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05/06/2019 | FRANCE | N°412127

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 05 juin 2019, 412127


Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'il a acquittés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2011. Par un jugement n° 1402050 du 4 novembre 2015, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 15MA04716 du 2 mai 2017, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par M. A...contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 4 juill

et, 4 octobre et 19 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat...

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'il a acquittés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2011. Par un jugement n° 1402050 du 4 novembre 2015, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 15MA04716 du 2 mai 2017, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par M. A...contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 4 juillet, 4 octobre et 19 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 septembre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet du pourvoi. Il soutient que les moyens soulevés par M. A...ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 77/388/CE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 ;

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- le code général des impôts ;

- la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, notamment son article 75 ;

- le décret n° 2011-332 du 7 janvier 2011 ;

- le décret n° 2011-1127 du 20 septembre 2011 ;

- l'arrêté du 20 septembre 2011 relatif à la formation des chiropracteurs et à l'agrément des établissements de formation en chiropraxie ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de M.A....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B...A..., qui exerce l'activité de chiropracteur, a, par une réclamation du 31 décembre 2013, demandé la restitution de droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'il a spontanément acquittés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2011 en estimant pouvoir bénéficier des dispositions du 1° du 4 de l'article 261 du code général des impôts relatives à l'exonération de cette taxe. Il se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 2 mai 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté son appel contre le jugement du 4 novembre 2015 du tribunal administratif de Montpellier ayant rejeté sa demande de restitution.

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales : " Lorsque, ayant donné son accord à la rectification ou s'étant abstenu de répondre dans le délai légal à la proposition de rectification, le contribuable présente cependant une réclamation faisant suite à une procédure contradictoire de rectification, il peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition, en démontrant son caractère exagéré. / Il en est de même lorsqu'une imposition a été établie d'après les bases indiquées dans la déclaration souscrite par un contribuable (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'un contribuable ne peut obtenir la restitution de droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'il a déclarés et spontanément acquittés conformément à ses déclarations qu'à la condition d'en établir le mal-fondé.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 13, A, paragraphe 1 de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, dont les dispositions sont reprises à l'article 132, 1 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les Etats membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels : / (...) c) les prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre de l'exercice des professions médicales et paramédicales telles qu'elles sont définies par l'État membre concerné ; / (...) ". En vertu du 1° du 4 de l'article 261 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige, sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : " Les soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales réglementées (...) ". En limitant l'exonération qu'elles prévoient aux soins dispensés par les membres des professions médicales et paramédicales soumises à réglementation, ces dispositions ne méconnaissent pas l'objectif poursuivi par l'article 13, A, paragraphe 1, sous c) de la sixième directive, précité, qui est de garantir que l'exonération s'applique uniquement aux prestations de soins à la personne fournies par des prestataires possédant les qualifications professionnelles requises. En effet, la directive renvoie à la réglementation interne des Etats membres la définition de la notion de professions paramédicales, des qualifications requises pour exercer ces professions et des activités spécifiques de soins à la personne qui relèvent de telles professions.

4. Toutefois, conformément à l'interprétation des dispositions de la sixième directive qui résulte de l'arrêt rendu le 27 avril 2006 par la Cour de justice des Communautés européennes dans les affaires C-443/04 et C-444/04, l'exclusion d'une profession ou d'une activité spécifique de soins à la personne de la définition des professions paramédicales retenue par la réglementation nationale aux fins de l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée prévue à l'article 13, A, paragraphe 1, sous c) de cette directive serait contraire au principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de taxe sur la valeur ajoutée s'il pouvait être démontré que les personnes exerçant cette profession ou cette activité disposent, pour la fourniture de telles prestations de soins, de qualifications professionnelles propres à assurer à ces prestations un niveau de qualité équivalent à celles fournies par des personnes bénéficiant, en vertu de la réglementation nationale, de l'exonération.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 75 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dans sa version applicable au présent litige : " L'usage professionnel du titre d'ostéopathe ou de chiropracteur est réservé aux personnes titulaires d'un diplôme sanctionnant une formation spécifique à l'ostéopathie ou à la chiropraxie délivrée par un établissement de formation agréé par le ministre chargé de la santé dans des conditions fixées par décret. Le programme et la durée des études préparatoires et des épreuves après lesquelles peut être délivré ce diplôme sont fixés par voie réglementaire. / (...) Les praticiens en exercice, à la date d'application de la présente loi, peuvent se voir reconnaître le titre d'ostéopathe ou de chiropracteur s'ils satisfont à des conditions de formation ou d'expérience professionnelle analogues à celles des titulaires du diplôme mentionné au premier alinéa. Ces conditions sont déterminées par décret. / (...) Un décret établit la liste des actes que les praticiens justifiant du titre d'ostéopathe ou de chiropracteur sont autorisés à effectuer, ainsi que les conditions dans lesquelles ils sont appelés à les accomplir. / Ces praticiens ne peuvent exercer leur profession que s'ils sont inscrits sur une liste dressée par le représentant de l'Etat dans le département de leur résidence professionnelle, qui enregistre leurs diplômes, certificats, titres ou autorisations. ".

6. Le décret du 7 janvier 2011 relatif aux actes et aux conditions d'exercice de la chiropraxie n'a été publié que le 9 janvier 2011 et le décret du 20 septembre 2011 relatif à la formation des chiropracteurs et à l'agrément des établissements de formation en chiropraxie, ainsi que l'arrêté du même jour pris en application de ces deux décrets, n'ont été publiés que le 21 septembre 2011. Jusqu'à cette date, les actes dits de chiropraxie ne pouvaient être pratiqués que par les docteurs en médecine, et le cas échéant, pour certains actes seulement et sur prescription médicale, par les autres professionnels de santé habilités à les réaliser. Si, depuis le 22 septembre 2011, ces actes peuvent être pratiqués par les personnes autorisées à utiliser le titre de chiropracteur, il est constant que M. A...ne s'est vu reconnaître un tel titre que postérieurement à la période d'imposition en litige.

7. Il résulte de ce qui précède que, pour statuer sur la restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée acquittés par M. A...sur ses prestations de chiropraxie, la cour devait vérifier que celui-ci démontrait disposer, pour la fourniture de ces prestations, de qualifications professionnelles propres à leur assurer un niveau de qualité équivalent à celles fournies, selon le cas, par un médecin ou par un membre d'une profession de santé réglementée habilité à les réaliser. Une telle appréciation ne peut être portée qu'au vu de la nature des actes accomplis sous la dénomination d'actes de chiropraxie et, s'agissant des actes susceptibles de comporter des risques en cas de contre-indication médicale, en considération des conditions dans lesquelles ils ont été effectués. Il appartenait, dès lors, à M.A..., pour mettre le juge à même de s'assurer que la condition tenant à la qualité des actes était remplie, de produire, d'une part, et sous réserve de l'occultation des noms des patients, des éléments relatifs à sa pratique permettant d'appréhender, sur une période significative, la nature des actes accomplis et les conditions dans lesquelles ils l'ont été et, d'autre part, tous éléments utiles relatifs à ses qualifications professionnelles.

8. Après avoir estimé que M. A...devait être regardé comme ayant produit des éléments attestant, de manière suffisante, de la qualité de la formation qu'il a suivie et du diplôme qu'il a obtenu, la cour a relevé que les " fiches patients " produites, dont une partie était peu lisible, n'indiquaient pas de manière suffisamment précise la nature des actes pratiqués. Elle en a déduit que M. A...n'établissait pas, par les pièces qu'il produisait, que les actes de chiropraxie accomplis au cours de la période litigieuse pouvaient être d'une qualité équivalente à ceux qui, s'ils avaient été effectués par un médecin ou un masseur kinésithérapeute pratiquant la chiropraxie, auraient été exonérés de taxe sur la valeur ajoutée. En statuant ainsi, alors que les " fiches patients " produites par le requérant identifiaient précisément, au moyen d'abréviations dont la signification était précisée dans le mémoire en réplique enregistré au greffe de la cour, le diagnostic effectué, la nature du traitement entrepris ainsi que les actes éventuellement pratiqués lors de consultations ultérieures de suivi, la cour a dénaturé les pièces qui lui étaient soumises. Par suite, son arrêt doit être annulé.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

10. Il résulte de l'instruction que M. A...a produit des éléments attestant, de manière suffisante, la qualité de la formation qu'il a suivie et du diplôme qu'il a obtenu. Par ailleurs, pour permettre au juge de se prononcer sur la nature des actes accomplis et les conditions dans lesquelles ils ont été effectués, il a produit soixante-sept " fiches patients " établies en septembre 2011 ainsi que cent quarante-six fiches établies en avril 2011, qui mentionnent, pour chaque patient, les motifs de consultation et les antécédents médicaux, l'analyse posturale effectuée, le diagnostic posé, le traitement entrepris et le pronostic d'évolution ainsi que l'évolution pathologique et les actes éventuellement pratiqués lors de consultations ultérieures de suivi. Ces éléments, qui sont suffisamment précis, sont de nature à établir que les actes que M. A...a effectués au cours de la période du 1er janvier au 31 décembre 2011 devaient être exonérés de taxe sur la valeur ajoutée.

11. Il résulte de ce qui précède que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, pour l'ensemble de la procédure, le versement de la somme de 5 000 euros que M. A...demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 2 mai 2017 de la cour administrative d'appel de Marseille et le jugement du 4 novembre 2015 du tribunal administratif de Montpellier sont annulés.

Article 2 : M. A...est déchargé des droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'il a acquittés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2011.

Article 3 : L'Etat versera à M. A...la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et au ministre de l'action et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 412127
Date de la décision : 05/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 05 jui. 2019, n° 412127
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Agnoux
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:412127.20190605
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