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24/04/2019 | FRANCE | N°412570

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 24 avril 2019, 412570


La société anonyme (SA) Banque de La Réunion a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2009. Par un jugement n° 1506453 du 16 juin 2016, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 16VE02479 du 18 mai 2017, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la SA Caisse d'Epargne CEPAC, venant aux droits de la SA Banque de La Réunion, contre ce jugement.<

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Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les...

La société anonyme (SA) Banque de La Réunion a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2009. Par un jugement n° 1506453 du 16 juin 2016, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 16VE02479 du 18 mai 2017, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la SA Caisse d'Epargne CEPAC, venant aux droits de la SA Banque de La Réunion, contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 juillet et 18 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SA Caisse d'Epargne CEPAC demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code des procédures civiles d'exécution ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union Européenne du 26 juin 2003, Finanzamt Gross-Gerau c/ MKG Kraftfahrzeuge-Factoring GmbH (C-305/01) ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Céline Guibé, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la société Caisse Epargne Cepac ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 avril 2019, présentée par la société Caisse Epargne CEPAC ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société anonyme (SA) Banque de la Réunion a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2009, à l'issue de laquelle l'administration fiscale a estimé que les frais bancaires facturés à ses clients faisant l'objet d'un avis à tiers détenteur étaient soumis à la taxe sur la valeur ajoutée. La SA Caisse d'Epargne CEPAC se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 mai 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel que, venant aux droits de la SA Banque de La Réunion, elle avait formé contre le jugement du 16 juin 2016 du tribunal administratif de Montreuil rejetant la demande de décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquelles elle avait été assujettie.

2. Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts, qui transpose l'article 2, paragraphe 1 sous a) de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, qu'une prestation de services n'est effectuée à titre onéreux et n'est dès lors taxable que s'il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire.

3. En vertu de l'article L. 262 du livre des procédures fiscales, les établissements teneurs des comptes bancaires de redevables d'impositions sont tenus, sur la demande qui leur en est faite sous forme d'avis à tiers détenteur notifié par le comptable chargé du recouvrement, de verser, aux lieu et place des redevables, les fonds qu'ils détiennent à concurrence des impositions dues par ces derniers. Conformément aux articles 47 et 47-1 de la loi du 9 juillet 1991 relative aux procédures civiles d'exécution alors en vigueur, désormais codifiés aux articles L. 262-1 et L. 262-2 du code des procédures civiles d'exécution, l'établissement auquel est notifié un avis à tiers détenteur doit déclarer au comptable le solde des comptes au jour de la saisie, procéder au blocage des sommes laissées en dépôt pendant un délai de quinze jours afin de dénouer les opérations en cours, puis procéder au versement des sommes dues au Trésor public dans la limite des fonds disponibles et sous réserve de laisser à la disposition du redevable une somme à caractère alimentaire.

4. Pour juger que ces opérations sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée, la cour a relevé qu'elles sont rémunérées par des frais prévus par la convention de compte conclue avec le client et en a déduit qu'il existe, en pareille hypothèse, un rapport juridique entre la banque et son client sur le fondement duquel des prestations réciproques sont échangées. En statuant ainsi, alors, d'une part, que l'obligation pour la banque d'accomplir ces opérations ne résulte pas de la relation contractuelle avec son client, mais de la demande qui lui est faite sous la forme d'avis à tiers détenteur par le comptable chargé du recouvrement et, d'autre part, que le client ne peut être regardé comme tirant un avantage de ces opérations, la cour a commis une erreur de droit. Par suite, son arrêt doit être annulé.

5. Le ministre demande toutefois que soit substitué au motif erroné retenu par la cour celui tiré de ce que les opérations en cause constituent des prestations de services accomplies par la banque au profit du Trésor public.

6. Aux termes de l'article 43 de la loi du 9 juillet 1991 relative aux procédures civiles d'exécution alors en vigueur, désormais codifié à l'article L. 211-2 du code des procédures civiles d'exécution, et rendu applicable aux avis à tiers détenteur par l'article L. 263 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors en vigueur : " L'acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie disponible entre les mains du tiers ainsi que de tous ses accessoires. Il rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation ". Il résulte de ces dispositions que l'avis à tiers détenteur rend la banque personnellement débitrice des sommes dues au Trésor public par son client, dans la limite des fonds disponibles sur les comptes de ce dernier et sous réserve de laisser à sa disposition une somme à caractère alimentaire. Par suite, les opérations décrites au point 3 accomplies par la banque à la réception d'un avis à tiers détenteur, qui ont pour seul objet le paiement d'une créance dont elle est personnellement redevable, ne constituent pas des prestations de services accomplies au bénéfice du Trésor public.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 6 ci-dessus que les opérations accomplies par une banque à la réception d'un avis à tiers détenteur ne constituent pas des prestations de services, et, par suite, qu'elles ne sont pas soumises à la taxe sur la valeur ajoutée en application des dispositions du I de l'article 256 du code général des impôts citées au point 2 ci-dessus. Dès lors, la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration fiscale a soumis les frais bancaires facturés à ses clients faisant l'objet d'un avis à tiers détenteur à la taxe sur la valeur ajoutée et que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge de cette taxe.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Caisse d'Epargne CEPAC au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 18 mai 2017 et le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 16 juin 2016 sont annulés.

Article 2 : La société Caisse d'Epargne CEPAC est déchargée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2009 à raison des frais facturés à ses clients faisant l'objet d'un avis à tiers détenteur.

Article 3 : L'Etat versera à la société Caisse d'Epargne CEPAC la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Caisse d'Epargne CEPAC et au ministre de l'action et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 412570
Date de la décision : 24/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-06-02-01-01 CONTRIBUTIONS ET TAXES. TAXES SUR LE CHIFFRE D'AFFAIRES ET ASSIMILÉES. TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE. PERSONNES ET OPÉRATIONS TAXABLES. OPÉRATIONS TAXABLES. - PRESTATIONS DE SERVICES À TITRE ONÉREUX (I DE L'ART. 256 DU CGI) - 1) NOTION [RJ1] - 2) OPÉRATIONS ACCOMPLIES PAR UNE BANQUE À LA RÉCEPTION D'UN AVIS À TIERS DÉTENTEUR (ATD), FACTURÉES AU CLIENT CONCERNÉ - A) CONTENU DE CES OPÉRATIONS - PORTÉE DE L'ATD - B) CONSÉQUENCES - PRESTATIONS ACCOMPLIES AU SERVICE DU CLIENT - ABSENCE - PRESTATIONS ACCOMPLIES AU SERVICE DU TRÉSOR PUBLIC - ABSENCE.

19-06-02-01-01 1) Il résulte du I de l'article 256 du code général des impôts (CGI), tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qu'une prestation de services n'est effectuée à titre onéreux et n'est dès lors taxable que s'il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire.... ,,2) a) En vertu de l'article L. 262 du livre des procédures fiscales (LPF), les établissements teneurs des comptes bancaires de redevables d'impositions sont tenus, sur la demande qui leur en est faite sous forme d'avis à tiers détenteur (ATD) notifié par le comptable chargé du recouvrement, de verser, aux lieu et place des redevables, les fonds qu'ils détiennent à concurrence des impositions dues par ces derniers. Conformément aux articles 47 et 47-1 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 alors en vigueur, désormais codifiés aux articles L. 262-1 et L. 262-2 du code des procédures civiles d'exécution (CPCE), l'établissement auquel est notifié un ATD doit déclarer au comptable le solde des comptes au jour de la saisie, procéder au blocage des sommes laissées en dépôt pendant un délai de quinze jours afin de dénouer les opérations en cours, puis procéder au versement des sommes dues au Trésor dans la limite des fonds disponibles et sous réserve de laisser à la disposition du redevable une somme à caractère alimentaire.,,,Il résulte de l'article 43 de la loi du 9 juillet 1991 alors en vigueur, désormais codifié à l'article L. 211-2 du CPCE, et rendu applicable aux ATD par l'article L. 263 du LPF dans sa rédaction alors en vigueur que l'ATD rend la banque personnellement débitrice des sommes dues au Trésor public par son client, dans la limite des fonds disponibles sur les comptes de ce dernier et sous réserve de laisser à sa disposition une somme à caractère alimentaire.... ,,b) Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que les opérations accomplies par la banque à la réception d'un ATD constituent des prestations de services accomplies au bénéfice du client, alors que l'obligation pour la banque d'accomplir ces opérations ne résulte pas de la relation contractuelle avec son client, mais de la demande qui lui est faite sous la forme d'ATD par le comptable chargé du recouvrement et, d'autre part, que le client ne peut être regardé comme tirant un avantage de ces opérations.,,,Ces opérations, qui ont pour seul objet le paiement d'une créance dont la banque est personnellement redevable, ne constituent pas davantage des prestations de services accomplies au bénéfice du Trésor public.


Références :

[RJ1]

Rappr. CJCE, 8 mars 1988, Apple and Pear Development Council, aff. 102/86.


Publications
Proposition de citation : CE, 24 avr. 2019, n° 412570
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Céline Guibé
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:412570.20190424
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