La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/08/2019 | FRANCE | N°417958

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre jugeant seule, 21 août 2019, 417958


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 417958, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 février et 22 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre régionale des huissiers de justice du Nord-Pas-de-Calais demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 décembre 2017 pris en application de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques pour la profession d'huissier de justice ;

2°) de mettre à la charge de l'Eta

t la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrat...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 417958, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 février et 22 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre régionale des huissiers de justice du Nord-Pas-de-Calais demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 décembre 2017 pris en application de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques pour la profession d'huissier de justice ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 418005, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 février 2018 et 24 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre régionale des huissiers de justice de la cour d'appel de Bordeaux demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 décembre 2017 pris en application de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques pour la profession d'huissier de justice ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le n° 418008, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 février 2018 et 4 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre départementale et régionale des huissiers de justice de Paris demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 décembre 2017 pris en application de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques pour la profession d'huissier de justice ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

4° Sous le n° 418056, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 février et 20 décembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel d'Aix-en-Provence demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 décembre 2017 pris en application de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques pour la profession d'huissier de justice ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

5° Sous le n° 418179, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 février 2018 et 24 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre interdépartementale des huissiers de justice des îles de La Réunion et Mayotte demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 décembre 2017 pris en application de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques pour la profession d'huissier de justice ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

6° Sous le n° 418736, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 mars 2018 et 24 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel de Lyon demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 décembre 2017 pris en application de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques pour la profession d'huissier de justice ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le code de commerce ;

- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;

- l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 ;

- le décret n° 56-222 du 29 février 1956 ;

- le décret n° 2016-216 du 26 février 2016 ;

- le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Coralie Albumazard, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Balat, avocat de la Chambre régionale des huissiers de justice du Nord-Pas-de-Calais ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes nos 417958, 418005, 418008, 418056, 418179 et 418736 présentant à juger des questions semblables, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques : " I. - (...) les huissiers de justice (...) peuvent librement s'installer dans les zones où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services./ Ces zones sont déterminées par une carte établie conjointement par les ministres de la justice et de l'économie, sur proposition de l'Autorité de la concurrence en application de l'article L. 462-4-1 du code de commerce. Elles sont définies de manière détaillée au regard de critères précisés par décret, parmi lesquels une analyse démographique de l'évolution prévisible du nombre de professionnels installés./ A cet effet, cette carte identifie les secteurs dans lesquels, pour renforcer la proximité ou l'offre de services, la création de nouveaux offices d'huissiers de justice (...) apparaît utile./ Afin de garantir une augmentation progressive du nombre d'offices à créer, de manière à ne pas bouleverser les conditions d'activité des offices existants, cette carte est assortie de recommandations sur le rythme d'installation compatible avec une augmentation progressive du nombre de professionnels dans la zone concernée./ Cette carte est rendue publique et révisée tous les deux ans./ II. - Dans les zones mentionnées au I, lorsque le demandeur remplit les conditions de nationalité, d'aptitude, d'honorabilité, d'expérience et d'assurance requises pour être nommé en qualité d'huissier de justice (...), le ministre de la justice le nomme titulaire de l'office d'huissier de justice (...) créé. Un décret précise les conditions d'application du présent alinéa (...) ". Le I de l'article 1er du décret du 26 février 2016 relatif à l'établissement de la carte instituée par ces dispositions dispose que : " Pour chacune des professions de notaire, d'huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire, l'Autorité de la concurrence propose au ministre de la justice et au ministre chargé de l'économie une carte identifiant les zones, mentionnées au I de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 susvisée, où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de service de ces professions, au regard des critères suivants : / 1° Critères permettant d'évaluer le niveau et les perspectives d'évolution de l'offre de service : / - nombre et localisation des offices installés ; / - chiffre d'affaires global de ces offices et celui réalisé par chacun d'entre eux sur les cinq dernières années, en distinguant les montants respectifs des émoluments et des honoraires ; / - nombre de professionnels nommés dans ces offices (titulaires, associés, salariés) ; / - nombre et localisation des offices vacants ; / âge des professionnels en exercice ; / 2° Critères permettant d'évaluer le niveau et les perspectives d'évolution de la demande : / - caractéristiques démographiques et tendance de leur évolution ; / - évolutions significatives de la situation économique ayant une incidence directe sur l'activité des professionnels, dont l'évolution : (...) - s'agissant des huissiers de justice : de l'activité des juridictions civiles et pénales, et du marché immobilier locatif ; ". Aux termes du II de ce même article : " Les zones mentionnées au I doivent être délimitées en tenant compte de la localisation géographique des usagers auxquels les professionnels fournissent habituellement des prestations et du lieu d'exécution de la prestation." Il résulte de ces dispositions que l'Autorité de la concurrence émet une recommandation de carte identifiant les zones où l'implantation d'offices d'huissiers de justice apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de service, sur la base de laquelle les ministres chargés de la justice et de l'économie arrêtent la carte prévue au I de l'article 52 de la loi du 6 août 2015.

3. A la suite de l'intervention du décret du 26 février 2016 relatif à l'établissement de la carte instituée par le I de l'article 52 précité, l'Autorité de la concurrence a, par un avis n° 16-A-25 du 20 décembre 2016, proposé une carte des zones d'implantation, assortie de recommandations sur le rythme de création de nouveaux offices d'huissiers de justice. Par un arrêté du 28 décembre 2017, la garde des sceaux, ministre de la justice et le ministre de l'économie et des finances ont établi la carte d'installation des huissiers de justice pour une période de deux ans. La Chambre régionale des huissiers de justice du Nord-Pas de Calais, la Chambre régionale des huissiers de justice de la cour d'appel de Bordeaux, la Chambre départementale et régionale des huissiers de justice de Paris, la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, la Chambre interdépartementale des huissiers de justice des îles de la Réunion et Mayotte et la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel de Lyon demandent l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué :

4. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces des dossiers, notamment pas de la circonstance que les ministres chargés de la justice et de l'économie ont choisi de suivre les propositions de l'Autorité de la concurrence en ce qui concerne la délimitation des zones dites d'installation libre et d'installation contrôlée ainsi que les recommandations relatives au nombre de créations d'offices et d'objectifs de nominations d'huissiers de justice titulaires et associés dans chaque zone dite d'installation libre, que les auteurs de l'arrêté attaqué se soient crus liés par ces propositions et aient ainsi méconnu l'étendue de leur compétence. Dès lors, le moyen tiré de ce que les auteurs de l'arrêté attaqué auraient méconnu leur propre compétence doit être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 462-4-1 du code de commerce dans sa rédaction issue de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 : " L'ouverture d'une procédure visant à l'élaboration de la carte mentionnée au deuxième alinéa du présent article est rendue publique, dans un délai de cinq jours à compter de la date de cette ouverture, afin de permettre aux associations de défense des consommateurs agréées au niveau national pour ester en justice, aux instances ordinales des professions concernées, ainsi qu'à toute personne remplissant les conditions de nationalité, d'aptitude, d'honorabilité, d'expérience et d'assurance requises pour être nommée par le ministre de la justice en qualité de notaire, d'huissier de justice ou de commissaire-priseur judiciaire, d'adresser à l'Autorité de la concurrence leurs observations. " En application de ces dispositions, l'Autorité de la concurrence a, le 29 février 2016, lancé une consultation publique dans le cadre de la préparation de son avis sur la liberté d'installation des notaires, huissiers de justice et commissaires priseurs et mis en ligne sur son site internet un communiqué invitant les acteurs intéressés à lui adresser leurs observations avant le 31 mars 2016. D'une part, le délai de cinq jours imparti à l'Autorité de la concurrence par le texte qui vient d'être cité pour rendre publique l'ouverture de la procédure d'élaboration de la carte n'est pas prescrit à peine d'irrégularité de son avis. Par suite, le moyen tiré de ce qu'il n'est pas établi que ce délai a été respecté doit, en tout état de cause, être écarté. D'autre part, il ne ressort pas des pièces des dossiers, eu égard notamment au nombre d'observations reçues, à leur caractère détaillé et à la diversité des contributeurs, que le délai d'un mois ouvert pour cette consultation aurait été insuffisant. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'arrêté serait intervenu au terme d'une procédure irrégulière faute d'avoir été précédé d'une consultation permettant à tous les acteurs concernés de faire connaître leurs observations doit être écarté.

Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué :

En ce qui concerne les moyens dirigés contre l'arrêté en son entier :

6. En premier lieu, les dispositions précitées du II de l'article 1er du décret du 26 février 2016 imposent que la délimitation des zones d'installation des professionnels tienne compte de la localisation géographique des usagers auxquels ils fournissent habituellement des prestations et du lieu d'exécution de la prestation. L'arrêté attaqué retient, pour la délimitation de ces zones, l'échelon départemental. Il ressort des énonciations de l'avis de l'Autorité de la concurrence du 20 décembre 2016, qui préconisait ce choix, que le zonage départemental, identifié comme l'échelon le plus pertinent dans la majorité des contributions formulées lors de la consultation publique, permet de tenir compte de la localisation géographique effective des huissiers de justice et de celle des justiciables auprès desquels ils peuvent intervenir dans une limite de temps et de coût raisonnable et que la plupart des offices d'huissiers de justice ont adapté leur organisation, notamment en mutualisant leurs ressources, pour être en mesure de couvrir l'ensemble de leur département. Par ailleurs, la faculté pour les huissiers de transférer leur office sur simple déclaration au sein d'une zone dite de libre installation définie à l'échelle du département, le cas échéant d'un espace rural vers un centre urbain, n'est pas de nature à compromettre l'objectif de renforcement de la proximité et de l'offre de service poursuivi par l'article 52 de la loi du 6 août 2015, qui s'apprécie au niveau des zones auxquelles il renvoie. Par suite, c'est à bon droit et sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation que les auteurs de l'arrêté attaqué ont retenu le département comme zone au sein de laquelle est appréciée la nécessité de renforcer la proximité ou l'offre de service afin de délimiter les zones d'installation des offices d'huissiers de justice.

7. En deuxième lieu, le I de l'article 1er du décret du 26 février 2016, rappelé au point 2, énumère des critères pertinents pour identifier les zones où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de service des huissiers de justice. Il appartient à l'autorité administrative, sur ce fondement, de prendre en considération ces critères seuls ou combinés, sans pouvoir en retenir d'autres, dès lors qu'ils lui permettent de satisfaire aux objectifs poursuivis par le dispositif prévu à l'article 52 de la loi du 6 août 2015 précitée. Ainsi, elle n'est pas tenue de prendre en considération tous les critères prévus au I de l'article 1er du décret du 26 février 2016 si les critères retenus lui permettent de satisfaire à ces objectifs.

8. Il ressort des pièces des dossiers que la carte des zones d'installation libre et les recommandations de créations d'offices sont fondées sur l'application d'un premier seuil de chiffre d'affaires moyen par huissier de justice libéral de 325 000 euros, au-delà duquel la taille du marché dans la zone concernée est considérée comme suffisante pour permettre l'installation de nouveaux professionnels, et d'un deuxième seuil visant à garantir que le chiffre d'affaires moyen des offices existants ne subira pas, du fait de ces nouvelles installations et compte tenu de la fusion engagée des professions d'huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire, une baisse de plus de 35 %. Il ressort des pièces des dossiers que les critères du chiffre d'affaires par huissier de justice libéral et de la croissance démographique permettent d'évaluer les perspectives d'évolution de l'offre et de la demande de services pour cette profession, sans qu'il soit nécessaire de se fonder également sur les autres critères énumérés par le décret du 26 février 2016. Contrairement à ce qui est soutenu, il a été tenu compte, pour l'établissement des projections de chiffres d'affaires, des baisses tarifaires découlant de réformes récentes ainsi que de l'impact de la fusion engagée des professions d'huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire. En revanche, il ressort des pièces des dossiers que la prise en compte des huissiers de justice salariés pour le calcul du chiffre d'affaires moyen par huissier irait à l'encontre de l'objectif de favoriser l'installation de nouveaux professionnels libéraux. Par ailleurs, le choix d'un indicateur de chiffre d'affaires brut permet d'éviter des biais liés tant aux différences de mode d'imposition entre les offices qu'à la qualité de leur gestion ; le choix de ne pas exclure le chiffre d'affaires résultant des activités concurrentielles, dont la part est le plus souvent minoritaire, permet de tenir compte des opportunités de diversification de l'activité ; la méthode employée ne nécessitait pas de traiter de façon distincte l'activité réalisée dans des bureaux annexes. Enfin, la méthode appliquée tient compte de l'objectif tendant à empêcher un bouleversement de l'activité des offices existants, en ce qu'elle veille à plafonner à 35% la perte moyenne de chiffre d'affaires des offices existants liée à l'installation de nouveaux professionnels. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que les critères employés pour déterminer les zones dites d'installation libre et d'installation contrôlée seraient entachés d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 doit être écarté.

9. En troisième lieu, d'une part, l'objectif tendant à éviter un bouleversement de l'activité des offices existants a été pris en compte tant pour la détermination des zones d'installation, comme il a été dit au point précédent, que pour celle du nombre de créations d'offices recommandé, qui a été lissé dans le temps. D'autre part, le risque de fragilisation des offices situés en zone urbaine qui résulterait de la faculté, pour des titulaires d'offices situés dans des zones plus rurales du même département, lorsqu'il est classé en zone dite d'installation libre, d'y transférer leur office par simple déclaration auprès de la chambre des huissiers et du procureur de la République, n'apparaît pas suffisamment caractérisé pour que les dispositions de l'arrêté attaqué, en ce qu'elles retiennent un zonage départemental et classent certains départements en zone d'installation libre, soient par elles-mêmes considérées comme portant atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques et au droit au respect des biens. Par suite, les moyens tirés de ce que l'arrêté méconnaîtrait le principe d'égalité devant les charges publiques ainsi que le droit au respect des biens garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 14 de cette convention doivent être écartés.

Sur les moyens dirigés contre l'arrêté en tant qu'il concerne certains départements :

10. En premier lieu, eu égard notamment à ce qui a été dit au point 6 sur les motifs qui ont justifié le choix d'un zonage départemental, il ne ressort pas des pièces des dossiers que le choix d'un tel zonage pour délimiter les zones d'installation dans le Nord et le Pas-de-Calais et le classement de ces départements en zone dite d'installation libre assorti d'une recommandation d'installation de trois professionnels dans le Nord et d'un professionnel dans le Pas-de-Calais, alors même que ce classement permet, le cas échéant, à certains titulaires d'offices situés en zone rurale de procéder au transfert du siège de leur office vers l'une des grandes métropoles régionales par simple déclaration auprès de la chambre des huissiers et du procureur de la République, serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

11. En deuxième lieu, si la chambre régionale des huissiers de justice de la cour d'appel de Bordeaux fait valoir que plusieurs offices d'huissiers de justice installés dans le département de la Gironde ont développé sur l'ensemble du territoire national une activité hors monopole dont le chiffre d'affaires est très important, il ne ressort pas des pièces des dossiers qu'il résulterait de cette circonstance, à la supposer établie, que le chiffre d'affaires moyen par huissier libéral retenu pour déterminer les recommandations de créations d'offices et d'installations de nouveaux professionnels dans le département de la Gironde serait manifestement inadéquat au regard des objectifs poursuivis par le législateur, ni, par suite, que l'arrêté attaqué serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation en tant qu'il concerne ce département.

12. En troisième lieu, si la chambre départementale et régionale des huissiers de justice de Paris, la chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel de Lyon et la chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel d'Aix-en-Provence font valoir les spécificités de chacune de ces zones, notamment la circonstance que les huissiers y sont déjà nombreux et qu'elles comptent également un grand nombre de commissaires-priseurs judiciaires, il ne ressort pas des pièces des dossiers que l'application à ces zones de la méthode décrite au point 8, qui tient compte notamment de la fusion programmée entre les professions d'huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire, serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

13. En quatrième lieu, il ressort des pièces des dossiers que l'installation de nouveaux huissiers de justice libéraux à Mayotte serait susceptible de faire passer le chiffre d'affaires moyen par professionnel libéral en-dessous du seuil retenu en vue de garantir que l'activité des offices existants ne sera pas bouleversée. En revanche, l'application de la méthode décrite au point 8 a conduit les auteurs de l'arrêté attaqué à identifier un potentiel d'installation de plusieurs professionnels libéraux sur l'île de la Réunion. Eu égard à ces considérations, il ne ressort pas des pièces des dossiers qu'en classant le département de Mayotte en zone d'installation contrôlée et en recommandant, à l'inverse, l'installation de six nouveaux professionnels libéraux à La Réunion, les auteurs de l'arrêté attaqué auraient commis une erreur manifeste d'appréciation.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la Chambre régionale des huissiers de justice du Nord-Pas-de-Calais, la Chambre régionale des huissiers de justice de la cour d'appel de Bordeaux, la Chambre départementale et régionale des huissiers de justice de Paris, la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, la Chambre interdépartementale des huissiers de justice des îles de La Réunion et Mayotte et de la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel de Lyon ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'arrêté qu'elles attaquent.

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes de la Chambre régionale des huissiers de justice du Nord-Pas-de-Calais, la Chambre régionale des huissiers de justice de la cour d'appel de Bordeaux, la Chambre départementale et régionale des huissiers de justice de Paris, la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, la Chambre interdépartementale des huissiers de justice des îles de La Réunion et Mayotte et de la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel de Lyon sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Chambre régionale des huissiers de justice du Nord-Pas-de-Calais, la Chambre régionale des huissiers de justice de la cour d'appel de Bordeaux, la Chambre départementale et régionale des huissiers de justice de Paris, la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, la Chambre interdépartementale des huissiers de justice des îles de La Réunion et Mayotte, la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel de Lyon, et à la garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 6ème chambre jugeant seule
Numéro d'arrêt : 417958
Date de la décision : 21/08/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 aoû. 2019, n° 417958
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Coralie Albumazard
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe
Avocat(s) : BALAT

Origine de la décision
Date de l'import : 27/08/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:417958.20190821
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award