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20/09/2019 | FRANCE | N°418842

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 20 septembre 2019, 418842


Vu la procédure suivante :

M. D... A... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du 20 juillet 2017 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours contre les décisions de l'autorité consulaire de Conakry (Guinée) de refus de délivrance des visas de long séjour sollicités pour Mme B... et l'enfant E... A..., en qualité de membres de famille d'un r

fugié statutaire, et, d'autre part, de lui enjoindre de réexaminer ...

Vu la procédure suivante :

M. D... A... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du 20 juillet 2017 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours contre les décisions de l'autorité consulaire de Conakry (Guinée) de refus de délivrance des visas de long séjour sollicités pour Mme B... et l'enfant E... A..., en qualité de membres de famille d'un réfugié statutaire, et, d'autre part, de lui enjoindre de réexaminer ces demandes dans un délai de 15 jours.

Par une ordonnance n° 1800441 du 2 février 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs demandes.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique enregistrés les 7 mars, 23 mars et 13 novembre 2018 et le 30 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de suspendre la décision de rejet du 20 juillet 2017 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre le réexamen des demandes de visas dans un délai de 15 jours à compter de la décision à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Carine Chevrier, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Zribi et Texier, avocat de M. A... et autre ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. D... A..., né le 25 décembre 1991 en Guinée et entré en France en octobre 2013, a obtenu le statut de réfugié le 13 juillet 2015. L'autorité consulaire française à Conakry (Guinée), a rejeté implicitement sa demande du 20 juin 2016 tendant à la délivrance, au titre de la réunification familiale, de visas de long séjour pour Mme C... B..., présentée comme son épouse, et pour M E... A..., né le 15 septembre 2010, présenté comme leur fils. Par décision du 19 juillet 2017, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours contre ces refus de visas. Par une ordonnance du 2 février 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. A... et de Mme B... tendant à la suspension de l'exécution de la décision précitée du 19 juillet 2017. Ces derniers se pourvoient en cassation contre cette ordonnance.

Sur le pourvoi :

3. D'une part, le I de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, dispose que : " I - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans (...) ". Le II du même article dispose que : " (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ".

4. D'autre part, l'article L. 721-3 du même code dispose que : " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil. Le directeur général de l'office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine. Les pièces délivrées par l'office ne sont pas soumises à l'enregistrement ni au droit de timbre ".

5. Enfin, aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ", ce dernier disposant que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

6. Il résulte des dispositions citées aux points 3 à 5 que les actes établis par l'Office français des réfugiés et des apatrides sur le fondement des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en cas d'absence d'acte d'état civil ou de doute sur leur authenticité, et produits à l'appui d'une demande de visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, présentée pour les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire dans le cadre d'une réunification familiale, ont, dans les conditions qu'elles prévoient, valeur d'actes authentiques qui fait obstacle à ce que les autorités consulaires en contestent les mentions, sauf en cas de fraude à laquelle il appartient à l'autorité administrative de faire échec.

7. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que les requérants avaient, à l'appui de leurs demandes devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, fourni deux actes établis par l'Office français des réfugiés et des apatrides en application de l'article L. 721-3 précité, le premier à la date du 27 mai 2016 étant un livret de famille mentionnant leur mariage sans comporter de mention de l'enfant et le second, à la date du 24 octobre 2016, un extrait de certificat de mariage. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a cependant procédé à la vérification de la réalité des liens maritaux et filiaux en se fondant seulement sur les actes d'état civil guinéen, qu'elle a estimé irréguliers, sans tenir compte des actes établis par l'Office français des réfugiés et des apatrides sur le fondement de l'article L. 721-3 précité et sans pour autant faire état d'une fraude. Par suite, le juge des référés a commis une erreur de droit en jugeant qu'en l'état de l'instruction, le moyen tiré de ce que la commission ne pouvait, sans établir l'existence d'une fraude, ne pas tenir compte des actes établis par l'Office français des réfugiés et des apatrides n'était pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.

8. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, M. A... et Mme B... sont fondés à demander l'annulation de l'ordonnance du 2 février 2018 attaquée.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la demande de suspension :

10. Il résulte de l'instruction que la condition d'urgence, eu égard à l'objectif de réunification familiale, de l'âge de l'enfant, du délai de la séparation au cas d'espèce, le père ayant quitté le territoire en octobre 2013, et du fait que les demandes de visa étaient intervenues moins d'un an après l'obtention du statut de réfugié, doit être regardée comme remplie.

11. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le moyen tiré de ce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ne pouvait, sans établir l'existence d'une fraude, ne pas tenir compte de l'existence des actes établis par l'Office français des réfugiés et des apatrides, est de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande, que les requérants sont fondés à demander la suspension de la décision attaquée.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

13. La présente décision implique que la demande de visas formée par M. A... et Mme B... soit réexaminée. Par suite, il y a lieu d'enjoindre à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France de procéder à ce réexamen dans un délai d'un mois à compter de la présente décision.

Sur les conclusions relatives aux dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative pour la procédure en cassation et la somme de 1 000 au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que son avocat renonce à la part contributive de l'Etat pour la procédure engagée devant le tribunal administratif.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 2 février 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes est annulée.

Article 2 : L'exécution de la décision du 20 juillet 2017 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est suspendue.

Article 3 : Il est enjoint à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France de réexaminer les demandes de visas dans un délai d'un mois.

Article 4 : L'Etat versera aux requérants une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative pour la procédure en cassation et la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que son avocat renonce à la part contributive de l'Etat pour la procédure engagée devant le tribunal administratif.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. D... A..., premier requérant dénommé, et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 418842
Date de la décision : 20/09/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-05 - COMPÉTENCE DE L'OFPRA POUR ÉTABLIR DES PIÈCES TENANT LIEU D'ACTES D'ÉTAT CIVIL (ART. L. 721-3 DU CESEDA) - ACTES ET DOCUMENTS AINSI ÉTABLIS AYANT VALEUR D'ACTES AUTHENTIQUES - CONSÉQUENCE - AUTORITÉS CONSULAIRES NE POUVANT EN CONTESTER LES MENTIONS, SAUF FRAUDE.

095-05 Il résulte des I et II de l'article L. 752-1, de l'article L. 721-3 et de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) que les actes établis par l'Office français des réfugiés et des apatrides (OFPRA) sur le fondement de l'article L. 721-3, en cas d'absence d'acte d'état civil ou de doute sur leur authenticité, et produits à l'appui d'une demande de visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, présentée pour les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire dans le cadre d'une réunification familiale, ont, dans les conditions qu'elles prévoient, valeur d'actes authentiques qui fait obstacle à ce que les autorités consulaires en contestent les mentions, sauf en cas de fraude à laquelle il appartient à l'autorité administrative de faire échec.


Publications
Proposition de citation : CE, 20 sep. 2019, n° 418842
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Carine Chevrier
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe
Avocat(s) : SCP ZRIBI, TEXIER

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:418842.20190920
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