La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/04/2019 | FRANCE | N°424975

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 24 avril 2019, 424975


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 19 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C...A...demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 3 juillet 2018 rapportant le décret du 15 septembre 2015 qui lui avait accordé la nationalité française.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Louise Bréhier, auditrice,

- les conclusions de Mme Sophie Ro

ussel, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les d...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 19 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C...A...demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 3 juillet 2018 rapportant le décret du 15 septembre 2015 qui lui avait accordé la nationalité française.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Louise Bréhier, auditrice,

- les conclusions de Mme Sophie Roussel, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".

2. Il ressort des pièces de dossier que M.A..., ressortissant ivoirien, a déposé une demande de naturalisation le 25 septembre 2014 par laquelle il a indiqué être célibataire et s'est engagé sur l'honneur à signaler tout changement dans sa situation personnelle et familiale. Au vu de ses déclarations, il a été naturalisé par décret du 15 septembre 2015. Toutefois, le ministre des affaires étrangères et du développement international a informé, le 5 juillet 2016, le ministre chargé des naturalisations que M. A...avait épousé, au Sénégal, le 5 janvier 2015, une ressortissante sénégalaise résidant habituellement au Sénégal. Par le décret attaqué, le Premier ministre a rapporté le décret du 15 septembre 2015 prononçant la naturalisation de M. A...au motif qu'il avait été pris au vu d'informations erronées délivrées par l'intéressé sur sa situation familiale.

3. Le délai de deux ans imparti pour rapporter le décret de naturalisation de M. A...a commencé à courir à la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressé a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations. Il ressort des pièces du dossier que ce ministre n'en a été informé que le 5 juillet 2016, date à laquelle il a reçu du ministre des affaires étrangères et du développement international les éléments relatifs à la situation familiale de M.A.... Ainsi, le décret du 3 juillet 2018 a été pris dans le délai prévu par les dispositions de l'article 27-2 du code civil.

4. Aux termes de l'article 21-6 du code civil : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition se trouve remplie, l'autorité administrative peut notamment prendre en compte la situation familiale en France de l'intéressé. Par suite, la circonstance que l'intéressé ait été marié au Sénégal où résidait son épouse était de nature à modifier l'appréciation qui a été portée par l'autorité administrative sur la fixation du centre de ses intérêts.

5. Si M. A...soutient que son union coutumière avec Mme D...B..., ressortissante sénégalaise résidant au Sénégal, n'a pas pu être célébrée le 5 janvier 2015 ainsi que l'énonce le décret attaqué, n'avait pas de valeur officielle avant sa constatation le 28 janvier 2016 et n'avait donc pas à être déclarée aux autorités françaises avant cette date, il ressort des pièces du dossier que cette union, dont l'existence n'est pas contestée, a fait l'objet d'un acte dressé le 20 janvier 2015 par l'officier d'état-civil du centre de Pikine (Sénégal) et constituait un acte de mariage opposable en France. Ce mariage, contracté en janvier 2015, a constitué un changement de sa situation familiale qui devait être porté à la connaissance des services instruisant sa demande de naturalisation, ce que M. A...n'a pas fait avant que ne lui soit accordée la nationalité française, contrairement à l'engagement qu'il avait pris. S'il soutient qu'il était de bonne foi et qu'il a lui-même, au début de l'année 2016, informé le consulat général de France à Dakar de la naissance de ses enfants puis demandé la transcription sur les registres de l'état-civil français de son acte de mariage, il ne fait état d'aucune circonstance qui l'aurait mis dans l'impossibilité de faire part de son changement de situation familiale avant l'intervention, le 15 septembre 2015, du décret lui accordant la nationalité française. L'intéressé, qui maîtrise la langue française, ainsi qu'il ressort du procès-verbal d'assimilation du 25 septembre 2014, ne pouvait se méprendre sur la teneur de l'engagement qu'il avait pris sur l'honneur, en déposant sa demande de naturalisation, de faire connaître toute modification de sa situation familiale survenant au cours de l'instruction de sa demande de naturalisation, et doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé le changement de sa situation matrimoniale au Sénégal avant que ne lui soit accordée la nationalité française. Par suite, en rapportant sa naturalisation, dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le Premier ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil.

6. La définition des conditions d'acquisition et de perte de la nationalité relève de la compétence de chaque Etat membre de l'Union européenne. Toutefois, dans la mesure où la perte de la nationalité d'un Etat membre a pour conséquence la perte du statut de citoyen de l'Union, la perte de la nationalité d'un Etat membre doit, pour être conforme au droit de l'Union, répondre à des motifs d'intérêt général et être proportionnée à la gravité des faits qui la fondent, au délai écoulé depuis l'acquisition de la nationalité et prendre en compte la possibilité pour l'intéressé de recouvrer une autre nationalité.

7. L'article 27-2 du code civil permet de rapporter, dans un délai de deux ans, un décret qui a conféré la nationalité française au motif que l'intéressé a obtenu la nationalité française par mensonge ou par fraude. En l'espèce, M. A...doit être regardé, ainsi qu'il a été dit, comme ayant obtenu la nationalité française par fraude. S'il soutient, en invoquant la loi ivoirienne, qu'il aurait perdu la nationalité ivoirienne en conséquence du décret du 15 septembre 2015 lui ayant conféré la nationalité française, il n'apporte en tout état de cause aucun élément de nature à établir qu'il aurait effectivement perdu sa nationalité d'origine ou ne pourrait la recouvrer. Par suite, le Premier ministre a pu légalement prendre le décret attaqué en faisant application des dispositions de l'article 27-2 du code civil, qui ne sont pas incompatibles avec les exigences résultant du droit de l'Union.

8. Il résulte de ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'il attaque.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. C...A...et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 424975
Date de la décision : 24/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 avr. 2019, n° 424975
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Louise Bréhier
Rapporteur public ?: Mme Sophie Roussel

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:424975.20190424
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award