu, la Commission de régulation de l'énergie s'est fondée, pour calculer les coûts associés à chaque option tarifaire, sur l'hypothèse d'un approvisionnement en électricité nucléaire historique réduit, par rapport au volume théorique correspondant au profil de consommation des clients concernés, à due proportion de l'écrêtement appliqué aux fournisseurs des clients aux offres de marché du fait de l'atteinte du volume global maximal d'électricité nucléaire historique susceptible de leur être cédé. En associant ainsi aux profils de consommation liés à chaque option tarifaire des droits d'approvisionnement en électricité nucléaire historique plus faibles que ceux qu'elle avait retenus lors de ses précédentes propositions tarifaires, la Commission n'a, contrairement à ce que soutiennent les associations requérantes, pas méconnu les articles L. 337-5 et L. 337-6 du code de l'énergie, lesquels ne comportent aucune prescription sur ce point.

10. En quatrième lieu, si l'objectif d'intérêt économique général de stabilité du prix de détail de l'électricité est susceptible de justifier la compatibilité des tarifs réglementés avec les objectifs poursuivis par la directive 2009/72/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité l'atteinte de cet objectif ne constitue pas une condition de la légalité des décisions par lesquelles les ministres chargés de l'économie et de l'énergie fixent ces tarifs en application des dispositions de l'article L. 337-4 du code de l'énergie citées au point 2. Par suite, les associations requérantes ne peuvent utilement soutenir que les décisions attaquées ont été prises en méconnaissance de cet objectif.

11. Enfin, les associations requérantes ne sauraient utilement soutenir, à l'appui de leur requête tendant à l'annulation de décisions fixant les tarifs réglementés de vente de l'électricité, que la CRE aurait méconnu les dispositions de l'article R. 336-39 du code de l'énergie, qui lui imposent, en cas de dépassement du volume global maximal d'électricité susceptible d'être cédé par la société EDF, d'établir un rapport sur les causes de cette situation ainsi que des propositions d'évolution de la méthode de répartition des quantités cédées entre les fournisseurs et de la méthode de calcul du complément de prix dû par un fournisseur dans le cas où les droits qui lui ont été alloués s'avèrent supérieurs aux droits correspondant à la consommation constatée de ses clients.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les associations UFC - Que Choisir et CLCV ne sont pas fondées à demander l'annulation des décisions qu'elles attaquent. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'intervention de la société EDF est admise.

Article 2 : La requête des associations UFC - Que choisir et CLCV est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée aux associations Union fédérale des consommateurs - Que Choisir et Consommation, Logement et Cadre de Vie, à la ministre de la transition écologique et solidaire, au ministre de l'économie et des finances, à la Commission de régulation de l'énergie et à la société Electricité de France.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

29-06-02-01-015 ENERGIE. MARCHÉ DE L'ÉNERGIE. TARIFICATION. ELECTRICITÉ. - FIXATION DES TARIFS RÉGLEMENTÉS DE VENTE DE L'ÉLECTRICITÉ (ART. L. 337-6 DU CODE DE L'ÉNERGIE) - COMPOSANTE RELATIVE AUX COÛTS D'APPROVISIONNEMENT - PRISE EN COMPTE DE L'ATTEINTE DU VOLUME GLOBAL MAXIMAL D'ÉLECTRICITÉ NUCLÉAIRE HISTORIQUE ATTRIBUABLE AUX FOURNISSEURS ALTERNATIFS (ART. R. 337-19) - LÉGALITÉ.

29-06-02-01-015 Le prix des achats supplémentaires effectués par un fournisseur-type sur le marché de gros du fait de l'atteinte du volume maximal d'électricité nucléaire historique susceptible d'être cédé par la société EDF est inclus dans le coût du complément d'approvisionnement au prix de marché qui entre dans la composition des tarifs en application de l'article L. 337-6 du code de l'énergie.... ,,En prévoyant, au deuxième alinéa de l'article R. 337-19 du code de l'énergie, que le coût de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique doit être calculé en tenant compte, le cas échéant, de l'atteinte du volume global maximal d'électricité nucléaire historique susceptible d'être cédé par la société EDF, le pouvoir réglementaire s'est borné, sans excéder sa compétence, à préciser les modalités d'application de la loi, afin de permettre le maintien d'une concurrence tarifaire effective sur le marché de détail dans l'hypothèse d'une atteinte de ce volume maximal.


Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 06 nov. 2019, n° 431902
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Céline Guibé
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Date de la décision : 06/11/2019
Date de l'import : 16/12/2019

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 431902
Numéro NOR : CETATEXT000039335908 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2019-11-06;431902 ?
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