La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/10/2019 | FRANCE | N°419169

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 21 octobre 2019, 419169


Vu la procédure suivante :

Par une requête, deux nouveaux mémoires et deux mémoires en réplique, enregistrés les 21 mars, 27 juillet, 15 octobre et 13 novembre 2018 et le 15 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Takeda France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 8 novembre 2017 par laquelle la ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont refusé d'inscrire la spécialité ADCETRIS, dans son extension d'indication pour le traitement du lymphome h

odgkinien CD30 positif chez les patients adultes ayant un risque accru de ré...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, deux nouveaux mémoires et deux mémoires en réplique, enregistrés les 21 mars, 27 juillet, 15 octobre et 13 novembre 2018 et le 15 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Takeda France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 8 novembre 2017 par laquelle la ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont refusé d'inscrire la spécialité ADCETRIS, dans son extension d'indication pour le traitement du lymphome hodgkinien CD30 positif chez les patients adultes ayant un risque accru de récidive ou de progression après une greffe autologue de cellules souches, sur la liste des spécialités pharmaceutiques mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé par lettre du 23 novembre 2017 ;

2°) d'enjoindre à la ministre des solidarités et de la santé et au ministre de l'action et des comptes publics de procéder, dans un délai de 15 jours à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard, à l'inscription de la spécialité ADCETRIS, dans cette extension d'indication, sur la liste mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale, ou, à défaut, de réexaminer sa demande d'inscription ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 octobre 2019, présentée par la ministre des solidarités et de la santé ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale : " I. - L'Etat fixe, sur demande du titulaire de l'autorisation de mise sur le marché ou à l'initiative des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, la liste des spécialités pharmaceutiques bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché dispensées aux patients dans les établissements de santé mentionnés à l'article L. 162-22-6 qui peuvent être prises en charge, sur présentation des factures, par les régimes obligatoires d'assurance maladie en sus des prestations d'hospitalisation mentionnées au 1° du même article (...). Cette liste précise les seules indications thérapeutiques ouvrant droit à la prise en charge des médicaments en sus des prestations d'hospitalisation mentionnées à l'article L. 162-22-6 (...) ". Aux termes du I de l'article R. 162-37 du même code : " La liste des spécialités pharmaceutiques prévue à l'article L. 162-22-7 et leurs conditions de prise en charge sont fixées par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ". Le I de l'article R. 162-37-2 du même code dispose que : " L'inscription d'une ou plusieurs indications d'une spécialité pharmaceutique bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché sur la liste mentionnée à l'article L. 162-22-7 est subordonnée au respect de l'ensemble des conditions suivantes : / 1° La spécialité, dans la ou les indications considérées, est susceptible d'être administrée majoritairement au cours d'hospitalisations mentionnées au 1° de l'article R. 162-33-1 ; / 2° Le niveau de service médical rendu de la spécialité dans la ou les indications considérées, apprécié au regard des critères mentionnés au I de l'article R. 162-37-3 est majeur ou important ; / 3° Le niveau d'amélioration du service médical rendu de la spécialité dans la ou les indications considérées, apprécié au regard des critères mentionnés au II de l'article R. 162-37-3 est majeur, important ou modéré. Il peut être mineur si l'indication considérée présente un intérêt de santé publique et en l'absence de comparateur pertinent. Il peut être mineur ou absent lorsque les comparateurs pertinents sont déjà inscrits sur la liste ; / 4° Un rapport supérieur à 30 % entre, d'une part, le coût moyen estimé du traitement dans l'indication thérapeutique considérée par hospitalisation et, d'autre part, les tarifs de la majorité des prestations dans lesquelles la spécialité est susceptible d'être administrée dans l'indication considérée, mentionnés au 1° de l'article L. 162-22-10 et applicables l'année en cours. (...) ". L'article R. 162-37-3 du même code précise que : " I. - L'appréciation du service médical rendu mentionné au 2° du I de l'article R. 162-37-2 prend en compte l'efficacité et les effets indésirables du médicament, sa place dans la stratégie thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles, la gravité de l'affection à laquelle il est destiné, le caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux et son intérêt pour la santé publique. / II. - L'appréciation de l'amélioration du service médical rendu mentionnée au 3° du I de l'article R. 162-37-2 s'appuie sur une comparaison du médicament, en termes de service médical rendu, avec tous les comparateurs pertinents au regard des connaissances médicales avérées que sont les médicaments, les produits, les actes et les prestations. / III. - Pour apprécier le service médical rendu et l'amélioration du service médical rendu il est tenu compte de l'évaluation mentionnée à l'article R. 163-18 de la commission prévue à l'article L. 5123-3 du code de la santé publique ", c'est-à-dire la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé. Enfin, en vertu de l'article R. 162-37-5 du même code, les décisions portant refus d'inscription sur la liste mentionnée à l'article L. 162-22-7 sont notifiées à l'entreprise avec la mention des motifs de ces décisions.

2. Par une décision du 8 novembre 2017, la ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont refusé d'inscrire sur la liste des spécialités pharmaceutiques prévue à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale, dite " liste en sus ", la spécialité ADCETRIS 50 mg, poudre pour solution à diluer pour perfusion, dont le principe actif est le brentuximab vedotin, dans l'indication de traitement du lymphome hodgkinien CD30 positif chez les patients adultes ayant un risque accru de récidive ou de progression après une greffe autologue de cellules souches. La société Takeda France, qui exploite la spécialité en France, demande l'annulation de cette décision pour excès de pouvoir.

3. Il ressort des pièces du dossier que, dans sa première indication, pour laquelle elle a obtenu une autorisation européenne de mise sur le marché conditionnelle le 25 octobre 2012, la spécialité ADCETRIS est un traitement de troisième ligne pour les patients adultes atteints d'un lymphome hodgkinien CD30 positif qui s'est révélé récidivant ou réfractaire après un traitement de première ligne, qui consiste en une poly-chimiothérapie éventuellement suivie d'une radiothérapie, puis un traitement de deuxième ligne, qui comprend, le plus souvent, une nouvelle poly-chimiothérapie associée à une greffe autologue de cellules souches hématopoïétiques, dite autogreffe. Dans cette indication, la spécialité ADCETRIS, dont le service médical rendu a été évalué comme important, sans comparateur pertinent, a d'abord été inscrite, par arrêté du 26 juin 2013 des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, sur la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités mentionnée à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, puis, par un arrêté du 2 juillet 2013 des mêmes ministres, sur la liste des spécialités facturables en sus des prestations d'hospitalisation.

4. Dans son extension d'indication, pour laquelle elle a obtenu une modification de son autorisation européenne de mise sur le marché le 24 juin 2016, la spécialité ADCETRIS est un traitement de consolidation de la première ligne de traitement pour les patients adultes ayant un risque accru de récidive ou de progression de la maladie après une autogreffe, définis comme ayant soit un antécédent de maladie réfractaire à la chimiothérapie, soit une rechute ou une progression de la maladie dans les douze mois suivant le traitement de première ligne, soit enfin une atteinte extra-ganglionnaire au moment de la rechute avant l'autogreffe. Dans cette extension d'indication, la spécialité ADCETRIS, dont le service médical rendu a également été évalué comme important, sans comparateur pertinent, a été inscrite sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités par un arrêté du 12 juin 2017. Par la décision attaquée, les ministres se sont approprié l'appréciation portée par la commission de la transparence de la Haute autorité de santé dans son avis du 3 mai 2017 et ont refusé l'inscription demandée sur la liste des spécialités facturables en sus des prestations d'hospitalisation au motif que, dans cette extension d'indication, la spécialité ADCETRIS, dont il n'est pas contesté qu'elle n'a pas de comparateur pertinent, présente une amélioration du service médical rendu mineure sans comporter d'intérêt de santé publique et que, par suite, elle ne remplit pas la condition, parmi celles, cumulatives, énumérées à l'article R. 162-37 du code de sécurité sociale, énoncée au 3° du I de cet article. La société requérante critique cette appréciation uniquement en tant qu'elle refuse de reconnaître un intérêt de santé publique à l'extension d'indication de la spécialité ADCETRIS.

5. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que, pour apprécier l'intérêt de santé publique de l'indication considérée, la commission de la transparence, dont les ministres pouvaient, sans erreur de droit, décider de suivre l'avis rendu sur ce point à l'occasion de l'appréciation du service médical rendu, a pris en considération, conformément aux éléments figurant dans le rapport d'activité de la Haute Autorité de santé pour 2016, le besoin de santé publique, l'impact du médicament sur la santé de la population et son impact sur l'organisation du système de soins. Pour dénier un intérêt de santé publique à l'extension d'indication considérée, en dépit de la gravité de la pathologie et de l'existence d'un besoin médical mal couvert, elle a relevé " l'incidence de ces patients à ce stade de la maladie estimée à environ 110 nouveaux patients par an ", " l'absence de réponse au besoin médical identifié ", du fait de l'absence d'impact de la spécialité sur la morbidité et la mortalité des patients concernés, et " l'impact potentiellement négatif d'ADCETRIS dans le cadre d'un traitement d'entretien sur la qualité de vie des patients ".

6. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que les données disponibles à la date de la décision attaquée montraient que l'administration de la spécialité dans l'extension d'indication permettait un allongement de la survie sans progression de la maladie, qui est un indice de la morbidité de la population concernée, supérieur à 18 mois pour la médiane des patients par rapport au bras placebo, sans que des données relatives au gain de survie globale soient encore disponibles, et que le traitement par ADCETRIS dans cette indication, administré en séjour hospitalier ambulatoire, à raison d'une fois toutes les trois semaines, sur une période d'environ un an, permettait aux patients concernés, notamment les plus jeunes, de poursuivre une activité normale, contrairement aux traitements de deuxième et de troisième lignes décrits au point 3. Au vu de ces éléments, la commission de la transparence ne pouvait, sans erreur manifeste, retenir que la spécialité n'avait pas d'impact sur la morbidité des patients concernés et avait un impact négatif sur leur qualité de vie. En outre, si la prévalence d'une maladie peut être prise en considération dans l'appréciation de l'intérêt de santé publique d'une spécialité, le faible nombre de patients concernés ne peut, à lui seul, justifier qu'un tel intérêt lui soit dénié. Dans ces conditions, les ministres ne pouvaient déduire des éléments mentionnés par la commission de la transparence dans son avis que la spécialité ADCETRIS ne présentait pas d'intérêt de santé publique dans l'extension d'indication considérée. Par suite, la société requérante est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête, à demander l'annulation pour ce motif de la décision de refus d'inscription sur la liste mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale, ainsi que de la décision la confirmant sur recours gracieux.

7. Il y a lieu d'enjoindre à la ministre des solidarités et de la santé et au ministre chargé de l'action et des comptes publics, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, de réexaminer la demande d'inscription de la spécialité ADCETRIS, dans son extension d'indication pour le traitement du lymphome hodgkinien CD30 positif chez les patients adultes ayant un risque accru de récidive ou de progression après une greffe autologue de cellules souches, sur la liste des spécialités pharmaceutiques mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 3 000 euros, à verser à la société Takeda France, à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision du 8 novembre 2017 de la ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'action et des comptes publics, ainsi que la décision la confirmant sur recours gracieux, sont annulées.

Article 2 : Il est enjoint à la ministre des solidarités et de la santé et au ministre chargé de l'action et des comptes publics, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, de réexaminer la demande d'inscription de la spécialité ADCETRIS, dans son extension d'indication pour le traitement du lymphome hodgkinien CD30 positif chez les patients adultes ayant un risque accru de récidive ou de progression après une greffe autologue de cellules souches, sur la liste des spécialités pharmaceutiques mentionnée à l'article L. 162-22- 7 du code de la sécurité sociale.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la société Takeda France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Takeda France est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Takeda France, à la ministre des solidarités et de la santé et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée à la Haute Autorité de santé.


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 419169
Date de la décision : 21/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 oct. 2019, n° 419169
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir
Rapporteur public ?: Mme Marie Sirinelli

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:419169.20191021
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award