Vu :
- la Constitution, notamment son article 62 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale, notamment son article 145-4-2 ;
- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, notamment son article 55 ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2019 pénitentiaire, notamment son article 34 ;
- la décision du 5 décembre 2018 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Section française de l'Observatoire international des prisons ;
- la décision n° 2018-763 QPC du 8 février 2019 statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Section française de l'Observatoire international des prisons ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Raphaël Chambon, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Section française de l'Observatoire international des prisons ;
Considérant ce qui suit :
1. La Section française de l'Observatoire international des prisons demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande d'abrogation de l'article R. 57-8-7 du code de procédure pénale.
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 34 de la loi du 24 novembre 2009 dans sa rédaction en vigueur à la date d'édiction des dispositions réglementaires en litige : " Les prévenus dont l'instruction est achevée et qui attendent leur comparution devant la juridiction de jugement peuvent bénéficier d'un rapprochement familial jusqu'à leur comparution devant la juridiction de jugement ". Aux termes de l'article R 57-8-7 du code de procédure pénale créé par le décret n° 2010-1634 du 23 décembre 2010 pris pour son application, " Le directeur interrégional des services pénitentiaires, après avis conforme du magistrat saisi du dossier de la procédure, peut faire droit à la demande de rapprochement familial de la personne détenue prévenue dont l'instruction est achevée et qui attend sa comparution devant la juridiction de jugement. / Le ministre de la justice peut, dans les mêmes conditions, faire droit à une telle demande lorsqu'elle a pour effet le transfert : / 1° D'une personne détenue d'une direction interrégionale à une autre ; / 2° D'une personne inscrite au répertoire des détenus particulièrement signalés ; / 3° D'une personne prévenue pour acte de terrorisme ".
3. En raison de la permanence de l'acte réglementaire, la légalité des règles qu'il fixe, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir doivent pouvoir être mises en cause à tout moment, de telle sorte que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales que cet acte est susceptible de porter à l'ordre juridique. Cette contestation peut prendre la forme d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d'abroger l'acte réglementaire, comme l'exprime l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration aux termes duquel : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de faits postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé [...] ".
4. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que, dans le cas où l'illégalité du règlement a cessé à la date à laquelle elle se prononce, l'autorité compétente ne saurait être tenue d'accueillir une demande d'abrogation. Pour les mêmes motifs, dans l'hypothèse où un changement de circonstances aurait fait cesser l'illégalité de l'acte réglementaire litigieux, à la date à laquelle il statue, le juge de l'excès de pouvoir ne saurait annuler le refus de l'abroger. A l'inverse, si l'acte réglementaire devient illégal en raison d'un changement de circonstances intervenu entre le refus opposé par l'autorité compétente à la demande d'abrogation et la date à laquelle il statue, il appartient au juge d'annuler ce refus d'abroger.
5. Il résulte des points 3 et 4 que, lorsqu'il est saisi de conclusions à fin d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir est amené à contrôler la légalité de ce refus en appréciant celle de l'acte réglementaire dont l'abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision.
6. Alors même que le rapprochement familial d'une personne détenue en prévention dont l'instruction est achevée et qui attend sa comparution devant la juridiction de jugement est nécessairement subordonné, ainsi que le rappelle l'article R. 57-8-7 du code de procédure pénale précité, à l'accord du magistrat saisi du dossier de la procédure, la décision par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires ou le ministre de la justice refuse de l'accorder se rattache au fonctionnement du service public pénitentiaire et peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative.
7. S'il appartient au juge administratif, saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre une telle décision de refus de rapprochement familial, d'exercer un contrôle de légalité sur celle-ci, il ne lui appartient, dans l'hypothèse où ce refus ferait suite à l'avis conforme défavorable émis par le magistrat saisi du dossier de la procédure, ni d'examiner les moyens de forme ou de procédure invoqués à l'encontre de la régularité de cet avis ni de contrôler et de remettre en cause l'appréciation à laquelle s'est livrée le magistrat.
8. En premier lieu, par sa décision n° 2018-763 QPC du 8 février 2019, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution l'article 34 de la loi du 24 novembre 2009, au motif que ces dispositions méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. L'article 2 du dispositif de cette décision précise que la déclaration d'inconstitutionnalité prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 10 et 11, qui prévoient que, d'une part, " afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter au 1er septembre 2019 la date de cette abrogation " et, d'autre part, " afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que les avis défavorables pris sur le fondement des dispositions litigieuses par les magistrats judiciaires après la date de cette publication peuvent être contestés devant le président de la chambre de l'instruction dans les conditions prévues par la deuxième phrase du quatrième alinéa de l'article 145-4 du code de procédure pénale ".
9. L'absence de prescriptions relatives à la remise en cause des effets produits par les dispositions déclarées contraires à la Constitution avant leur abrogation doit, en l'espèce, eu égard à la circonstance que le Conseil constitutionnel a décidé de reporter dans le temps les effets abrogatifs de sa décision, être regardée comme indiquant que celui-ci n'a pas entendu remettre en cause les effets que la disposition déclarée contraire à la Constitution avait produits avant la date de son abrogation. Par suite, et alors même que l'association requérante est l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité, la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 34 de la loi du 24 novembre 2009 est, à la date de la présente décision, sans incidence sur l'issue du présent litige.
10. En deuxième lieu, l'article 145-4-2 du code de procédure pénale créé par le I de l'article 55 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et en vigueur depuis le 25 mars 2019 prévoit désormais que les avis défavorables de l'autorité judiciaire sur les demandes de rapprochement familial des personnes placées en détention provisoire dont l'instruction est achevée et qui attendent leur comparution devant la juridiction de jugement peuvent " faire l'objet d'un recours du détenu ou du ministère public devant le président de la chambre de l'instruction ", lequel statue dans un délai d'un mois par une décision écrite et motivée non susceptible de recours. L'article 34 de la loi du 24 novembre 2009 tel que modifié par le 1° du III du même article 55 de la loi du 23 mars 2019 prévoit désormais que " les prévenus dont l'instruction est achevée et qui attendent leur comparution devant la juridiction de jugement peuvent bénéficier d'un rapprochement familial jusqu'à leur comparution devant la juridiction de jugement, après avis conforme de l'autorité judiciaire susceptible d'être contesté selon les modalités prévues au dernier alinéa de l'article 145-4-2 du code de procédure pénale ".
11. Il résulte de ce que le législateur a consacré au nouvel article 145-4-2 du code de procédure pénale l'existence d'une voie de recours permettant aux personnes détenues en prévention dont l'instruction est achevée et qui attendent leur comparution devant la juridiction de jugement de contester les avis défavorables de l'autorité judiciaire sur leur demande de rapprochement familial devant le président de la chambre de l'instruction, qu'à la date de la présente décision le droit à un recours juridictionnel effectif est garanti pour les prévenus dont l'instruction est achevée auxquels un rapprochement familial est refusé. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'article 34 de la loi du 24 novembre 2009 méconnaîtrait le droit à un recours juridictionnel effectif protégé par les stipulations des articles 6§1 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
12. Il résulte de ce qui précède que la Section française de l'Observatoire international des prisons n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du Premier ministre opposant un refus à sa demande d'abrogation de l'article R. 57-8-7 du code de procédure pénale. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la Section française de l'Observatoire international des prisons est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Section française de l'Observatoire international des prisons, au Premier ministre et à la garde des sceaux, ministre de la justice.