La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/05/2019 | FRANCE | N°416369

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 06 mai 2019, 416369


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, quatre mémoires en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 7 décembre 2017, les 7 mars, 26 septembre et 26 novembre 2018 et les 14 janvier, 31 janvier et 9 avril 2019, la société Octoplus demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite née le 8 octobre 2017 par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à l'abrogation des 1° à 6° et du 8° de l'article R. 3262-36 du code du t

ravail ;

2°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, quatre mémoires en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 7 décembre 2017, les 7 mars, 26 septembre et 26 novembre 2018 et les 14 janvier, 31 janvier et 9 avril 2019, la société Octoplus demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite née le 8 octobre 2017 par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à l'abrogation des 1° à 6° et du 8° de l'article R. 3262-36 du code du travail ;

2°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur l'Union européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2006/111/CE de la Commission du 16 novembre 2006 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- l'arrêté du 3 mars 1978 relatif à la Commission des titres-restaurants ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Sirinelli, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 avril 2019, présentée par la société Octoplus ;

Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 3262-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que : " Le titre-restaurant est un titre spécial de paiement remis par l'employeur aux salariés pour leur permettre d'acquitter en tout ou en partie le prix du repas consommé au restaurant ou acheté auprès d'une personne ou d'un organisme mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 3262-3 ", c'est-à-dire de personnes ou d'organismes exerçant la profession de restaurateur, d'hôtelier restaurateur ou une activité assimilée, ou la profession de détaillant en fruits et légumes, et précise que " Ces titres sont émis : / 1o Soit par l'employeur au profit des salariés directement ou par l'intermédiaire du comité d'entreprise ; / 2° Soit par une entreprise spécialisée qui les cède à l'employeur contre paiement de leur valeur libératoire et, le cas échéant, d'une commission ". Il résulte des dispositions combinées des articles L. 3262-2 et L. 3262-3 de ce code que l'émetteur de titres-restaurant ouvre un compte bancaire ou postal sur lequel sont versés les fonds qu'il perçoit en contrepartie de la cession de ces titres et que ce compte ne peut être débité qu'au profit des personnes ou organismes habilités à les recevoir en paiement du prix du repas. L'article R. 3262-40 du même code prévoit que : " La Commission nationale des titres-restaurant comprend notamment des représentants des organisations représentatives d'employeurs et de salariés, des syndicats de restaurateurs et de détaillants de fruits et légumes, et des entreprises ayant pour activité principale l'émission de titres-restaurant ". Aux termes de l'article R. 3262-36 du même code, la Commission nationale des titres-restaurant est chargée : " 1° D'accorder l'assimilation à la profession de restaurateur aux personnes, entreprises ou organismes qui satisfont aux conditions prévues à l'article R. 3262-4 et aux articles R. 3262-26 à R. 3262-32 ; / 2° De constater les cas où les restaurateurs, les personnes, entreprises, organismes assimilés ou les détaillants en fruits et légumes ont cessé leur activité ou ne satisfont plus aux conditions ouvrant droit au remboursement des titres-restaurant ; / 3° De vérifier l'exercice de la profession de restaurateur ou de celle de détaillant en fruits et légumes conformément aux dispositions de l'article R. 3262-26 ; / 4° De réunir les informations relatives aux conditions d'application du présent chapitre et de les transmettre aux administrations compétentes ; / 5° De fournir aux émetteurs et aux utilisateurs de titres-restaurant les renseignements pratiques dont ils peuvent avoir besoin ; / 6° De faciliter l'accord des parties intéressées sur les améliorations qui peuvent être apportées à l'émission et à l'utilisation des titres-restaurant ; / 7° D'étudier et de transmettre à l'administration les propositions de modification de la réglementation des titres-restaurant ; / 8° D'exercer un contrôle sur le fonctionnement des comptes de titres-restaurant ouverts par les entreprises émettrices afin d'assurer que sont respectées les obligations qui leur sont imposées ainsi que celles des restaurateurs, organismes ou entreprises assimilés et des détaillants en fruits et légumes ".

2. La société Octoplus demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'abroger les dispositions des 1° à 6° et du 8° de l'article R. 3262-36 du code du travail, relatives aux missions de la Commission nationale des titres-restaurant.

Sur la légalité externe :

3. La société requérante ne saurait utilement soutenir que la décision implicite de rejet de sa demande d'abrogation aurait dû être motivée en vertu des stipulations de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui au demeurant n'énonce d'obligation de motivation qu'à l'égard des décisions des institutions, organes et organismes de l'Union, dès lors en tout état de cause que la décision attaquée n'a pas été prise pour mettre en oeuvre le droit de l'Union européenne. La société requérante ne peut non plus utilement invoquer, à l'encontre de la décision réglementaire qu'elle attaque, l'obligation de motivation résultant de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, qui ne s'applique qu'aux décisions individuelles.

Sur la légalité interne :

4. La société requérante soutient que les dispositions des 1° à 6° et du 8° de l'article R. 3262-36 du code du travail confèrent aux syndicats de restaurateurs et aux entreprises émettrices de titres-restaurant représentés au sein de la Commission nationale des titres-restaurant des droits spéciaux et leur permettraient d'adopter des comportements anticoncurrentiels, de favoriser la conclusion d'ententes et de restreindre l'accès de nouvelles entreprises émettrices au marché des titres-restaurant, en méconnaissance des stipulations de l'article 106, paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, interdisant que les entreprises auxquelles les Etats-membres accordent des droits exclusifs ou spéciaux édictent ou maintiennent des mesures contraires aux stipulations, notamment, des articles 101, relatif aux ententes, et 102, relatif aux abus de position dominante, du traité et que le refus d'abroger ces dispositions méconnaît l'article 4, paragraphe 3, du traité sur l'Union européenne, imposant aux Etats membres de prendre " toute mesure générale ou particulière propre à assurer l'exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l'Union ". En vertu de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, une mesure étatique peut être considérée comme attribuant un droit exclusif ou spécial au sens de l'article 106, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne lorsqu'elle confère une protection à un nombre limité d'entreprises et qu'elle est de nature à affecter substantiellement la capacité des autres entreprises à exercer l'activité économique en cause sur le même territoire, dans des conditions substantiellement équivalentes.

5. Toutefois, d'une part, les 1° à 3° de l'article R. 3262-36 du code du travail chargent seulement la Commission nationale des titres-restaurant d'accorder l'assimilation à la profession de restaurateur aux personnes qui en remplissent les conditions, de constater que les restaurateurs et assimilés et les détaillants en fruits et légumes ont cessé leur activité ou ne satisfont plus aux conditions ouvrant droit au remboursement des titres-restaurant et de vérifier l'exercice de la profession de restaurateur ou de détaillant en fruits et légumes. Il résulte des dispositions des articles R. 3262-4 et des articles R. 3262-26 à R. 3262-32 du code du travail que ces conditions, à laquelle la commission ne peut ajouter, se fondent sur des critères objectifs, tels que le numéro d'activité d'entreprise adopté par l'Institut national de la statistique et des études économiques et par les unions pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale, la vente au détail, à titre habituel et au moins six mois par an, des préparations alimentaires directement consommables mentionnées au deuxième alinéa de l'article R. 3262-4 et des informations permettant l'identification de la personne ou de l'organisme demandant l'assimilation de son activité à celle de restaurateur et la détermination de son activité.

6. D'autre part, les dispositions des 4° à 6° de l'article R. 3262-36 du code du travail, selon lesquelles la Commission nationale des titres-restaurant réunit des informations relatives à l'application de la réglementation des titres-restaurant, fournit des renseignements pratiques aux émetteurs et aux utilisateurs de ces titres et facilite l'accord des parties intéressées sur les améliorations qui peuvent être apportées à l'émission et à l'utilisation des titres-restaurant, n'ont pas pour effet de donner à cette commission une compétence réglementaire, notamment pour définir les spécifications techniques que les émetteurs devraient respecter, mais peuvent seulement, le cas échéant, la conduire à proposer une modification de la réglementation.

7. Enfin, il résulte des dispositions de l'article R. 3262-37 du code du travail que, pour permettre à la Commission nationale des titres-restaurant d'exercer la mission de contrôle du fonctionnement des comptes de titres-restaurant ouverts par les entreprises émettrices prévue au 8° de l'article R. 3262-36, chaque société ou entreprise émettrice de titres-restaurant communique à son secrétariat, assuré par les services du ministre chargé de l'économie et des finances en application de l'article R. 3262-43 du même code, le rapport annuel établi par l'expert-comptable chargé, en vertu de l'article R. 3262-33 de ce code, de constater les opérations accomplies par cet émetteur, ainsi que, chaque mois, un récapitulatif des entrées et sorties de titres-restaurant et des mouvements ayant affecté les fonds détenus au titre des comptes de titres-restaurant. Par suite, les dispositions du 8° de l'article R. 3262-36 du code du travail n'ont ni pour objet ni pour effet de confier à la Commission nationale des titres-restaurant des missions de régulation qui permettraient aux syndicats de restaurateurs et de détaillants en fruits et légumes et aux entreprises émettrices de titres-restaurant qui y siègent de restreindre l'accès d'autres entreprises émettrices au marché des titres-restaurant.

8. Par suite, à supposer que l'accès donné aux représentants des entreprises émettrices de titres-restaurant et des syndicats de restaurateurs à l'exercice des missions de la Commission nationale des titres-restaurant puisse être regardé comme un droit spécial au sens des stipulations mentionnées au point 4, aucune des missions confiées à cette commission ne saurait permettre à ses membres d'édicter ou de maintenir des mesures ayant pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence ou de créer une situation dans laquelle les entreprises qu'ils représentent seraient conduites à exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché de l'émission des titres-restaurant, en méconnaissance des stipulations des articles 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense et sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision qu'elle attaque.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par la ministre du travail.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la société Octoplus est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la ministre du travail présentées au titre de l'article L. 761-1 sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Octoplus et à la ministre du travail.

Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 416369
Date de la décision : 06/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 06 mai. 2019, n° 416369
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Sirinelli
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini

Origine de la décision
Date de l'import : 17/09/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:416369.20190506
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award