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24/04/2019 | FRANCE | N°425988

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 24 avril 2019, 425988


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 25 janvier 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, et par deux mémoires en réplique enregistrés les 28 février et 15 mars 2019, la société Vitol demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie du 5 octobre 2018 portant sanction pécuniaire à son encontre, de renvoyer au Conseil

constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garanti...

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 25 janvier 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, et par deux mémoires en réplique enregistrés les 28 février et 15 mars 2019, la société Vitol demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie du 5 octobre 2018 portant sanction pécuniaire à son encontre, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 134-25 et L. 134-27 du code de l'énergie.

Elle soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent les principes d'impartialité et d'indépendance garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par un mémoire, enregistré le 11 février 2019, le comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et, en particulier, que les dispositions contestées de l'article L. 134-25 du code de l'énergie ne sont pas applicables au litige et que le grief dirigé contre les dispositions de l'article L. 134-27 de ce code n'est pas sérieux.

Par un mémoire, enregistré le 28 février 2019, le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, pour les mêmes motifs que ceux exposés par le comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'énergie, notamment ses articles L. 134-25 et L. 134-27 ;

- la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 ;

- l'ordonnance n° 2016-461 du 14 avril 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Céline Guibé, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Vitol ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

Sur le grief relatif au pouvoir de se saisir d'office des manquements sanctionnés :

2. Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 134-25 du code de l'énergie, dans sa version issue de l'article 1er de l'ordonnance n° 2016-461 du 14 avril 2016 précisant les compétences de la Commission de régulation de l'énergie en matière de recueil d'information, de sanction et de coopération : " Le comité de règlement des différends et des sanctions peut également, soit d'office, soit à la demande du ministre chargé de l'énergie ou de l'environnement, d'une organisation professionnelle, du président de la Commission de régulation de l'énergie, de l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie instituée par le règlement (CE) n° 713/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 instituant une agence de coopération des régulateurs de l'énergie ou de toute autre personne concernée, sanctionner les manquements aux règles définies aux articles 3, 4, 5, 8, 9 et 15 du règlement (UE) n° 1227/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'intégrité et la transparence du marché de gros de l'énergie (...) ".

3. La société Vitol, qui a fait l'objet d'une sanction sur le fondement du troisième alinéa de l'article L. 134-25 du code de l'énergie, soutient que les dispositions de cet article méconnaissent les principes d'indépendance et d'impartialité qui découlent de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 en tant qu'elles prévoient que le comité de règlement des différends et des sanctions peut se saisir d'office des manquements qu'il lui appartient de sanctionner. Par conséquent, ce premier grief d'inconstitutionnalité porte sur les mots " soit d'office " figurant au troisième alinéa de l'article L. 134-25 du code de l'énergie.

4. Il ressort des pièces du dossier que le comité de règlement des différends et des sanctions a été saisi par le président de la Commission de régulation de l'énergie du manquement à raison duquel il a, par la décision attaquée du 5 octobre 2018, prononcé une sanction à l'encontre de la société Vitol. Par suite, les mots " soit d'office " figurant au troisième alinéa de l'article L. 134-25 du code de l'énergie ne sont pas applicables au litige. Ainsi, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Vitol en tant qu'elle porte sur ces dispositions.

Sur le grief relatif aux modalités de notification des griefs à la personne intéressée :

5. Selon l'article 16 de la Déclaration du 26 août 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Ni le principe de la séparation des pouvoirs, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne font obstacle à ce qu'une autorité administrative ou publique indépendante, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission, dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis. En particulier, doivent être respectés le principe de légalité des délits et des peines ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle. Doivent également être respectés les principes d'indépendance et d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration du 26 août 1789.

6. L'article L. 135-12 du code de l'énergie prévoit que les manquements mentionnés au dernier alinéa de l'article L. 134-25 cité au point 2 sont constatés par les agents de la Commission de régulation de l'énergie habilités à cet effet et font l'objet de procès-verbaux notifiés aux personnes concernées. Le président de la Commission de régulation de l'énergie peut, sur le fondement du même alinéa de l'article L. 134-25, saisir le comité de règlement des différends et des sanctions des manquements ainsi constatés. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 134-27 du code de l'énergie, dans sa version issue de l'article 21 de la loi du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes : " (...) en cas de manquement constaté dans les conditions prévues à l'article L. 135-12, et après l'envoi d'une notification des griefs à l'intéressé, le comité peut prononcer à son encontre, en fonction de la gravité du manquement : (...) 2° Soit, si le manquement n'est pas constitutif d'une infraction pénale, une sanction pécuniaire, dont le montant est proportionné à la gravité du manquement, à la situation de l'intéressé, à l'ampleur du dommage et aux avantages qui en sont tirés ".

7. Les dispositions contestées de l'article L. 134-27 du code de l'énergie ne désignent pas la personne ou l'organe spécifique au sein de la Commission de régulation de l'énergie chargé de notifier les griefs à la personne mise en cause en cas de manquement constaté par les agents habilités de cette autorité administrative indépendante dans les conditions prévues à l'article L. 135-12 du même code. Elles n'ont ni pour objet ni pour effet d'attribuer le pouvoir de notifier les griefs au comité de règlement des différends et des sanctions ou à l'un de ses membres qui participerait ensuite au jugement des manquements ayant fait l'objet d'une telle notification. Ainsi, elles n'opèrent pas de confusion au sein du comité de règlement des différends et des sanctions entre, d'une part, les fonctions de poursuite des éventuels manquements et, d'autre part, les fonctions de jugement de ces mêmes manquements. Il en résulte que le grief tiré de ce que ces dispositions méconnaissent les principes d'indépendance et d'impartialité qui découlent de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Vitol, qui n'est pas nouvelle, en tant qu'elle porte sur les dispositions de l'article L. 134-27 du code de l'énergie.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Vitol.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Vitol.

Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et à la Commission de régulation de l'énergie.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 425988
Date de la décision : 24/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 24 avr. 2019, n° 425988
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Céline Guibé
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:425988.20190424
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