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24/07/2019 | FRANCE | N°416849

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 24 juillet 2019, 416849


Vu la procédure suivante :

La société Banque Populaire Occitane a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Agence de services et de paiement à lui verser la somme de 92 046 euros, majorée des intérêts de droit à compter du 1er février 2013. Par un jugement n° 1401764 du 1er octobre 2015, le tribunal administratif de Pau a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 15BX03556 du 27 octobre 2017, la cour administrative d'appel de Bordeaux a condamné l'Agence de services et de paiement à verser à la Banque Populaire Occitane la somme de 80 999,64 euros asso

rtie des intérêts au taux légal à compter du 19 mars 2013, réformé le jugeme...

Vu la procédure suivante :

La société Banque Populaire Occitane a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Agence de services et de paiement à lui verser la somme de 92 046 euros, majorée des intérêts de droit à compter du 1er février 2013. Par un jugement n° 1401764 du 1er octobre 2015, le tribunal administratif de Pau a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 15BX03556 du 27 octobre 2017, la cour administrative d'appel de Bordeaux a condamné l'Agence de services et de paiement à verser à la Banque Populaire Occitane la somme de 80 999,64 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 mars 2013, réformé le jugement du tribunal administratif de Pau en ce qu'il a de contraire à l'article 1er de cet arrêt et rejeté le surplus des conclusions de la Banque Populaire Occitane ainsi que les conclusions d'appel incident présentées par l'Agence de services et de paiement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 décembre 2017 et 23 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Agence de services et de paiement demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il lui est défavorable ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter entièrement l'appel de la Banque Populaire Occitane et de faire droit à son appel incident ;

3°) de mettre à la charge de la Banque Populaire Occitane une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (CE) n° 73/2009 du 19 janvier 2009 ;

- le règlement (CE) n°1120/2009 du 29 octobre 2009 ;

- le code civil ;

- le code monétaire et financier ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de l'Agence de services et de paiement et à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de la Banque Populaire Occitane ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 22 décembre 2011, l'entreprise agricole à responsabilité limitée EARL de Bégorre a cédé, sur le fondement de l'article L. 313-23 du code monétaire et financier, en contrepartie d'une avance financière, la créance constituée par ses aides découplées au titre de la campagne 2012, à la Banque Populaire Occitane. Le 11 janvier 2012, cette banque a notifié, en application de l'article L. 313-28 du même code, sa créance, évaluée à la somme de 92 046 euros, à l'Agence de services et de paiement. Cette agence, qui est en charge du versement des aides en cause, a rejeté le 28 mars 2013 la demande de paiement de sa créance présentée par la banque au motif que, l'exploitant ayant déposé sa demande au nom d'une nouvelle entité créée le 26 mars 2012 et intitulée SCEA de Bégorre, elle n'avait pas de fonds en son nom. Par un jugement du 1er octobre 2015, le tribunal administratif de Pau a rejeté la demande de la Banque Populaire Occitane tendant à la condamnation de l'Agence de services et de paiement à lui verser la somme de 92 046 euros, majorée des intérêts à compter du 1er février 2013. Par un arrêt du 27 octobre 2017, la cour administrative d'appel de Bordeaux a décidé que l'Agence de services et de paiement versera à la Banque Populaire Occitane la somme de 80 999,64 euros, correspondant au montant des aides qui avaient été versées à la SCEA de Bégorre, assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 mars 2013, réformé le jugement du tribunal administratif de Pau en ce qu'il avait de contraire à cet arrêt et rejeté le surplus des conclusions de la Banque Populaire Occitane et les conclusions de l'appel incident formé par l'Agence de services et de paiement.

2. Aux termes, d'une part, de l'article 19 du règlement (CE) n° 73/2009 du Conseil du 19 janvier 2009 établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs : " Demande d'aide. 1. Chaque année, l'agriculteur introduit une demande pour les paiements directs, indiquant, le cas échéant : (...) b) les droits au paiement déclarés en vue de leur activation ; c) toute autre information prévue par le présent règlement ou par l'Etat membre concerné. / 2. Les Etats membres fournissent, entre autres par des moyens électroniques, des formulaires préétablis qui se fondent sur des superficies déterminées l'année précédente ainsi que des documents graphiques situant ces superficies (...). / (...) ". Aux termes de l'article 33 du même règlement : " Droits au paiement. 1. Peuvent bénéficier de l'aide au titre du régime de paiement unique les agriculteurs qui : / a) détiennent des droits au paiement attribués conformément au règlement (CE) n° 1782/2003 ; / b) reçoivent des droits au paiement en application du présent règlement : / i) par transfert ; ii) au titre de la réserve nationale ; / (...) ". Aux termes de l'article 34 de ce même règlement : " Activation des droits au paiement par hectare admissible. 1. L'aide au titre du régime de paiement unique est octroyée aux agriculteurs après activation d'un droit au paiement par hectare admissible. Les droits au paiement activé donnent droit au paiement des montants qu'ils fixent. / (...)". Aux termes de l'article 4 du règlement (CE) n° 1120/2009 de la Commission du 29 octobre 2009 portant modalités d'application du régime de paiement unique prévu par le titre III du règlement (CE) n° 73/2009 du Conseil : " En cas de changement de statut ou de dénomination juridique, l'agriculteur a accès au régime de paiement unique dans les mêmes conditions que l'agriculteur qui gérait initialement l'exploitation, dans la limite des droits au paiement détenus par l'exploitation d'origine, ou, en cas d'octroi des droits au paiement ou d'une augmentation de leur valeur, dans les limites applicables pour l'attribution des droits à l'exploitation d'origine ".

3. Il résulte de ces dispositions que les agriculteurs sont tenus de déclarer à l'administration les droits à paiement unique qui leur ont été attribués ou transférés pour prétendre au versement d'aides dites découplées. Une société d'exploitation qui change de forme juridique doit faire une telle déclaration, même pour percevoir les aides liées aux droits à paiement unique qui lui ont été transférés de plein droit à raison de cette transformation, dès lors qu'après celle-ci, elle constitue, au sens des règlements précités, un agriculteur différent, la circonstance qu'aux termes de l'article 1844-3 du code civil " la transformation régulière d'une société en une société d'une autre forme, qu'elle soit civile ou commerciale, n'entraîne pas la création d'une personne morale nouvelle " étant à cet égard inopérante.

4. Aux termes, d'autre part, de l'article L. 313-23 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige: " Tout crédit qu'un établissement de crédit consent à une personne morale de droit privé ou de droit public, ou à une personne physique dans l'exercice par celle-ci de son activité professionnelle, peut donner lieu au profit de cet établissement, par la seule remise d'un bordereau, à la cession ou au nantissement par le bénéficiaire du crédit, de toute créance que celui-ci peut détenir sur un tiers, personne morale de droit public ou de droit privé ou personne physique dans l'exercice par celle-ci de son activité professionnelle. / (...) ". Aux termes de l'article L. 313-28 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " L'établissement de crédit peut, à tout moment, interdire au débiteur de la créance cédée ou nantie de payer entre les mains du signataire du bordereau. A compter de cette notification (...) le débiteur ne se libère valablement qu'auprès de l'établissement de crédit ".

5. Il résulte de ces dispositions que, lorsque les aides découplées auxquelles un agriculteur a droit ont fait l'objet d'une cession ou d'un nantissement de créance auprès d'un établissement de crédit qui a notifié le bordereau correspondant à l'Agence de services et de paiement, cette agence ne peut plus payer ces aides à l'agriculteur mais doit en verser le montant à l'établissement de crédit s'il en fait la demande. Dans l'hypothèse où, après la cession ou le nantissement de sa créance, une société d'exploitation a été régulièrement transformée en une société d'une autre forme et où l'Agence de services et de paiement a été informée de cette transformation, cette règle s'applique aux sommes dues à raison des droits à paiement unique qui ont été transférés de plein droit à la nouvelle société en raison de cette transformation, dès lors que celle-ci n'entraîne pas, en application de l'article 1844-3 du code civil, la création d'une personne morale nouvelle, la circonstance que le bordereau fasse référence à un agriculteur différent, au sens des règlements cités au point 2, étant inopérante.

6. Ainsi, après avoir relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la SCEA de Bégorre avait déclaré à l'Agence de services et de paiement, au titre de la campagne 2012, les droits à paiement unique reçus par transfert de l'EARL de Bégorre à laquelle elle avait succédé en raison de la modification statutaire de cette dernière, la cour a pu, sans commettre d'erreur de droit, juger que cette agence ne pouvait valablement se libérer du paiement de l'aide correspondante qu'auprès de la Banque Populaire Occitane sans qu'y fassent obstacle ni le fait que les droits sur lesquels la banque détenait une créance avaient été activés sous le numéro d'identification " PACAGE " de la SCEA et non sous celui de l'EARL, ni la circonstance que l'agence avait à tort opéré un versement en faveur de la SCEA de Bégorre.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de l'Agence de services et de paiement doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge, à ce titre, le versement d'une somme de 3 000 euros à la Banque Populaire Occitane.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de l'Agence de services et de paiement est rejeté.

Article 2 : L'Agence de services et de paiement versera à la Banque Populaire Occitane une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Agence de services et de paiement, à la Banque Populaire Occitane ainsi qu'à la SCEA de Bégorre.


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 416849
Date de la décision : 24/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

03-03-06 AGRICULTURE ET FORÊTS. EXPLOITATIONS AGRICOLES. AIDES DE L'UNION EUROPÉENNE. - CESSION DE LA CRÉANCE CONSTITUÉE PAR LES AIDES AUXQUELLES A DROIT UNE EXPLOITATION AGRICOLE - 1) A) PRINCIPE - PAIEMENT DES AIDES PAR L'ASP À L'ÉTABLISSEMENT DE CRÉDIT DEVENU PROPRIÉTAIRE DE LA CRÉANCE [RJ1] - B) CAS PARTICULIER - TRANSFORMATION DE LA SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION BÉNÉFICIAIRE DES AIDES AVEC TRANSFERT DES DROITS À PAIEMENT CORRESPONDANTS À LA NOUVELLE SOCIÉTÉ - INFORMATION DE L'ASP SUR CETTE TRANSFORMATION [RJ2] - CONSÉQUENCE - PAIEMENT DES AIDES À L'ÉTABLISSEMENT DE CRÉDIT - 2) ILLUSTRATION.

03-03-06 1) a) Il résulte des articles L. 313-23 et L. 313-28 du code monétaire et financier (CMF) que, lorsque les aides découplées auxquelles un agriculteur a droit ont fait l'objet d'une cession ou d'un nantissement de créance auprès d'un établissement de crédit qui a notifié le bordereau correspondant à l'Agence de services et de paiement (ASP), cette agence ne peut plus payer ces aides à l'agriculteur mais doit en verser le montant à l'établissement de crédit s'il en fait la demande.... ,,b) Dans l'hypothèse où, après la cession ou le nantissement de sa créance, une société d'exploitation a été régulièrement transformée en une société d'une autre forme et où l'ASP a été informée de cette transformation, cette règle s'applique aux sommes dues à raison des droits à paiement unique qui ont été transférés de plein droit à la nouvelle société en raison de cette transformation, dès lors que celle-ci n'entraîne pas, en application de l'article 1844-3 du code civil, la création d'une personne morale nouvelle, la circonstance que le bordereau fasse référence à un agriculteur différent, au sens des règlements (CE) n° 73/2009 du Conseil du 19 janvier 2009 et n° 1120/2009 de la Commission du 29 octobre 2009, étant inopérante.... ,,2) Ne commet pas d'erreur de droit la cour qui, après avoir relevé, qu'une société civile d'exploitation agricole (SCEA) avait déclaré à l'ASP, au titre de la campagne 2012, les droits à paiement unique reçus par transfert de l'exploitation agricole à responsabilité limité (EARL) à laquelle elle avait succédé en raison de la modification statutaire de cette dernière, juge que cette agence ne pouvait valablement se libérer du paiement de l'aide correspondante qu'auprès de la banque à laquelle avait été cédée la créance correspondante sans qu'y fassent obstacle ni le fait que les droits sur lesquels la banque détenait une créance avaient été activés sous le numéro d'identification PACAGE de la SCEA et non sous celui de l'EARL, ni la circonstance que l'agence avait à tort opéré un versement en faveur de la SCEA.


Références :

[RJ1]

Rappr., sur l'absence de caractère libératoire du paiement effectué, après une cession Dailly , entre les mains du cédant plutôt qu'entre les mains du cessionnaire d'une créance, CE, 6 décembre 1999, Ville de Marseille, n° 189407, p. 414.,,

[RJ2]

Rappr., sur l'obligation de déclarer les droits reçus par transfert, CE, 19 juin 2017, EARL des Landes, n° 396070, T. pp. 453-454-508.


Publications
Proposition de citation : CE, 24 jui. 2019, n° 416849
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Géraud Sajust de Bergues
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET ; SCP THOUIN-PALAT, BOUCARD

Origine de la décision
Date de l'import : 06/08/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:416849.20190724
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