La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/04/2019 | FRANCE | N°413219

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 17 avril 2019, 413219


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 août 2017, 19 octobre 2017 et 7 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Polynésie française demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2017-890 du 6 mai 2017 relatif à l'état civil en tant qu'il prévoit, au IV son article 57, l'applicabilité de ses articles 46 à 49 et 60 en Polynésie française.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la loi

organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code de procédure civile ;

- la loi n° 2016-1547 ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 août 2017, 19 octobre 2017 et 7 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Polynésie française demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2017-890 du 6 mai 2017 relatif à l'état civil en tant qu'il prévoit, au IV son article 57, l'applicabilité de ses articles 46 à 49 et 60 en Polynésie française.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code de procédure civile ;

- la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de la Polynésie française ;

Considérant ce qui suit :

1. L'article 7 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française dispose que : " Dans les matières qui relèvent de la compétence de l'Etat, sont applicables en Polynésie française les dispositions législatives et réglementaires qui comportent une mention expresse à cette fin. / Par dérogation au premier alinéa, sont applicables de plein droit en Polynésie française, sans préjudice de dispositions les adaptant à son organisation particulière, les dispositions législatives et réglementaires qui sont relatives : / (...) / 4° A la nationalité, à l'état et la capacité des personnes ; (...) ". Aux termes de son article 13 : " Les autorités de la Polynésie française sont compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l'Etat par l'article 14 et celles qui ne sont pas dévolues aux communes en vertu des lois et règlements applicables en Polynésie française. " . Aux termes de son article 14 : " Les autorités de l'Etat sont compétentes dans les seules matières suivantes : / 1° Nationalité ; droits civiques ; droit électoral ; droits civils, état et capacité des personnes, notamment actes de l'état civil, absence, mariage, divorce, filiation ; autorité parentale ; régimes matrimoniaux, successions et libéralités ; / 2° Garantie des libertés publiques ; justice : organisation judiciaire, aide juridictionnelle, organisation de la profession d'avocat, à l'exclusion de toute autre profession juridique ou judiciaire, droit pénal, procédure pénale, commissions d'office, service public pénitentiaire, services et établissements d'accueil des mineurs délinquants sur décision judiciaire, procédure administrative contentieuse, frais de justice pénale et administrative ; (...) ". Il résulte de ces dispositions, éclairées par leurs travaux préparatoires, que les autorités de la Polynésie française sont compétentes pour édicter les règles qui gouvernent la procédure devant les juridictions civiles. Il n'en va différemment que lorsque ces règles sont indissociables du fond du droit dont elles ont pour objet de garantir l'effectivité et que ce droit relève lui-même de la compétence des autorités de l'Etat. Il en va ainsi, notamment, en matière d'état et de capacité des personnes, domaines dans lesquels les règles définies par l'Etat sont en outre applicables de plein droit en vertu de la loi organique.

2. Le décret du 6 mai 2017 relatif à l'état civil, pris en application de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du vingt-et-unième siècle, comporte un titre III modifiant certaines dispositions du code de procédure civile relatives à l'annulation et à la rectification des actes de l'état civil et aux procédures en matière familiale. Le IV de l'article 57 de ce décret précise que : " Outre les dispositions des articles 1er à 44, 46 à 51, 54, 55 et 59 qui sont applicables de plein droit, les dispositions des articles 53, 56 et 60 du présent décret sont applicables en Polynésie française ", sous réserve, pour ces dernières, d'un certain nombre d'adaptations. La Polynésie française demande l'annulation pour excès de pouvoir du IV de l'article 57 de ce décret en tant qu'il rend applicables à la Polynésie française ses articles 46, 47, 48, 49 et 60.

3. Contrairement à ce qui est soutenu, l'article 57 du décret attaqué qui prévoit l'applicabilité de plein droit en Polynésie française de l'ensemble des dispositions des articles qu'il énumère ne méconnaît pas, en tout état de cause, l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme.

4. L'article 46 du décret attaqué a pour seul objet de prévoir la modification du code de procédure civile conformément aux articles 47 à 49 du même décret et est par lui-même dépourvu de portée normative. Son applicabilité de plein droit en Polynésie française dépend donc, en tout état de cause, de l'applicabilité de plein droit des articles auxquels il renvoie.

5. L'article 47 du décret attaqué modifie les articles 1046 à 1048, 1051 et 1053 à 1055 du code de procédure civile relatifs à la rectification et à l'annulation administrative et judiciaire des actes de l'état civil, en organisant une procédure de rectification de certaines erreurs ou omissions purement matérielles par un officier de l'état civil et en apportant des modifications de coordination, pour chacune des deux procédures. Les articles 1046 à 1047, qui ont trait aux opérations extrajudiciaires de rectification et d'annulation des actes de l'état civil, relèvent du droit relatif à l'état des personnes et non de la procédure devant les juridictions civiles. Ces articles comme les modifications qui y sont apportées sont dès lors, en vertu du 4° de l'article 7 de la loi organique du 27 février 2004, applicables de plein droit en Polynésie française. En revanche, les articles 1048 à 1055 du code de procédure civile régissent la procédure de rectification et d'annulation judiciaire de ces actes. Si l'article 1054 relatif à la modification des actes de l'état civil est indissociable des règles régissant l'état des personnes dont il assure la mise en oeuvre judiciaire et relève par suite de la compétence de l'Etat, les articles 1048, 1051, 1053 et 1055 relatifs, respectivement, à la juridiction compétente, aux formalités de saisine de la juridiction, à la mise en cause de tiers et aux modalités de l'appel relèvent des règles de la procédure devant les juridictions civiles et ne sont pas indissociables des règles qui régissent l'état des personnes. Il s'ensuit que la Polynésie française est fondée à soutenir que le IV de l'article 57 du décret attaqué, en tant qu'il déclare applicables de plein droit sur son territoire les modifications de coordination apportées par son article 47 aux articles 1048, 1051, 1053 et 1055 du code de procédure civile, méconnaît les règles de répartition des compétences prévues par les articles 13 et 14 de la loi organique du 27 février 2004 en vertu desquels la procédure civile n'est pas au nombre des compétences reconnues à l'Etat.

6. L'article 48 du décret attaqué modifie les articles 1136-7 et 1136-9 du code de procédure civile relatifs à la procédure aux fins de mesures de protection des victimes de violences familiales, en portant à six mois la durée d'application de l'ordonnance de protection rendue par le juge aux affaires familiales et en complétant l'information relative à sa durée d'application en cas de demande de divorce, de séparation de corps ou d'exercice de l'autorité parentale. Ces dispositions, qui se rapportent à la capacité des personnes, relèvent de la compétence de l'Etat et sont, en vertu du 4° de l'article 7 de la loi organique du 27 février 2004, applicables de plein droit en Polynésie française.

7. L'article 49 du décret attaqué procède à une modification rédactionnelle de l'article 1144 du code de procédure civile relatif à l'information des mineurs en cas de divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée déposé au rang des minutes d'un notaire. Ces dispositions, qui ont trait à une procédure extrajudiciaire de divorce, relèvent du droit relatif à l'état des personnes et non de la procédure devant les juridictions civiles. Il s'ensuit qu'elles relèvent de la compétence de l'Etat et sont, en vertu du 4° de l'article 7 de la loi organique du 27 février 2004, applicables de plein droit en Polynésie française.

8. L'article 60 du décret attaqué, qui a pour seul objet de définir les conditions d'entrée en vigueur de ce décret et prévoit notamment une entrée en vigueur immédiate des dispositions du titre III, est sans lien avec les règles de répartition des compétences entre l'Etat et la Polynésie française. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces règles par le IV de l'article 57 du décret attaqué en tant qu'il rend son article 60 applicable en Polynésie française doit, par suite, être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la Polynésie française n'est fondée à demander l'annulation du IV de l'article 57 du décret du 6 mai 2017 qu'en tant qu'il rend applicables sur son territoire les modifications apportées par son article 47 aux articles 1048, 1051, 1053 et 1055 du code de procédure civile.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le IV de l'article 57 du décret n° 2017-890 du 6 mai 2017 relatif à l'état civil est annulé en tant qu'il rend applicable en Polynésie française l'article 47 de ce décret en tant qu'il modifie les articles 1048, 1051, 1053 et 1055 du code de procédure civile.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la Polynésie française est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Polynésie française, au Premier ministre, au ministre de l'intérieur, à la garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de l'action et des comptes publics et à la ministre des outre-mer.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 413219
Date de la décision : 17/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 avr. 2019, n° 413219
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Christelle Thomas
Rapporteur public ?: Mme Aurélie Bretonneau
Avocat(s) : SCP DE CHAISEMARTIN, DOUMIC-SEILLER

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:413219.20190417
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award