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24/07/2019 | FRANCE | N°422662

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 24 juillet 2019, 422662


Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 5 décembre 2017 du préfet de la Côte-d'Or refusant l'échange de son permis de conduire soudanais contre un permis de conduire français et d'enjoindre au préfet de procéder à une nouvelle analyse de son titre. Par une ordonnance n° 1800183 du 9 avril 2018, le président du tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 27

juillet et 1er octobre 2018, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annul...

Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 5 décembre 2017 du préfet de la Côte-d'Or refusant l'échange de son permis de conduire soudanais contre un permis de conduire français et d'enjoindre au préfet de procéder à une nouvelle analyse de son titre. Par une ordonnance n° 1800183 du 9 avril 2018, le président du tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 27 juillet et 1er octobre 2018, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

- le code de la route ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'arrêté du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d'échange des permis de conduire délivrés par les Etats n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Lambron, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M.B....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M.B..., ressortissant soudanais auquel la qualité de réfugié a été reconnue, a sollicité du préfet de la Côte-d'Or l'échange de son permis de conduire soudanais contre un permis français. Dans le cadre de l'instruction de cette demande, le service spécialisé dans la fraude documentaire a indiqué que le permis présenté ne correspondait pas à un modèle de permis soudanais figurant dans sa base documentaire et que seule une vérification auprès des autorités du pays de délivrance permettrait de vérifier son authenticité. Au vu de cet avis, le préfet a, par une décision du 5 décembre 2017, refusé l'échange au motif que le permis ne présentait pas toutes les garanties permettant d'en déterminer de manière certaine l'authenticité. M. B... se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 9 avril 2018, prise sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, par laquelle le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté son recours pour excès de pouvoir contre cette décision.

2. D'une part, aux termes de l'article R. 222-3 du code de la route : " Tout permis de conduire national, en cours de validité, délivré par un Etat ni membre de la Communauté européenne, ni partie à l'accord sur l'Espace économique européen, peut être reconnu en France jusqu'à l'expiration d'un délai d'un an après l'acquisition de la résidence normale de son titulaire. Pendant ce délai, il peut être échangé contre le permis français, sans que son titulaire soit tenu de subir les examens prévus au premier alinéa de l'article R. 221-3. Les conditions de cette reconnaissance et de cet échange sont définies par arrêté du ministre chargé des transports, après avis du ministre de la justice, du ministre de l'intérieur et du ministre chargé des affaires étrangères ". Aux termes des cinq premiers alinéas de l'article 7 de l'arrêté du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d'échange des permis de conduire délivrés par les Etats n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque l'authenticité et la validité du titre sont établies lors du dépôt du dossier complet et sous réserve de satisfaire aux autres conditions prévues par le présent arrêté, le titre de conduite est échangé. / En cas de doute sur l'authenticité du titre dont l'échange est demandé, le préfet conserve le titre de conduite et fait procéder à son analyse, le cas échéant avec l'aide d'un service compétent, afin de s'assurer de son authenticité. (...) / Si l'authenticité est confirmée, le titre de conduite peut être échangé sous réserve de satisfaire aux autres conditions. Si le caractère frauduleux est confirmé, l'échange n'a pas lieu et le titre est retiré par le préfet, qui saisit le procureur de la République en le lui transmettant. / Le préfet peut compléter son analyse en consultant l'autorité étrangère ayant délivré le titre afin de s'assurer des droits de conduite de son titulaire (...) ". Au regard de ces dispositions, il appartient au préfet de refuser l'échange si l'authenticité du titre présenté n'est pas suffisamment établie. L'intéressé peut, lors de l'instruction de sa demande par l'administration comme à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir contre une décision refusant l'échange pour défaut d'authenticité du titre, établir son authenticité par tout moyen présentant des garanties suffisantes.

3. D'autre part, l'article 25 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés stipule que : " 1. Lorsque l'exercice d'un droit par un réfugié nécessiterait normalement le concours d'autorités étrangères auxquelles il ne peut recourir, les Etats contractants sur le territoire desquels il réside veilleront à ce que ce concours lui soit fourni, soit par leurs propres autorités, soit par une autorité internationale. / 2. La ou les autorités visées au paragraphe 1er délivreront ou feront délivrer sous leur contrôle, aux réfugiés, les documents ou les certificats qui normalement seraient délivrés à un étranger par ses autorités nationales ou par leur intermédiaire. / 3. Les documents ou certificats ainsi délivrés remplaceront les actes officiels délivrés à des étrangers par leurs autorités nationales ou par leur intermédiaire, et feront foi jusqu'à preuve du contraire (...) ".

4. Il résulte de ces stipulations, combinées avec les dispositions citées au point 2, que, lorsqu'un réfugié demande l'échange d'un permis de conduire délivré par les autorités du pays dont il a la nationalité contre un permis français et que les services compétents, sans être en mesure d'affirmer qu'il s'agit d'une contrefaçon, mettent en doute son authenticité, le préfet doit, eu égard à l'impossibilité de vérifier l'existence des droits de conduite auprès des autorités qui ont délivré le titre, adapter ses diligences à la situation du demandeur. A cette fin, il lui appartient, après avoir au besoin cherché à vérifier auprès des services du ministère français des affaires étrangères les pratiques administratives et documentaires du pays d'émission du titre, de mettre l'intéressé en mesure de lui soumettre tous éléments de nature à faire regarder l'authenticité de celui-ci comme suffisamment établie et d'apprécier ces éléments en tenant compte de la situation particulière du demandeur. Il ne peut légalement refuser l'échange sans avoir invité le demandeur à fournir de tels éléments.

5. Ainsi qu'il a été dit au point 1, le service de la fraude documentaire avait indiqué que le permis présenté par M. B...ne correspondait pas à un modèle de permis soudanais figurant dans sa base documentaire et que seule une vérification auprès des autorités du pays de délivrance permettrait de vérifier son authenticité. Dès lors que cet avis se bornait à mettre en doute l'authenticité du titre, sans affirmer qu'il s'agissait d'une contrefaçon, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'il appartenait au préfet, après avoir au besoin cherché à vérifier auprès des services du ministère français des affaires étrangères les pratiques administratives et documentaires du pays d'émission du titre, de mettre l'intéressé en mesure de lui soumettre tous éléments de nature à faire regarder l'authenticité de celui-ci comme suffisamment établie et d'apprécier ces éléments en tenant compte de la situation particulière du demandeur. En jugeant que le préfet, dont il était constant qu'il n'avait pas accompli de telles diligences, était tenu de rejeter la demande d'échange présentée par M. B..., le président du tribunal administratif de Dijon a commis une erreur de droit.

6. Au surplus, la requête dont il était saisi n'était pas au nombre de celles qui peuvent être rejetées par ordonnance sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. En particulier, elle n'entrait pas dans le cas, mentionné au 7° de cet article, des requêtes ne reposant que sur des moyens inopérants.

7. Il résulte de ce qui précède que l'ordonnance attaquée doit être annulée.

8. M. B...ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M.B..., sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du président du tribunal administratif de Dijon du 9 avril 2018 est annulée.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Dijon.

Article 3 : L'Etat versera à la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M.B..., la somme de 3 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 422662
Date de la décision : 24/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 jui. 2019, n° 422662
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Marc Lambron
Rapporteur public ?: Mme Cécile Barrois de Sarigny
Avocat(s) : SCP RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA

Origine de la décision
Date de l'import : 30/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:422662.20190724
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