Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 421603, par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 18 juin et 10 décembre 2018 et le 12 mars 2019, la Ligue de défense des conducteurs demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le décret n° 2018-487 du 15 juin 2018 relatif aux vitesses maximales autorisées des véhicules ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 421651, par une requête sommaire et deux mémoires complémentaires, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 20 et 27 juin 2018 et le 24 juin 2019, M. CI...CH..., M. BN...-CC...AP..., M. BQ... AC..., M. BB...P..., M. BD...BJ..., M. A...AI..., Mme AB...AF..., Mme BM...BS..., M. E...CB..., M. AT...L..., M. CA...AQ..., M. BN...-J...C..., M. BF...AU..., Mme CE...BE..., M. AD...N..., M. AS... BY..., M. BQ...BL..., M. BN...-CL...BA..., M. R...AX..., M. U... Y..., M. BN...-CM...CG..., M. BC...BH..., M. AM...BT..., M. BI...X..., M. BR...I..., M. AT...BG..., M. AK...D..., M. AV... BU..., M. AY...CJ..., Mme BO...S..., Mme BZ...F..., M. BN...-CK...AZ..., M. BN...-AN...BK..., M. BN...-CN...AA..., M. AE...O..., Mme CF...AR..., Mme BV...AW..., M. BX...AL..., Mme AO...BW..., M. V...Z..., M. B...AG..., M. BQ...M..., M. BQ...AJ..., Mme W...H..., M. AN...Q..., M. CC...BP..., ayant pour mandataire commun M. CI...CH..., demandent au Conseil d'Etat d'annuler le décret n° 2018-487 du 15 juin 2018 relatif aux vitesses maximales autorisées des véhicules.
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3° Sous le n° 421669, par une requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 21 juin 2018, l'association Automobile-Club des Avocats demande au Conseil d'Etat :
1°) d'ordonner avant dire droit la communication de l'avis donné par le Conseil d'Etat dans sur le projet ayant donné lieu au décret n° 2018-487 du 15 juin 2018 relatif aux vitesses maximales autorisées des véhicules ;
2°) d'annuler ce décret ;
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4° Sous le n° 421705, par une requête, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 25 juin, 1 août, 29 octobre 2018 et 28 janvier et 27 mars 2019, M. G...CD...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le décret n° 2018-487 du 15 juin 2018 relatif aux vitesses maximales autorisées des véhicules ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
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5° Sous le n° 423099, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 10 août 2018 et le 7 juin 2019, la région Auvergne-Rhône-Alpes demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le décret n° 2018-487 du 15 juin 2018 relatif aux vitesses maximales autorisées des véhicules ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
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6° Sous le n° 423487, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 21 août 2018 et le 22 mai 2019, MM. K...T...et J...AH...demandent au Conseil d'Etat d'annuler le décret n° 2018-487 du 15 juin 2018 relatif aux vitesses maximales autorisées des véhicules.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'environnement
- le code de la route ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alain Seban, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public.
Vu la note en délibéré, enregistrée le 1er juillet 2019 sous le n° 421705, présentée par M.CD... ;
1. Les requêtes susvisées de la Ligue de défense des conducteurs, de M. CI...CH...et autres, de l'association Automobile-Club des Avocats, de M. G...CD..., de la région Auvergne Rhône-Alpes et de MM. K...T...et J...AH...sont dirigées contre le même décret. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur l'impartialité du Conseil d'Etat :
2. Il résulte des termes mêmes de la Constitution, et notamment de ses articles 37, 38, 39 et 61-1 tels qu'interprétés par le Conseil constitutionnel, que le Conseil d'Etat est simultanément chargé par la Constitution de l'exercice de fonctions administratives et placé au sommet de l'un des deux ordres de juridiction qu'elle reconnaît. Ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de porter les avis rendus par les formations administratives du Conseil d'Etat à la connaissance de ses membres siégeant au contentieux. Au demeurant, en vertu de l'article R. 122-21-1 du code de justice administrative, les membres du Conseil d'Etat qui ont participé à un avis rendu sur un projet d'acte soumis par le Gouvernement ne participent pas au jugement des recours mettant en cause ce même acte. En vertu de l'article R. 122-21-2 du même code, lorsque le Conseil d'Etat est saisi d'un recours contre un acte pris après avis d'une de ses formations consultatives, il est loisible au requérant de demander la liste des membres ayant pris part à la délibération de cet avis. Enfin, aux termes de l'article R. 122-21-3 du même code : " Les membres du Conseil d'Etat qui participent au jugement des recours dirigés contre des actes pris après avis du Conseil d'Etat ne peuvent pas prendre connaissance de ces avis, dès lors qu'ils n'ont pas été rendus publics, ni des dossiers des formations consultatives relatifs à ces avis ". Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient l'Automobile club des avocats, la section du contentieux du Conseil d'Etat présente les garanties d'impartialité requises par l'article 6, paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour statuer sur la légalité du décret attaqué, dont le projet a été examiné par sa section des travaux publics.
Sur la légalité externe du décret attaqué :
En ce qui concerne la compétence :
3. Il appartient au Premier ministre, en vertu de ses pouvoirs propres, d'édicter les mesures de police applicables à l'ensemble du territoire. Il lui est loisible, dans l'exercice de cette compétence, de fixer des limites de vitesse de circulation différentes applicables à des types de voies distincts. Les règles ainsi fixées par le Premier ministre n'ont ni pour objet ni pour effet de priver les autorités de police dont relèvent les voies concernées du pouvoir de fixer des limites plus strictes en fonction de circonstances locales particulières.
En ce qui concerne les autorités signataires et contresignataires du décret attaqué :
4. Aux termes de l'article 13 de la Constitution : " Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en conseil des ministres ". Le décret attaqué n'ayant pas été délibéré en conseil des ministres, et aucune disposition ne prévoyant qu'il devait l'être, il n'avait pas à être signé par le Président de la République.
5. L'exécution du décret attaqué n'implique nécessairement la prise d'aucune mesure qui relèverait de la compétence des ministres chargés de l'aménagement du territoire, de l'environnement, des transports ou du budget. Ce décret n'est dès lors pas irrégulier faute du contreseing de ces ministres.
6. En l'absence de disposition législative ou réglementaire imposant le rapport d'un autre ministre, le décret attaqué a pu légalement être pris sur le seul rapport du ministre de l'intérieur.
En ce qui concerne les consultations :
7. Aucune disposition ni aucun principe n'imposait que le décret attaqué fût précédé de la consultation des ministres chargés de l'aménagement du territoire, de l'environnement, des transports et du budget.
8. Il résulte des termes mêmes du décret attaqué qu'il a été pris après consultation du Conseil d'Etat (section des travaux publics). Aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 4 juillet 2008 portant répartition des affaires entre les sections administratives du Conseil d'Etat : " Sont examinées par la section des travaux publics les affaires relatives : (...) aux transports et à leurs infrastructures (...) ". Au sens de ces dispositions, la sécurité routière est au nombre des affaires relatives aux transports. Il en résulte que le moyen tiré de la méconnaissance des règles relatives à la répartition des compétences entre les formations consultatives du Conseil doit être écarté.
9. Aux termes de l'article L. 3221-4 du code général des collectivités territoriales : " Le président du conseil départemental gère le domaine du département. A ce titre, il exerce les pouvoirs de police afférents à cette gestion, notamment en ce qui concerne la circulation sur ce domaine, sous réserve des attributions dévolues aux maires par le présent code et au représentant de l'Etat dans le département ainsi que du pouvoir de substitution du représentant de l'Etat dans le département prévu à l'article L. 3221-5. " Aux termes du II de l'article L. 1111-9 du même code : " La région est chargée d'organiser, en qualité de chef de file, les modalités de l'action commune des collectivités territoriales et de leurs établissements publics pour l'exercice des compétences relatives : (...) 7° A l'intermodalité et à la complémentarité entre les modes de transports, notamment à l'aménagement des gares (...) ". Ni ces dispositions, ni aucune autre disposition ni aucun principe n'imposaient que l'intervention du décret attaqué fût précédée de la consultation des conseils départementaux ou régionaux.
En ce qui concerne la motivation :
10. L'obligation de motivation prévue à l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ne s'applique, selon les termes mêmes de cet article, qu'aux " décisions administratives individuelles défavorables ". Le décret attaqué, qui est un acte réglementaire, n'avait donc pas à être motivé en application des dispositions de cet article, non plus que d'aucune autre disposition ni d'aucun principe.
En ce qui concerne la procédure de participation du public :
11. Le Gouvernement a choisi de soumettre le projet de décret à la procédure de participation du public définie à l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement. Aux termes du II. de cet article : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 123-19-6, le projet d'une décision mentionnée au I, accompagné d'une note de présentation précisant notamment le contexte et les objectifs de ce projet, est mis à disposition du public par voie électronique et, sur demande présentée dans des conditions prévues par décret, mis en consultation sur support papier dans les préfectures et les sous-préfectures en ce qui concerne les décisions des autorités de l'Etat, y compris les autorités administratives indépendantes, et des établissements publics de l'Etat, ou au siège de l'autorité en ce qui concerne les décisions des autres autorités ".
12. Il ressort des pièces du dossier que la note de présentation du projet a bien été mise à la disposition du public par voie électronique, de sorte que le moyen pris de ce qu'aucune publicité ne lui aurait été donnée manque en fait. Contrairement à ce qui est soutenu, cette note, qui décrivait le contexte et les objectifs du projet, n'était pas de nature à entacher la sincérité de la procédure ; en particulier, ni la place donnée aux considérations de sécurité routière par rapport aux considérations d'environnement, ni la présentation faite des conclusions des deux études auxquelles elle renvoie, réalisées par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement, n'ont pu avoir un tel effet. Il en va de même de la circonstance que ces deux organismes sont des établissements publics de l'Etat, qui n'est pas en elle-même de nature à établir l'absence d'impartialité de leurs travaux. Enfin, le moyen tiré de ce que la synthèse des observations du public n'aurait pas été publiée manque en fait. Ainsi, le Gouvernement n'a pas méconnu la procédure de participation du public à laquelle il a entendu se soumettre.
Sur la légalité interne du décret attaqué :
13. Il ressort des pièces du dossier que, alors que plus de 3 500 personnes meurent chaque année en France d'accidents sur les routes, plus de 30 pour cent des accidents mortels sont dus à la vitesse excessive et plus de 80 pour cent des morts hors agglomération se produisent sur des routes à double sens sans séparateur central. Il résulte des études réalisées à l'étranger comme en France, notamment préalablement à l'adoption de la mesure contestée, qu'une réduction de la vitesse moyenne sur les routes permet de réduire le nombre des accidents mortels et qu'une diminution de la vitesse maximale autorisée est de nature à entraîner une telle réduction de la vitesse moyenne. Il ressort également de ces études, en particulier de l'analyse coûts bénéfices publiée en mars 2018 par le Commissariat général au développement durable, que la réduction de 90 à 80 km/h de la vitesse maximale autorisée sur les routes à double sens sans séparateur central est de nature à diminuer le nombre de victimes mortelles d'accidents routiers, tout en étant moins restrictif qu'un abaissement de cette même vitesse maximale sur l'ensemble des routes nationales et départementales. Ces constats ne sont pas remis en cause par les limites de l'évaluation de l'expérimentation de réduction de vitesse maximale qui a été conduite entre 2015 et 2017 sur seulement 86 km de routes départementales et nationales dans quatre départements, eu égard tant à la portée elle-même très limitée de cette expérimentation qu'au vu de l'ensemble des études disponibles. Ainsi, eu égard à la marge d'appréciation dont dispose le Premier ministre pour assurer la sécurité routière et à la nécessaire conciliation entre, d'une part, les exigences de protection des biens et personnes et, d'autre part, la liberté en particulier d'aller et de venir, le décret attaqué n'est pas entaché d'une erreur d'appréciation compte tenu des bénéfices attendus, notamment en ce qui concerne la réduction des accidents mortels .
14. L'article 2 du décret attaqué a prévu qu'il entrerait en vigueur au 1er juillet 2018 soit un peu moins de deux semaines après sa publication au Journal officiel de la République française le 17 juin 2018. Eu égard à la nature des mesures édictées par ce décret, qui n'impliquaient l'intervention d'aucune autre mesure ou disposition préparatoire afin d'être mises en oeuvre, ce délai n'a pas porté, dans les circonstances de l'espèce, atteinte au principe de sécurité juridique.
15. Le principe d'égalité n'implique pas de traiter de manière différente des personnes placées dans des situations différentes. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de ce principe en raison de l'incidence plus forte qu'aurait la mesure contestée sur les habitants des zones rurales en comparaison de ceux des zones urbaines ne peut qu'être écarté.
16. Le principe de confiance légitime qui fait partie des principes généraux du droit de l'Union européenne, ne trouve à s'appliquer dans l'ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par ce droit. Le moyen tiré de sa méconnaissance est donc inopérant à l'encontre du décret attaqué, qui n'a pas été pris pour la mise en oeuvre du droit de l'Union.
17. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les auteurs du décret attaqué se seraient estimés liés par l'avis du comité interministériel de la sécurité routière et auraient de ce fait entaché le décret d'illégalité.
18. Enfin, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
19. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l'intérieur et sur la recevabilité de l'action de certains des requérants, la Ligue française des conducteurs et autres ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret qu'ils attaquent. Leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, de même être rejetées.
Sur les conclusions du ministre de l'intérieur tendant à l'application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative :
20. Dans un mémoire enregistré au secrétariat du contentieux le 27 mars 2019, M. CD...a déclaré retirer le passage contesté de son mémoire enregistré le 28 janvier 2019 commençant par les mots " Si le Président... " et se terminant par les mots " ..."pour leur bien" ". Par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du ministre de l'intérieur tendant à la suppression de ce passage par application des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du ministre de l'intérieur tendant à l'application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative.
Article 2 : Les requêtes de la Ligue de défense des conducteurs la Ligue de défense des conducteurs, de M. CI...CH...et autres, de l'association Automobile-Club des Avocats, de M. G...CD..., de la région Auvergne-Rhône-Alpes et de M. K...T...et autre sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Ligue de défense des conducteurs, à M. CI... CH..., premier requérant dénommé, à l'association Automobile-Club des Avocats, à M. G...CD..., à la région Auvergne-Rhône-Alpes, à M. K...T..., premier requérant dénommé, au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.