Vu la procédure suivante :
Par une requête et trois mémoires, enregistrés les 4 décembre 2018, 7 avril 2019, 25 avril 2019 et 11 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association France Nature Environnement Auvergne Rhône-Alpes (FNE AURA), anciennement dénommée Union régionale Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA), demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2018-575 du 3 juillet 2018 relatif aux délais de prorogation de la durée de validité des autorisations de défrichement ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 modifiée par la directive 2014/52/UE du 16 avril 2014 ;
- le code de l'environnement ;
- le code forestier ;
- le décret n° 2015-656 du 10 juin 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.
Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 juillet 2019, présentée par l'association FNE AURA.
Considérant ce qui suit :
1. L'article L. 341-3 du code forestier, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2012-92 du 26 janvier 2012 relative à la partie législative du code forestier, fixait à cinq ans la durée de validité des autorisations de défrichement. Le Conseil constitutionnel ayant constaté dans sa décision n° 2015-254 L du 9 avril 2015 que les mots " cinq ans " présentaient un caractère réglementaire, le décret du 10 juin 2015 modifiant certaines dispositions relatives aux autorisations de défrichement a, d'une part, modifié l'article L. 341-3 du code forestier afin de prévoir que la durée de validité des autorisations de défrichement est fixée par décret et, d'autre part, créé dans ce code un article D. 341-7-1 ainsi rédigé : " La validité des autorisations de défrichement est de cinq ans. / Ce délai est prorogé, dans une limite globale de trois ans : / a) En cas de recours devant la juridiction administrative contre l'autorisation de défrichement ou contre une autorisation nécessaire à la réalisation des travaux en vue desquels le défrichement est envisagé, d'une durée égale à celle écoulée entre la saisine de la juridiction et le prononcé d'une décision juridictionnelle définitive au fond ou la date à laquelle aurait expiré l'autorisation de défrichement ; / b) Sur décision de l'autorité administrative qui les a autorisés, en cas d'impossibilité matérielle d'exécuter les travaux de défrichement, établie par tous moyens par le bénéficiaire de l'autorisation, de la durée de la période pendant laquelle cette exécution est impossible ". Le décret du 3 juillet 2018 relatif aux délais de prorogation de la durée de validité des autorisations de défrichement, dont l'association FNE AURA demande l'annulation, a modifié l'article D. 341-7-1 du code forestier afin de porter de trois à cinq ans la durée maximale de la prorogation de la durée de validité des autorisations de défrichement et prévu que cette disposition nouvelle s'appliquerait aux autorisations en cours à la date de son entrée en vigueur.
Sur la légalité externe du décret :
2. En premier lieu, la circonstance que le décret du 10 juin 2015 qui a introduit l'article D. 341-7-1 dans le code forestier a été pris en Conseil d'Etat, comme il devait l'être en vertu du second alinéa de l'article 37 de la Constitution, n'implique pas que la modification de cet article, codifié en " D. " et pris en application de l'article L. 341-3 du même code, qui renvoie à un décret le soin de fixer la durée de validité des autorisations de défrichement, relève d'un décret en Conseil d'Etat. Par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que le décret attaqué serait irrégulier faute d'avoir été précédé de la consultation du Conseil d'Etat.
3. En second lieu, l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement, qui définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement, prévoit au troisième alinéa de son I que : " Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l'environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif ". Le décret attaqué se borne à porter de trois à cinq ans la durée maximale de la prorogation de la validité des autorisations de défrichement, cette prorogation n'étant possible qu'en cas de recours contentieux contre l'autorisation ou une autre autorisation nécessaire à la réalisation des travaux en vue desquels le défrichement est envisagé, ou, sur décision du préfet, lorsque son titulaire se trouve dans l'impossibilité matérielle de l'exécuter. Il permet ainsi au titulaire d'une autorisation de défrichement, s'il relève de l'une ou l'autre de ces hypothèses, de disposer de deux années supplémentaires pour mettre en oeuvre cette autorisation, accordée pour une opération de défrichement dont les caractéristiques restent inchangées. Dans ces conditions, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant, par lui-même, des effets directs et significatifs sur l'environnement. Le moyen tiré de ce que ce décret serait irrégulier faute d'avoir été précédé d'une procédure de participation du public ne peut donc qu'être écarté.
Sur la légalité interne du décret
4. En premier lieu, il résulte clairement des dispositions la directive 2011/92/UE concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement que les obligations d'évaluation environnementale et de participation du public qu'elle prévoit s'imposent préalablement à la délivrance d'une autorisation relative à un tel projet et ne concernent pas la prorogation de la validité d'une autorisation déjà délivrée. Le moyen tiré de ce que la prorogation d'une autorisation devrait, au sens de la directive, être regardée comme l'autorisation d'un projet, soumise comme telle à une évaluation environnementale, ne saurait, par suite, être accueilli.
5. En deuxième lieu, l'article 3 de la directive 2014/52/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 modifiant la directive 2011/92/UE prévoit que les dispositions des articles 3 et 5 à 11 de la directive 2011/92/UE dans sa rédaction antérieure demeurent.applicables aux projets pour lesquels la procédure d'évaluation environnementale a été engagée avant le 16 mai 2017 Par ailleurs, aucune disposition de la directive 2014/52/UE ne subordonne la prorogation d'une autorisation délivrée à la suite d'une procédure d'évaluation environnementale engagée avant cette date à la réalisation d'une nouvelle évaluation conforme aux règles résultant de cette directive. Par suite, l'association requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir qu'en ouvrant la possibilité de prolonger de deux ans supplémentaires la durée de validité d'autorisations de défrichement délivrées avant l'entrée en vigueur de la directive 2014/52/UE, le décret attaqué méconnaîtrait les objectifs de cette directive.
6. En troisième lieu, il résulte du 9° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement que les actes réglementaires relatifs à l'environnement doivent respecter le principe de non-régression, " selon lequel la protection de l'environnement (applicables aux projets pour lesquels la procédure d'évaluation environnementale a été engagée avant le 16 mai 2017) ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ". Ainsi qu'il a été dit au point 3, le décret attaqué se borne à porter de trois à cinq ans la durée maximale de la prorogation de la validité des autorisations de défrichement prononcée dans les conditions prévues à l'article D. 341-7-1 du code forestier et n'a ni pour objet ni pour effet de modifier la consistance des opérations de défrichement antérieurement autorisées, dont dépendent les incidences environnementales de ces opérations. Si les dispositions issues du décret sont susceptibles de permettre au titulaire d'une autorisation de défrichement se trouvant dans l'une ou l'autre des situations prévues à cet article de mettre en oeuvre l'autorisation au cours des neuvième et dixième années suivant sa délivrance, alors qu'en l'absence de ces dispositions, il aurait dû demander une nouvelle autorisation sur laquelle il aurait été statué au regard des circonstances de droit et de fait prévalant à la date de la décision de l'administration, ce seul fait n'implique pas une violation du principe de non-régression en matière de protection de l'environnement. Le moyen tiré de la méconnaissance du 9° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement ne peut donc qu'être écarté.
7. En quatrième et dernier lieu, le décret attaqué, qui a pour objet de permettre au titulaire d'une autorisation de défrichement qui s'est trouvé dans l'impossibilité matérielle de l'exécuter au cours de sa durée initiale de validité de cinq ans, ou qui, en raison d'un recours dirigé contre cette autorisation ou une autorisation portant sur le projet pour la réalisation duquel l'autorisation de défrichement avait été obtenue, s'est abstenu de la mettre en oeuvre, eu égard au caractère difficilement réversible d'un défrichement, de disposer de deux années supplémentaires pour réaliser l'opération autorisée, repose sur une appréciation de l'intérêt général. La seule circonstance que ce décret permettrait la mise en oeuvre d'une autorisation de défrichement délivrée en juillet 2010 en vue de la réalisation d'un centre de loisirs à Roybon n'est pas de nature à le faire regarder comme entaché de détournement de pouvoir.
8. Il résulte de ce qui précède que l'association FNE AURA n'est pas fondée à demander l'annulation du décret attaqué. Sa requête, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doit donc être rejetée.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association FNE AURA est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association FNE AURA, au Premier ministre et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.