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27/05/2019 | FRANCE | N°428025

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 27 mai 2019, 428025


Vu la procédure suivante :

Mme B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre les effets de la décision verbale du 17 décembre 2018 par laquelle le préfet du Nord a refusé l'enregistrement de sa demande d'asile et la délivrance d'une attestation de demande d'asile en " procédure normale " et, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer une attestation de demande d'asile en " procédure normale " dans un délai de 48 h

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Vu la procédure suivante :

Mme B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre les effets de la décision verbale du 17 décembre 2018 par laquelle le préfet du Nord a refusé l'enregistrement de sa demande d'asile et la délivrance d'une attestation de demande d'asile en " procédure normale " et, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer une attestation de demande d'asile en " procédure normale " dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir.

Par une ordonnance n° 1900704 du 29 janvier 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a fait droit à sa demande.

Par une requête enregistrée le 14 février 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter la demande de MmeA....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003, tel que modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 du 30 janvier 2014 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. MmeA..., ressortissante guinéenne, qui a fait l'objet par un arrêté du 27 mars 2018 du préfet du Nord d'une décision de remise aux autorités belges responsables de l'examen de sa demande d'asile, à la suite de leur accord exprès de prise en charge du 6 mars 2018, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer une attestation de demande d'asile en " procédure normale ". Par une ordonnance du 29 janvier 2019, le juge des référés a fait droit à sa demande. Par la présente requête, le ministre de l'intérieur relève appel de cette ordonnance.

Sur le cadre juridique du litige :

3. Aux termes de l'article 29, paragraphe 1, du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".

4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Aux termes du I de l'article L. 742-4 du même code applicable au litige : " (...) II. - Lorsqu'une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 est notifiée avec la décision de transfert ou lorsque celle-ci est notifiée alors que l'étranger fait déjà l'objet d'une telle décision de placement en rétention ou d'assignation à résidence, l'étranger peut, dans les quarante-huit heures suivant leur notification, demander au président du tribunal administratif l'annulation de la décision de transfert et de la décision d'assignation à résidence. Il est statué sur ce recours selon la procédure et dans le délai prévus au III de l'article L. 512-1. (...) ".

5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date de notification à l'autorité administrative du jugement du tribunal administratif statuant au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

En ce qui concerne l'atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile :

6. Il ressort des pièces du dossier que MmeA..., ressortissante guinéenne, a présenté une demande d'asile auprès des services de la préfecture du Nord le 27 février 2018. Le 27 mars, le préfet du Nord a pris l'arrêté de transfert contesté et a assigné l'intéressée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Par un jugement du 6 avril 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal de Lille a rejeté la requête dirigée par Mme A... contre cet arrêté. A deux reprises, le 12 novembre puis le 17 décembre 2018, l'intéressée s'est présentée auprès des services de la préfecture du Nord en vue de l'enregistrement de sa demande d'asile en procédure normale, en invoquant l'expiration du délai de six mois au cours duquel la France pouvait procéder à son transfert. Cette demande a fait l'objet d'une réponse d'attente le 12 novembre, puis, le 17 décembre 2018, d'un refus verbal de la part de l'agent l'ayant examinée, au motif que l'intéressée était en fuite.

7. Il résulte de l'instruction que l'arrêté du 27 mars 2018 par lequel le préfet du Nord a ordonné la remise de Mme A...aux autorités belges est intervenu moins de six mois après la décision par laquelle la Belgique a donné son accord pour sa réadmission, dans le délai d'exécution du transfert fixé par l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Ce délai a toutefois été interrompu par l'introduction, par MmeA..., d'un recours contre l'arrêté de transfert. Un nouveau délai de six mois a recommencé à courir à compter du 18 mai 2018, date à laquelle le préfet du Nord est réputé avoir reçu, conformément à l'article R. 751-4-1 du code de justice administrative, notification du jugement du tribunal administratif de Lille statuant au principal sur le recours formé par MmeA.... Les autorités belges ont alors été informées le 8 novembre 2018 de la prolongation du délai de transfert à dix-huit mois à raison de la fuite de l'intéressée conformément à l'article 9 du règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 tel que modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 du 30 janvier 2014.

8. Il résulte de tout ce qui précède, alors que Mme A...ne conteste pas sérieusement pouvoir être regardée comme en fuite pour l'application des dispositions citées ci-dessus, qu'en refusant d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale au motif que le délai de transfert n'était pas expiré, l'administration n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile de l'intéressée. Par suite, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a enjoint au préfet du Nord d'enregistrer la demande d'asile de Mme A... et de lui délivrer l'attestation de demandeur d'asile et à demander, pour ce motif, l'annulation de l'ordonnance attaquée.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 29 janvier 2019 du juge des référés du tribunal administratif de Lille est annulée.

Article 2 : Les conclusions présentées par Mme A...contre l'Etat sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'intérieur et à Mme B...A....

Copie en sera adressée au préfet du Nord.


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 428025
Date de la décision : 27/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

- TRANSFERT D'UN DEMANDEUR D'ASILE VERS L'ETAT MEMBRE RESPONSABLE DE L'EXAMEN DE SA DEMANDE (RÈGLEMENT DU 26 JUIN 2013 - DIT DUBLIN III) - DÉLAI DE SIX MOIS COURANT À COMPTER DE L'ACCEPTATION DU TRANSFERT PAR L'ETAT REQUIS - INTERRUPTION DU DÉLAI PAR UN RECOURS CONTRE LA DÉCISION DE TRANSFERT - DATE À LAQUELLE LE DÉLAI RECOMMENCE À COURIR - DATE DE NOTIFICATION À L'AUTORITÉ ADMINISTRATIVE DU JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF STATUANT AU PRINCIPAL - QUEL QUE SOIT LE SENS DE SA DÉCISION [RJ1].

095-02-03-03-01 Il résulte de la combinaison des paragraphes 1 et 2 de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 (dit Dublin III), du premier alinéa de l'article L. 742-3 et du I de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date de notification à l'autorité administrative du jugement du tribunal administratif statuant au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement Dublin III, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ET UNION EUROPÉENNE - RÈGLES APPLICABLES - TRANSFERT D'UN DEMANDEUR D'ASILE VERS L'ETAT MEMBRE RESPONSABLE DE L'EXAMEN DE SA DEMANDE (RÈGLEMENT DU 26 JUIN 2013 - DIT DUBLIN III) - DÉLAI DE SIX MOIS COURANT À COMPTER DE L'ACCEPTATION DU TRANSFERT PAR L'ETAT REQUIS - INTERRUPTION DU DÉLAI PAR UN RECOURS CONTRE LA DÉCISION DE TRANSFERT - DATE À LAQUELLE LE DÉLAI RECOMMENCE À COURIR - DATE DE NOTIFICATION À L'AUTORITÉ ADMINISTRATIVE DU JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF STATUANT AU PRINCIPAL - QUEL QUE SOIT LE SENS DE SA DÉCISION [RJ1].

15-05-045-05 Il résulte de la combinaison des paragraphes 1 et 2 de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 (dit Dublin III), du premier alinéa de l'article L. 742-3 et du I de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date de notification à l'autorité administrative du jugement du tribunal administratif statuant au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement Dublin III, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.


Références :

[RJ1]

Cf., s'agissant du caractère indifférent, à cet égard, du sens de la décision du tribunal administratif, CE, 24 septembre 2018, Mme,et M.,, n° 420708, p. 336.


Publications
Proposition de citation : CE, 27 mai. 2019, n° 428025
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Stéphanie Vera
Rapporteur public ?: M. Guillaume Odinet

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:428025.20190527
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