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23/10/2019 | FRANCE | N°432657

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 23 octobre 2019, 432657


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le numéro 432657, par une requête enregistrée le 15 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le conseil de l'ordre des pharmaciens de la Polynésie française demande au Conseil d'Etat :

1°) de déclarer la " loi du pays " n° 2019-13 LP/APF du 6 juin 2019 modifiant les conditions de création des officines de pharmacie et certaines dispositions relatives à l'exercice de la pharmacie non conforme au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonom

ie de la Polynésie française ;

2°) de mettre à la charge de la Polynésie f...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le numéro 432657, par une requête enregistrée le 15 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le conseil de l'ordre des pharmaciens de la Polynésie française demande au Conseil d'Etat :

1°) de déclarer la " loi du pays " n° 2019-13 LP/APF du 6 juin 2019 modifiant les conditions de création des officines de pharmacie et certaines dispositions relatives à l'exercice de la pharmacie non conforme au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;

2°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le numéro 432658, par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 15 juillet 2019 et le 9 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat des pharmaciens de la Polynésie française et le syndicat des pharmaciens des îles et de Tahiti demandent au Conseil d'Etat :

1°) de déclarer la " loi du pays " n° 2019-13 LP/APF du 6 juin 2019 modifiant les conditions de création des officines de pharmacie et certaines dispositions relatives à l'exercice de la pharmacie non conforme au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;

2°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule, son article 1er et son article 74 ;

- la loi organique n°2004-192 du 27 février 2004 ;

- la délibération n° 88-153 AT du 20 octobre 1988 ;

- la délibération n° 2003-149/ APF du 9 septembre 2003 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Ramain, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, Robillot, avocat du conseil de l'ordre des pharmaciens de la Polynésie française, du syndicat des pharmaciens des iles et de Tahiti et du syndicat des pharmaciens de la Polynésie française ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 octobre 2019, présentée par le conseil de l'ordre des pharmaciens de la Polynésie française, le syndicat des pharmaciens de la Polynésie française et le syndicat des pharmaciens des iles et de Tahiti.

Considérant ce qui suit :

1. L'assemblée de la Polynésie française a adopté le 6 juin 2019, sur le fondement de l'article 140 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, la " loi du pays " n°2019-13 modifiant les conditions de création des officines de pharmacie et certaines dispositions relatives à l'exercice de la pharmacie, qui a été publiée pour information au Journal officiel de la Polynésie française le 14 juin 2019. Le conseil de l'ordre des pharmaciens de la Polynésie française, d'une part, le syndicat des pharmaciens de la Polynésie française et le syndicat des pharmaciens des îles et de Tahiti, d'autre part, ont saisi le Conseil d'Etat, sur le fondement des dispositions du II de l'article 176 de la loi organique, de deux requêtes tendant à ce que cette " loi du pays " soit déclarée non conforme au bloc de légalité défini au III de cet article. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur la légalité externe de la " loi du pays " contestée :

2. L'article 130 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française dispose que " tout représentant à l'assemblée de la Polynésie française a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires qui font l'objet d'un projet ou d'une proposition d'acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" ou d'autres délibérations./ A cette fin, les représentants reçoivent, douze jours au moins avant la séance pour un projet ou une proposition d'acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" et quatre jours au moins avant la séance pour un projet ou une proposition d'autre délibération, un rapport sur chacune des affaires inscrites à l'ordre du jour ". Aux termes du 2ème alinéa de l'article 78-1 du règlement intérieur de l'assemblée de la Polynésie française : " Les rapports visés à l'article 130 de la loi statutaire sont distribués, par voie électronique, sur le site intranet de l'assemblée auquel les représentants ont accès de manière sécurisée. Ils font obligatoirement l'objet d'un avis adressé par tout moyen à chacun des représentants. ".

3. Il ressort des pièces du dossier que le rapport de présentation du projet de la " loi du pays " contestée a été déposé et communiqué par la voie dématérialisée à l'ensemble des représentants de l'assemblée de la Polynésie française le 24 mai 2019, soit plus de douze jours avant la séance du 6 juin 2019 au cours de laquelle ce projet a été examiné par l'assemblée de la Polynésie française. Par suite, le moyen tiré de ce que la " loi du pays " contestée aurait été adoptée à l'issue d'une procédure irrégulière, faute de transmission dans les délais de son rapport de présentation, ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité interne de la " loi du pays " contestée :

En ce qui concerne les dispositions abaissant le seuil de population pour obtenir l'autorisation d'ouvrir une officine pharmaceutique :

4. L'article LP 10 de la " loi du pays " contestée dispose que " dans les communes d'une population inférieure à 5 000 habitants, il ne peut être délivré plus d'une licence d'officine de pharmacie. / L'ouverture d'une nouvelle officine dans une commune de plus de 5 000 habitants où une licence a déjà été accordée peut être autorisée par voie de création à raison d'une autorisation par tranche entière supplémentaire de 5 000 habitants recensés dans la commune pour la deuxième officine et à raison d'une autorisation par tranche supplémentaire de 7 000 habitants pour les suivantes, à l'exception de la commune de Papeete ". Les requérants soutiennent que l'abaissement, opérée par cette disposition, du seuil de 7 000 à 5 000 habitants pour l'ouverture d'une deuxième officine méconnait le droit à la protection de la santé et porte atteinte à la liberté d'entreprendre.

5. En premier lieu, en vertu du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, la Nation " garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ".

6. Il ressort des pièces du dossier que la Polynésie française est le territoire français disposant de la couverture en officines pharmaceutiques la plus faible. En abaissant le seuil permettant l'ouverture d'une deuxième officine de pharmacie dans une commune, les dispositions attaquées, loin de méconnaitre le droit à la protection de la santé, permettront au contraire d'améliorer l'accès aux produits pharmaceutiques en Polynésie française. Ainsi, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que ces dispositions méconnaissent le droit à la protection de la santé.

7. En second lieu, en abaissant le seuil permettant l'ouverture d'une deuxième officine pharmaceutique dans une commune, les dispositions attaquées de l'article LP 10 de la " loi du pays ", loin d'apporter des limitations à la liberté d'entreprendre, contribueront, au contraire, en facilitant l'ouverture de nouvelles officines à renforcer la concurrence sur ce marché. En se bornant à soutenir que la création de nouvelles pharmacies retardera l'installation des jeunes diplômés et renchérira le prix de vente des officines, les requérants ne justifient pas de ce que ces dispositions porteraient atteinte à la liberté d'entreprendre, garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

En ce qui concerne les dispositions prévoyant la possibilité pour les titulaires d'une officine pharmaceutique d'ouvrir des locaux secondaires :

8. L'article LP 10 de la " loi du pays " contestée dispose que " dans les îles dépourvues d'officine, afin de faciliter l'approvisionnement en médicaments de la population, un pharmacien titulaire d'une licence d'officine peut être autorisé à créer un local secondaire sur un site géographique distant d'au moins 15 kilomètres, par voies de circulation routières publiques (...), de tout local secondaire situé dans l'île s'il en existe. Toute autorisation de création de local secondaire est caduque dès l'ouverture dans l'île d'une officine de pharmacie. Toute nouvelle demande de création de local secondaire peut être effectuée dans les conditions prévues à l'alinéa précédent. Un pharmacien titulaire d'une licence d'officine nouvellement créée dans une île ou une commune précédemment dépourvue d'officine, bénéficie d'une exclusivité pour déposer une demande de création d'un local secondaire, dans l'île ou la commune où il est installé, durant les trois ans qui suivent l'ouverture effective au public ". Les requérants soutiennent que la possibilité d'ouvrir des locaux secondaires méconnait le droit à la protection de la santé et porte atteinte à la liberté d'entreprendre.

9. En premier lieu, en se bornant à soutenir que seuls les grands groupes auront la capacité financière d'ouvrir des locaux secondaires dans les îles dépourvues de pharmacie alors que cette possibilité est ouverte à l'ensemble des titulaires d'une officine, les requérants ne justifient pas de ce que la possibilité de créer des locaux secondaires porterait atteinte à la liberté d'entreprendre.

10. En second lieu, l'article 32 de la délibération du 20 octobre 1988 relative à certaines dispositions concernant l'exercice de la pharmacie dispose que " Le pharmacien titulaire d'une officine doit exercer personnellement sa profession. / En toute circonstance, les médicaments doivent être préparés par un pharmacien ou sous la surveillance directe d'un pharmacien ". Aux termes de l'article 33 de cette délibération, " une officine ne peut rester ouverte en l'absence de son titulaire que si celui-ci s'est fait régulièrement remplacer ". L'article LP 17 de la " loi du pays " contestée dispose que la création d'un local secondaire " ne fait pas obstacle à l'exercice personnel du pharmacien titulaire prévue à l'article 32 " de la délibération du 20 octobre 1988.

11. Les dispositions de l'article LP 10 de la " loi du pays " contestée, citées au point 8, ont pour objet de faciliter l'accès aux produits pharmaceutiques en permettant la création de locaux secondaires dans les îles dépourvues d'officine pharmaceutique. Dès lors qu'il résulte des dispositions, citées au point 12, de la délibération du 20 octobre 1988 que les locaux secondaires fonctionnent sous la responsabilité personnelle du pharmacien titulaire de l'officine principale, que les médicaments qui y sont préparés le sont soit par un pharmacien, soit sous sa surveillance directe et que ces locaux ne peuvent rester ouverts qu'en présence d'un pharmacien, les dispositions de l'article LP 10 de la " loi du pays ", en permettant la création de locaux secondaires, ne sauraient être regardées comme méconnaissant le droit à la protection de la santé.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par l'assemblée de la Polynésie française, que les requérants ne sont pas fondés à demander au Conseil d'Etat de déclarer illégales les dispositions de la " loi du pays " qu'ils attaquent. Leurs requêtes doivent être rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes du conseil de l'ordre des pharmaciens de la Polynésie française, d'une part, et du syndicat des pharmaciens de la Polynésie française et du syndicat des pharmaciens des îles et de Tahiti, d'autre, part sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au conseil de l'ordre des pharmaciens de la Polynésie française, au syndicat des pharmaciens de la Polynésie française, au syndicat des pharmaciens des îles et de Tahiti, au président de la Polynésie française, au président de l'assemblée de la Polynésie française et au haut-commissaire de la République en Polynésie française.

Copie en sera adressée à la ministre des outre-mer.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 432657
Date de la décision : 23/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 oct. 2019, n° 432657
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Pierre Ramain
Rapporteur public ?: M. Alexandre Lallet
Avocat(s) : SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT, ROBILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:432657.20191023
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